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Serviteurs et esclaves chez Paul

Pour comprendre les textes néotestamentaires évoquant l’esclavage, au sens propre comme au sens figuré, il importe de se représenter la grande diversité des situations que ce terme peut recouvrir.

Réalité de l’esclavage antique

Dans le bassin méditerranéen du 1er s., l’esclavage est loin d’être une réalité simple ; c’est un système d’institutions complexes. L’esclavage n’était pas réglementé par une loi unique, si bien que le statut légal des esclaves était extrêmement divers selon les cités. Plus encore, les lois concernant les esclaves ne reflètent pas nécessairement la vie concrète de tous les esclaves, comme l’attestent nombre d’inscriptions et de textes non juridiques.

Les esclaves exploités sur les galères, dans les mines ou dans les grandes plantations vivaient sous une pénible oppression. Cependant, tous les esclaves mentionnés dans le NT sont des domestiques. Le statut et la liberté de mouvement des esclaves domestiques étaient extrêmement variables et dépendait à la fois de la maison à laquelle ils appartenaient et de leur office dans cette maison. Au 1er s., aucune maison ne se limitait à une famille nucléaire : elle consistait non seulement en la famille élargie, mais aussi en ses esclaves et en ses clients. La loi romaine sur l’esclavage était ainsi calquée sur la loi concernant les enfants. Pas plus que ces derniers, ni les clients ni les esclaves affranchis d’un patron n’étaient entièrement libres ; patrons et clients étaient liés par des obligations réciproques, qui créaient un véritable lien social.

La plupart des esclaves domestiques étaient des travailleurs de bas statut, mais nombre d’esclaves avaient famille, richesse, statut et pouvoir. Dans le monde méditerranéen du 1er s. de notre ère, des esclaves occupaient régulièrement des emplois considérés aujourd’hui comme gratifiants, dans les domaines de l’éducation, du conseil, du commerce, de la banque ou de la gestion. L’évangile selon Matthieu met ainsi en scène des esclaves gérants de larges fortunes.

Rhétorique religieuse de l’esclavage antique

Dans le paganisme

Les expressions « esclave d’un dieu » ou « esclavage [au service] d’un dieu » sont attestées dans certaines inscriptions et dans plusieurs oeuvres littéraires païennes :

  • Tirésias se dit ainsi esclave d’Apollon dans l’Œdipe-Roi de Sophocle (Oed. tyr.410).
  • En Platon Phaed. 85b, Socrate se désigne comme l’esclave et le compagnon des cygnes sacrés en compagnie desquels il sert le même dieu.
  • Le narrateur de L’Âne d’or d’Apulée sert la déesse Isis comme son esclave (Apulée Metam. 11,15).
L’AT

évoque plus fréquemment les « esclaves du Seigneur » et le « service du Seigneur » (Lv 25,55). Abraham, Moïse, Élie et d’autres reçoivent ainsi le titre honorifique d’ « esclaves du Seigneur ».

Dans le NT

le Christ lui-même est appelé du nom d’« esclave » (Ph 2,7-8), esclavage qui consiste en son dépouillement de ses prérogatives divines par son incarnation et son obéissance parfaite à la volonté du Père allant jusqu’à mourir sur une croix. L’usage le plus fréquent que Jésus fait du langage de l’esclavage est en lien avec la croix : il est venu pour servir et non pour être servi (Mt 20,28 ; Mc 10,45). Il faut comprendre à cette lumière son acte symbolique et prophétique du lavement des pieds (Jn 13,4-5.13-17 ; cf. Lc 22,27) : ce qui est ici annoncé est la mort de Jésus en croix comme un esclave pour le bénéfice de son Église. En 1Co 6,20 ; 7,22 Paul enseigne que le Christ a acheté les Corinthiens pour un montant énorme : au prix de la croix, Jésus rachète de l’esclavage ceux qui croient en lui.

C’est le grand paradoxe : en mourant il donne la vie, en étant condamné par le monde il condamne le monde et en servant comme un esclave il libère de l’esclavage. Tout en étant esclave, le Christ continue à avoir tous les droits d’un maître. Ainsi le NT parle-t-il à la fois de l’esclavage vis-à-vis du monde et de ses puissances démoniaques, et de l’esclavage envers Dieu et envers la justice (Jn 8,33-34 ; Rm 6,1-23). Les chrétiens sont à la fois des esclaves de Dieu (1P 2,16) et des affranchis du Seigneur (1Co 7,22).

Quand Paul et Timothée se donnent ce titre, ils s’attendent à être directement compris des Philippiens : l’expression dénote à la fois leur totale soumission au Christ et le statut élevé que leur confère leur charge d’intendance dans la maison du Christ. En tant qu’esclaves du Christ, ils s’attendent à être obéis humblement des Philippiens, comme eux-mêmes obéissent au Christ obéissant. Ph 3,2 est le seul passage dans lequel Paul exhorte une communauté à imiter le Christ sans leur demander d’abord de l’imiter lui-même.