Un projet du Programme de Recherches La Bible en ses traditions AISBL
Dirigé par l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem
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20 En ce jour-là l’homme jettera les idoles de son argent et les idoles de son or
qu’il s’était faites pour se prosterner, aux rongeurs
G Vadorer les rats et aux
G Vles chauves-souris
20
21 pour aller
Vet il entrera dans les fentes des pierres et les cavernes des rochers
devant la terreur de YHWH
Vloin de la face effrayante du Seigneur et l’éclat de sa majesté quand il se lèvera pour épouvanter
Vfrapper la terre.
21 ...
22 Arrêtez-vous, loin du mortel qui a son souffle vital dans le nez
Vles narines car quelle valeur a-t-il ?
Vil s'est considéré lui-même élevé.
22 ∅
20 Rats ailés et chauves-souris : messages prophétiques et plénitude évangélique dans le retable de l’Annonciation d’Aix, ou : Quand un artiste dépasse la typologie Les petits animaux évoqués par V—Isaïe ici ont permis en 2024 la réinterprétation passionnante d’un retable majeur de la peinture européenne du milieu du 15e s., montrant comment l’art de la fin du Moyen Âge constitue une véritable exégèse visuelle.
En effet, cette Annonciation célèbre n’exprime pas, comme on l’a longtemps cru, une confrontation entre la vérité du Nouveau Testament et ce qui serait l’obscurité de l’Ancien : leur relation n’y est pas pensée en termes d’opposition, mais dans une parfaite cohérence entre la parole des prophètes et l’accomplissement évangélique.
Une double reconstitution, menée à travers tout le 20e s., forme la base à partir de laquelle un nouveau regard pouvait être mené sur l’œuvre. Le premier point concerne la réalité matérielle du retable.
La merveilleuse Annonciation, visible depuis 1791 dans l’église de la Madeleine, à Aix-en-Provence, n’a longtemps été considérée qu’à travers ce seul panneau peint, d’un auteur resté anonyme. Cette composition d’une extrême beauté avait encore gagné en rayonnement lors de sa présence à Paris, en 1904, à la fameuse exposition des Primitifs français, au Louvre. Mais on ignorait qu’elle constituait le centre d’un triptyque dont les volets avaient disparu lors de la Révolution.
La réapparition de trois panneaux, de 1901 à 1923, a permis la reconstitution d’une œuvre qui prend à nouveau tout son sens. Un personnage en pied réapparaît vers 1900 en Angleterre dans la collection Cook, et une Nature morte aux livres est acquise en 1909 par le Rijksmuseum d’Amsterdam. En 1923 une peinture présentant le prophète Jérémie est acquise par les Musées de Bruxelles. Elle est identifiée comme un volet de l’Annonciation d’Aix, ce qui permet de voir dans le personnage isolé et la nature morte précédente les deux fragments du volet gauche du retable, Isaïe en symétrie de Jérémie.
Le panneau d’Isaïe aboutit en 1958 au musée de Rotterdam. Le retable fermé présentait le Christ et Marie-Madeleine du Noli me tangere.
L’ensemble a été présenté dans plusieurs expositions. L’Annonciation est provisoirement en dépôt au musée du Vieil Aix, pendant la restauration, en cours, de l’église de la Madeleine. Le retable est donc démembré depuis au moins la fin du 18e s., le cœur étant à Aix, les autres éléments à Bruxelles et Rotterdam. Christian Heck propose deux montages, qui permettent de comprendre cette œuvre extraordinaire.
La représentation du Noli me tangere, sur le retable fermé, ne pose pas de problème iconographique particulier. Elle n’est pas à relier à la présence tardive (au 19e s.) du panneau central dans l’église aixoise de la Madeleine, mais simplement à la très grande dévotion des provençaux pour cette sainte.
L’œuvre aixoise n’est pas signée, et les patients travaux des historiens de l’art ont fini par montrer que le Maître de l’Annonciation d’Aix est le peintre qui a réalisé les sublimes miniatures des romans écrits par le roi René, comte de Provence, et qu’il s’agit d’un certain Barthélémy d’Eyck, qui apparaît à de nombreuses reprises dans la comptabilité du roi René, comme peintre en titre.
Il accompagne le roi René dans son expédition napolitaine de 1438 à 1442.
Les archives montrent qu’il est originaire des anciens Pays-Bas, mais son lien familial avec les peintres Hubert et Jan Van Eyck, créateurs du Retable de l’Agneau mystique, à Gand, reste une hypothèse.
Le noble aixois Pierre Corpici, drapier, commande le retable d’Aix dans son testament du 9 décembre 1442, pour sa sépulture prévue à la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix, à droite de l’entrée du grand chœur. Alors que le testament ne donne pas le nom du peintre, la recherche montre que c’est à Barthélémy d’Eyck qu’on le doit, et qu’il est terminé en 1444.
Savoir que ce peintre est l’auteur de l’Annonciation d’Aix n’est pas secondaire si l’on cherche à comprendre l’œuvre, car on sait que Barthélemy était proche du roi René, prince d’une vaste culture, et lecteur assidu de la riche et très variée bibliothèque personnelle qui était la sienne.
Les cadres et les charnières sont virtuels.
On a longtemps vu dans cette œuvre, avant tout, l’expression d’une opposition entre l’Ancien et le Nouveau Testaments. Cette lecture se fondait en particulier sur une erreur d’identification des personnages figurés en statuettes sur le retable de Broederlam à Dijon, et sur la volonté de retrouver une confrontation, à Aix, entre Jérémie qui représenterait l’Ancienne Loi, face à Isaïe symbolisant le Nouveau Testament. Cette vision déformée d’une Annonciation qui exprimerait avant tout ce qui serait la vérité du Nouveau Testament, face à l’obscurité de l’Ancien, reprise et appliquée en un système, a suscité des interprétations ponctuelles partant dans de fausses directions.
Le singe posé au sommet du lutrin est vu « grimaçant », et avec un « air mauvais », représentant « le démon » face à la Descente du Saint-Esprit sous la forme de l’Enfant. Mais la face de ce singe ne présente ni rictus, ni crispation ; il est habité par une attente tranquille, presque sereine. Il est effleuré par la lumière divine qui va essentiellement toucher la Vierge, mais qui ne lui est pas interdite.
De la même manière, les petites figures en grisaille des deux prophètes de l’édicule sont présentées comme « des statues caricaturales », alors qu’il suffit de les regarder réellement pour voir qu’elles correspondent à ce qu’elles représentent dans la pensée médiévale : des personnes dans l’attente de la Révélation, témoins d’une période qui n’est pas en conflit avec l’âge de la grâce, mais qui est une étape, pleine et entière, dans l’histoire totale du monde et dans le plan divin du Salut.
Il faut écarter un autre contresens : l’axe du lutrin posé devant la Vierge, parce qu’il est en forme de vis, a été considéré comme symbolisant le pressoir mystique, image présente dans l’art médiéval, et dans laquelle le Christ est pressé comme une grappe de raisin, son sang devenant la source des sacrements de l’Eglise. Mais s’il est exact que dans de telles œuvres c’est l’action d’une vis qui fait abaisser la traverse du pressoir, celle de notre retable n’a rien à voir avec ce thème, mais est simplement l’axe de la « roue à livres » des clercs et des écrivains du 15e s., qui permettait de présenter divers livres sur un plateau tournant et pouvant se positionner à différentes hauteurs.
Une direction essentielle, la compréhension du retable de l’Annonciation d’Aix, est l’analyse des deux animaux qui occupent les écoinçons de l’édicule de style gothique dans lequel se tient l’ange.
Il faut revenir à l’unité du retable, en particulier dans son aspect ouvert. Puisque les prophètes Isaïe, à gauche, et Jérémie, à droite, sont présents sur les volets et encadrent l’Annonciation, vers laquelle ils se tournent, la lecture des deux livres bibliques qui portent leur nom, et des exégèses de ces textes, apporte un éclairage neuf sur la signification du retable.
Le texte au cœur de ces questions est le verset d’Is 2,20 dans la rédaction de la Vulgate, la Bible lue et utilisée alors. La traduction de ce verset par la philologie du 20e s. ne peut pas être utilisée pour l’étude de la pensée et de la création artistique du Moyen Âge.
Si l’on ajoute d’autres passages d’Isaïe, et des versets de Jérémie, la présence de la chauve-souris et de son compagnon prend une tout autre dimension, essentielle.
Isaïe désigne du doigt la scène centrale du retable, scène qui est la réalisation concrète d’un passage majeur de ses prophéties, bien connu, « Et voici une vierge sera enceinte, elle aura un enfant, on l’appellera Emmanuel » (Is 7,14), verset que l’art médiéval a souvent mis en relation directe avec l’Annonciation. Et nous lisons par ailleurs, dans ces mêmes prophéties, « En ce jour-là, l’homme rejettera loin de lui ses idoles d’argent et ses statues d’or, les images des taupes et des chauves-souris, qu’il s’était faites pour les adorer » (Is 2,20).
De son côté, Jérémie évoque à de multiples reprises « les idoles de Baal » mais aussi Israël « commettant des adultères avec des idoles de pierre et de bois […] ces idoles de bois n’enseignent que le néant […] l’orfèvre est heureux de son idole […] à Jérusalem, des autels où l’on offre l’encens à Baal […] nos pères n’ont eu en partage que de vaines idoles […] les idoles ne sont que vanité, il n’y a point en elles de souffle » (Jr 2,23 ; 3,9 ; 10,8 ; 10,14 ; 11,13 ; 16,19 ; 51,17). Enfin, Jérémie rapporte le reproche que lui transmet le Seigneur, une première fois en disant, « Car les enfants de Juda ont commis des crimes devant mes yeux. Ils ont mis leurs abominations dans la maison où mon nom a été invoqué, pour la profaner », et plus loin, avec encore plus de précision, « Ils n’ont voulu ni m’écouter, ni recevoir le châtiment. Ils ont mis des idoles dans la maison où mon nom a été invoqué, pour la profaner » (Jr 7,30 ; 32,33-34).
Si la chauve-souris est présente sur ce petit édifice qui porte deux statuettes de prophètes, c’est en lien direct avec les deux grands prophètes des volets : Jérémie souffrant de voir que des idoles ont été mises sur la maison où le nom du Seigneur est invoqué, Isaïe annonçant que le temps viendra où l’homme rejettera loin de lui de telles idoles. Les motifs représentés sculptés sur l’édicule ne sont pas là pour un simple effet décoratif, ni pour évoquer le monde des démons. Ils portent un sens fondamental, celui de la critique du culte des idoles, et se comprennent avec une parfaite clarté si on veut bien lire les prophéties des personnages majeurs des volets, témoins de la scène centrale et contribuant à l’insérer dans le récit biblique qui dépasse complètement le temps limité des hommes.
On rejoint ainsi la tradition iconographique et exégétique, qui établit un parallèle, et non un affrontement, entre ce qu’incarnent chacun de ces deux prophètes.
L’ensemble du retable ouvert s’éclaire enfin si on accepte pleinement les représentations des deux volets. L’œuvre manifeste une intelligence des temps successifs du message biblique —l’Ancienne et la Nouvelle Alliance—, à travers l’adéquation parfaite de la figure des prophètes et de l’événement de l’Annonciation.
Un autre éclairage à cette présence de la chauve-souris vient de la scolastique. Dans un très grand nombre de ses textes, l’immense théologien qu’est Albert le Grand, mort en 1280, accorde une place centrale à un passage de la Métaphysique d’Aristote :
Albert reprend systématiquement cette comparaison, et fait de ce rapport de la chauve-souris avec la lumière, l'analogue la situation de l’intellect humain, limité par nature, mais qui peut néanmoins connaître une montée vers le divin. Cf. ; Summa theologiae, L.1, pars 1, prol. ; tr.1, q.5, c.5 (Opera omnia, éd. de Cologne, XXXIV/1) éd.1978, 3.16-17. Barthélémy avait accès à ces textes : le roi René avait, à travers les livres de sa bibliothèque, un intérêt particulier pour la théologie, la patristique et la philosophie. Et la lecture des inventaires de ses livres montre qu’il possédait entre autres la Métaphysique d’Aristote.
, Metaphysica, L.2, c.2, (Opera omnia, éd. de Cologne, XVI/1) éd. 1960, 92Une œuvre majeure de la peinture européenne du milieu du 15e s. trouve ainsi la plénitude de son sens, à travers l’accord profond entre les prophéties d’Isaïe et Jérémie d’une part, et l’évènement de l’Incarnation, d’autre part, et dans une densité d’analyses et d’exégèses – impossible à citer toutes – des Pères de l'Église jusqu’aux figures de la théologie et de la spiritualité tant de l’époque romane que de la scolastique.