La Bible en ses Traditions

Cantique des cantiques 7,1–3

M
G S
V

Reviens, reviens, Sulamite !

Reviens, reviens, afin que nous te regardions.

Pourquoi regardez-vous la Sulamite, comme une danse de Machanaïm.

— Reviens, reviens, Sulamite !

reviens, reviens, que nous te regardions ! 

— Que verras-tu en la Sulamite, sinon des chœurs de campements ?

— Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince !

La courbure de tes reins est comme un collier, œuvre d’un artiste.

— Comme ils sont beaux les pas que tu fais en souliers, fille de prince !

La jointure de tes cuisses, comme des colliers faits de mains d'orfèvre

M V
G S

ton ombilic est une coupe arrondie

Vun cratère fait au tour où le vin aromatisé ne manque pas

Vjamais vide de boisson

ton ventre est

V comme un monceau de froment, entouré

V palissé de lis.

Réception

Tradition juive

3 Éloge du sanhédrin

Le sanhédrin : au centre de l'univers

  • b. Sanh. 37a « Rav Akha bar Hanina dit : du verset (Ct 7,3) :'Ton nombril' : c'est le sanhédrin. Pourquoi nombril ? Car le sandédrin siège dans le nombril de l'univers. —— 'Une coupe' (en hébreu : agan), parce qu'il protège (en hébreu : méguine) l'univers tout entier. ——'Arrondie' (en hébreu : sahar, croissant de lune), car il ressemble au croissant de lune. ——'Pleine d'un breuvage' (dans le texte : ne manquant pas de liquide : car si l'un d'entre ses membres est obligé de s'absenter — on s'assure qu'il en reste (en séance) vingt-trois, correspondant au petit sanhédrin. Sinon, il ne peut sortir. ——'Ton corps est comme un meule de froment' : tout le monde profite du froment ; tout le monde trouve à son goût les attendus des verdicts du sanhédrin. ——'Bordée de roses' : même si la séparation n'est qu'une bordure de roses, ils n'y feront aucune brèche.[...] La Tora a témoigné pour nous par une bordure de roses, car même si la séparation n'est qu'une bordure de roses, ils n'y feront aucune brèche » (Levinas Lectures 151-152).

Le sanhédrin : la justice de la Tora

  • Levinas Lectures « On affirme ainsi le caractère central de la justice absolue que, par définition, rend le sanhédrin, la justice de la Tora. On affirme ainsi le caractère ontologique de cette oeuvre de justice. En parlant de justice en termes d'érotisme, on a surmonté l'érotisme des termes » (164).

Le sanhédrin : protecteur de l'univers

  • Levinas Lectures « Le mot hébraïque employé pour coupe par le Cantique des Cantiques se dit agane. Le Talmudiste [...] lira dans agane, méguine. Or méguine signifie protège. Cela confirme donc que le nombril indique le sanhédrin. [...] L'univers ne subsiste qur par la justice qui se fait au sanhédrin. Le rôle du judaïsme, dont le sanhédrin est le centre, est un rôle universel, une diaconie au service de la totalité de l'être » (168).

Le sanhédrin : un croissant de lune

  • Levinas Lectures « Le sanhédrin ressemble au croissant de lune. Allusion, si l'on veut, à la forme semi-circulaire de ce tribunal. C'est donc par ce mot 'arrondie' que se fortifie la disposition des sièges des membres du sanhédrin » (168).

le sanhédrin: règlement intérieur

  • Levinas Lectures « Le breuvage qui remplit la coupe arrondie exprime le règlement intérieur de l'Assemblée. Voici ce qu'il prescrit dans le grand sanhédrin de soixante et onze membres : il faut qu'une permanence de vingt-trois soit toujours assurée. Les membres peuvent donc s'absenter pour vaquer à leurs occupations privées, mais 'le breuvage ne doit jamais manquer', nul ne dispose de sa personne avant que le service public soit assuré. [...] Les obligations au service de tous ne résultent pas des obligations et droits individuels, mais leur préexistent » (168-169).

Les jugements du sanhédrin: vraie nourriture

  • Levinas Lectures « Combien est caractéristique pour l'esprit juif — même populaire — cette assimilation des motifs logiques d'une conclusion à la saveur d'une nourriture substantielle. [...] La raison mange les idées. Les attendus raisonnables motivant un verdict, c'est du bon blé. L'intellect est une vie » (169-170).

Les juges du sanhédrin : des justes

  • LevinasLectures « Ils [i.e. les commentateurs] disent ceci : ces membres du sanhédrin qui tiennent entre leurs mains le sort de l'univers, que font-ils de leurs propres fautes, de leurs propres vices ? Ne sont-ils pas exposés à toutes les tentations comme les hommes mêmes qu'ils sont appelés à juger ? Non. Pour être juges en Israël, il faut des hommes exceptionnels : même quand du péché ne les sépare qu'une bordure de roses ils n'y feront point de brèche. Ils maîtrisent complètement leurs instincts. [...] Une bordure de roses, c'est une clôture très mince. Pour séparer les magistrats du vice, on n'a pas à bâtir un mur de pierres ; il suffit de planter une bordure de roses. La clôture de roses est tentante par elle-même : la main se porte spontanément vers la fleur. Dans ce qui nous sépare du mal réside une séduction équivoque. Cette clôture est moins qu'une absence de clôture. [...] Il ne peut pas y avoir de séparation entre la vie privée et la vie publique du juge. C'est dans l'ordre le plus intime de sa vie privée, dans le jardin — ou l'enfer — secret de son âme que s'épanouit ou s'altère sa vie universelle » (170-171). 

La justice : l'affaire de tous

  • Levinas Lectures « [...] le judaïsme conçoit l'humanité de l'homme comme susceptible d'une culture qui le préserve du mal en l'en séparant par une simple clôture de roses. [....] ce qui tout à l'heure se disait du juge est dit maintenant du peuple juif tout entier » (173).

La justice : pratique nécessaire des mitsvoth

  • Levinas Lectures « Comment de tels hommes [i.e. les justes] se font réalités ? Par la méthode des mitsvoth. L'originalité du judaïsme consiste à s'astreindre [...] : dans les moindres actions pratiques, un temps d'arrêt entre nous et la nature en accomplissant une mitsvah, un commandement. L'intériorisation pure et simple de la Loi n'est que son abolition. [...] pour qu'il y ait justice, il faut qu'il y ait des juges résistant à la tentation, il faut une collectivité qui pratique les mitsvoth aujourd'hui et ici-même. [...] Que le simple fait de race ne soit pas une garantie contre le mal, le Talmud l'a vu et l'a dit mieux que quiconque et avec une violence à peine supportable : l'homme juif sans mitsvoth est pour le monde une menace. [...] Le privilège d'Israël ne réside pas dans sa race, mais dans les mitsvoth qui l'éduquent » (177-180)  (Tradition juive Ct 4,3b).

Philosophie

3 Justice du sanhédrin

Fondement dans la maîtrise des passions

Tradition juive Ct 7,3.

  • Levinas Lectures « Il existe peut-être pour la justice un fondement dans la maîtrise de la passion. C'est dans l'ordre la plus équivoque, mais dans la domination à tout instant exercée sur cet ordre — ou ce désordre — que se fonde la justice par laquelle le monde subsiste. Mais cet ordre, par excellence équivoque, est précisément l'ordre de l'érotique, le domaine du sexuel. La justice ne serait possible que si elle triomphe de cette équivoque, toute grâce et toute charme et toujours toute proche du vice. Le danger qui guette la justice, ce n'est pas la tentation de l'injustice flattant l'instinct de la possession, de la domination et de l'agressivité. Le danger qui la guette est le vice qui, dans notre monde occidental, appartient au privé personnel, qui ne 'regarde personne' et ne compromet pas, à en croire l'opinion des élites intellectuelles, la générosité et la vaillance de ceux qui luttent 'pour le progrès de la justice' » (163).

Morale au coeur de l'homme

  • Levinas Lectures « [...] la morale commence en nous et non pas dans les institutions qui ne peuvent même pas toujours la protéger. Elle exige que l'honneur humain sache exister sans drapeau » (174).

Histoire des traductions

3 Éloge du corps

  •  Levinas Lectures « Ton nombril est comme une coupe arrondie pleine d'un breuvage parfumé ; ton corps est comme une meule de froment, bordée de roses » (152, d'après b. Sanh. 37a).

Philosophie

1,1–8,15 Le Cantique comme symbole de la révélation Rosenzweig Stern (p. 235-242) interprète le caractère dialogal du Ct comme une instance de la structure dialogale de la révélation elle-même.  

  • Une première partie, intitulée « création », décrit une relation non personnelle, en 3e pers. et au passé, entre Dieu et le monde.
  • Au cœur de l'ouvrage, Rosenzweig fait de son commentaire du Ct le fil conducteur de la présentation de ce qu'il appelle « La révélation », c'est-à-dire le passage au « tu » et au présent et ainsi à l'avènement d'une relation personnelle entre Dieu et l'homme. Tout le Ct est un dialogue (à l'exception de Ct 8,6) : il ne dit pas que la révélation est dialogale, il le montre en étant lui-même dialogue et étant presque uniquement cela.

Révélation performée : importance du dialogue

La révélation n'est donc pas pour Rosenzweig la communication d'un ensemble d'informations sur Dieu, mais la naissance d'une relation entre Dieu et l'homme. Le Ct est pur dialogue — sans jamais de passage à la 3e pers. — et histoire au présent. Ces deux caractéristiques sont le fondement de la révélation : le dialogue et le présent.

Il ne s'agit donc plus de parler de la relation entre Dieu et l'homme, comme les prophètes qui décrivaient cette relation à l'aide de la métaphore des noces, mais de faire parler cette relation elle-même.

Révélation lyrique : importance de la subjectivité

Le discours du Ct est donc tout entier porté par la subjectivité.

  • Cela se manifeste par l'importance du « je » sous la forme du je-marqué (’ănî en héb.). Le Ct est le texte biblique qui utilise, proportionnellement à sa taille, le plus ce « je », après le livre du Qo (fréquence de 6,03 emplois pour 1000 mots en Ct, et de 6,50 en Qo).
  • Cela se remarque aussi au fait que les premiers mots du Ct expriment une comparaison : « tes amours sont meilleures que le vin » (Ct 1,2b), c'est-à-dire une appréciation subjective et non un simple constat, auquel cas un comparatif n'eût pas été nécessaire.

Dès le début du texte, la focalisation n'est pas celle d'une narration objective mais celle d'une subjectivité : les choses ne sont pas décrites pour elles-mêmes, l'enjeu est d'emblée perspectiviste. 

Critique de la réception moderne du Cantique

Rosenzweig critique les analyses modernes du Ct (à partir des 18e et 19e s.) qui ont cherché à effacer cette dimension dialogale du texte.

  • Il vise d'abord Herder et Goethe, qui ont fait du Ct un chant d'amour purement humain, prisonniers qu'ils étaient du préjugé que ce qui est humain ne peut être divin et que Dieu ne peut pas aimer. Cependant, leur tentative eut au moins le mérite de conserver cet aspect essentiel du Ct : le fait qu'il s'agisse d'un chant lyrique, de l'expression de deux subjectivités.
  • D'autres tentatives ont suivi, plus condamnables parce qu'elles ont réduit le Ct à un simple récit, narration entre plusieurs personnages : un roi, un berger, une paysanne. Dans ce dernier type d'interprétation le cœur du Ct, à savoir son caractère lyrique, est perdu et l'œuvre demeure incompréhensible.

Arts visuels

1–16 Le Cantique des cantiques

19e s.

Gustave Moreau (1826-1898), Le Cantique des cantiques (huile sur toile, 1853), 300 x 319 cm

conservé au Musée des beaux-arts de Dijon (France) © Domaine public→

1 Reviens, reviens Sulamite ! (= V : 6,12) Interprétation typologique : La Vierge Marie comme Sulamite

Peinture allemande, 19e s.

Franz Pforr est un peintre allemand, membre du mouvement nazaréen. Malgré sa courte vie artistique, il a peint quelques tableaux et une centaine de dessins et il est un des plus importants peintres du romantisme allemand. Il peint Sulamith et Marie un an avant son décès.

Franz Pforr (1788-1812), Sulamite et Marie (huile sur panneau, 1811), 34,5 × 32 cm

Musée Georg Schäfer, Schweinfurt (Allemagne), Inv. MGS 1183 © Domaine public→