La Bible en ses Traditions

Isaïe 7,10–14

M V
G S

10 YHWH

VLe Seigneur  parla encore à Achaz

VAhaz, disant :

10 ...

11 — Demande pour toi un signe venant de YHWH  

Vdu Seigneur ton Dieu

demande-le dans la profondeur du shéol

Vde l'enfer ou sur la hauteur, là-haut !

11 ...

12 Mais Achaz

VAhaz dit : — Je ne demanderai pas, je ne tenterai pas YHWH.

Vle Seigneur.

12 ...

M G V
S

13 Et il dit : — Écoutez donc, maison de David :

est-ce trop peu pour vous d'être pesants pour

Gvous battre contre  les hommes

que vous soyiez aussi pesants mon Dieu ?

Gvous battiez contre le Seigneur ?

13 ...

14 C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : 

voici, la jeune femme

G Vvierge enceinte

Gaura dans le sein

Vconcevra et portant

G Venfantera un fils

l'appelera

Get tu l'appeleras

Vet vous l'appelerez du nom de « Dieu-avec-nous ».

G Vd'« Emmanuel ».

14 ...

Contexte

Repères historiques et géographiques

14s Datation de l'oracle La plupart des spécialistes  datent Is 7,14 du 8e s. av. J.-C., pendant le règne du roi Achaz de Juda (voir Is 7,1).

Réception

Tradition chrétienne

14 Prophétie de la naissance virginale de Jésus Depuis l'usage qu'en a fait Mt 1,22-23  pour rendre compte de la conception miraculeuse de Jésus, le passage est lu comme une prophétie de sa naissance :  Tradition chrétienne Mt 1,18–25 ; Tradition chrétienne Mt 1,23.

Arts visuels

14 vous donnera un signe Signe du Seigneur

Références à Marie et à l'Annonciation

Les prophéties interprétées comme annonçant Marie et la naissance du Christ ont été mises en rapport avec des représentations de l'Annonciation.

12e s.

Le prophète Isaïe, (sculpture, 12e s.), chapiteau, paroi intérieure occidentale

Abbatiale Sainte-Marie→, Souillac (Lot), © CC BY-SA 3.0→

La longueur de la chevelure tombante et de la barbe effilée ainsi que les ondulations des fins plis des vêtements confèrent à la figure un dynamisme nouveau par rapport au style roman.

Le long phylactère (ou rotulus) qu'Isaïe tient illustre le moment où il est appelé par Dieu ; il s'agit également d'un attribut  des prophètes.

16e s.

Renaissance

Matthias Grünewald (ca. 1475-1528), Retable d'Issenheim, L'Annonciation (détail, huile sur panneau de bois, ca. 1512-1516)

Le prophète Isaïe, scène au sein d'un retable, musée Unterlinden, Colmar

© Domaine public→

École vénitienne

Giuseppe Porta (1520-1575), Le prophète Isaïe, (1570), partie gauche d'un retable

chapelle Dandolo, église Saint-François de la Vigne→, Venise, © CC BY-SA 4.0→

L'inscription « Ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitur nomen eius Emmanuel » (Voici que la vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel) fait référence à la prophétie messianique de la naissance de Jésus.

14 la jeune femme est enceinte De l'Emmanuel fils de la vierge au Serviteur souffrant : Isaïe comme cinquième évangéliste ?  

Illustrateur du 19e s. 

Schnorr von Carolsfeld, Julius, 1794-1872, (gravure sur bois, 1860), Oracles messianiques, h. 35 cm, illustration

in Schnorr von Carolsfeld Julius  et Merz Heinrich (1816-1893), Die Bibel in Bildern . 240 Darstellungen, erfunden und auf Holz gezeichnet [1852-1860], Leipzig : Georg Wigand, 1860

Getty Research Institute, © Public Domain→

L'image concentre la vocation d'Isaïe, la vision de la Madone à l'enfant et celle du Christ avec sa croix victorieuse de Satan en une seule illustration des oracles messianiques et des chants du Serviteur.

14 Entre visible et invisible 

Installation contemporaine 

Yal Samuel (1982- ), Avènement (Cire, nylon, leds, papier), 2017, Église de la Madeleine, Paris

Droits réservés © galerie Ariane C-Y →

Cette installation originale est signée des mains de l’artiste Samuel Yav, qui a répondu favorablement à l’invitation de l’église de la Madeleine à venir réaliser en son sein une crèche contemporaine pour Noël. Dans la nuit noire, des mains luminescentes sont rassemblées autour de l’enfant en position fœtale vers lequel convergent tous les regards. C’est une relecture du thème de la Nativité où sont évacuées les figures traditionnelles — rois mages, Sainte famille, animaux — comme la Figure tout court, au profit de fragments corporels suspendus dans l’espace dont les diverses inclinaisons renseignent de l’attitude, tantôt hésitante et tantôt plus maternelle. Réalisées avec la cire des bougies de dévotion du lieu, ces mains sont chargées de l’émotion pieuse des fidèles qui s’y sont recueillis – elles sont la trace laissée par les prières du cœur, conférant à l’œuvre une forte dimension sentimentale. Quant au lit de paille sur lequel repose l'enfant Jésus, il est fait de photographies d’humanités broyées qui ont rejoint l’immatériel, que manifeste l’artiste par l’invisibilité des corps dans la profondeur nocturne de la scène.

Tradition chrétienne

14 jeune femme Ou : G V vierge — Dérivation de sens 

  • Jérôme Comm. Isa. 3,7 : le mot hébreu ‘alma, signifie « cachée et secrète » (PL 24,110). Même nubile, une jeune femme gardée dans une telle discrétion ne peut être que pucelle.

De fait, le nom hébreu ‘alma, signifiant une jeune femme nubile, dérive de la racine ‘ālam, signifiant cacher, dissimuler, garder secret

Mystique

14 jeune femme Ou : G V vierge — La Vierge Marie comme secret ultime du dessein de Dieu S'appuyant sur une tradition aussi ancienne que saint Jérôme ou les traducteurs juifs alexandrins de la Septante (Tradition chrétienne Is 7,14 jeune femme), saint Louis-Marie Grignon de Montfort fait allusion à ce verset dès le début de son célèbre traité marial :

  • Montfort Vraie dévotion2.  « Marie a été très cachée dans sa vie : c'est pourquoi elle est appelée par le Saint-Esprit et l'Église Alma Mater : Mère cachée et secrète (Liturgie Is 7,14 jeune femme). Son humilité a été si profonde qu'elle n'a point eu sur la terre d'attrait plus puissant et plus continuel que de se cacher à elle-même et à toute créature, pour n'être connue que de Dieu seul » (20).

Comparaison des versions

14b jeune femme  : M | G V : vierge Un enjeu dogmatique pour les chrétiens

  • L'hébreu de M-Is 7,14 lit ‘almāh, mot qui se trouve dans le Tanakh en 6 autres endroits (Gn 24,43 ; Ex 2,8 ; Ps 68,26 ; Pr 30,19 ; Ct 1,3 ; 6,8). Il désigne une jeune fille en âge et en condition d'être mariée, réputée vierge. Alma peut naturellement inclure que la fille qui va se marier est encore vierge, mais ne l'impose pas. C'est le terme hébreu betulah, utilisé plus de 50 fois, avec de nombreuses occurrences chez Isaïe, qui a habituellement (mais pas toujours) le sens de « vierge ».
  • La Septante, au 2e ou au 1er s. av. J.-C., traduit alma par parthenos, qui signifie carrément « vierge » (certes, en Gn 34,3 il se réfère à Dina qui vient d’avoir une relation avec Sichem, mais ce « retard » de désignation semble un procédé délibéré, de la part du narrateur qui vient de rapporter le viol, choquant, de celle qui était vierge).La communauté juive d'Alexandrie fait ici plus qu'une traduction, une actualisation. Il s'agit de rendre l'ancien texte hébreu compréhensible pour les Juifs d'Alexandrie. C'est ce texte que les auteurs du NT reçoivent.
  • Dans la polémique juive anti-chrétienne de la fin du 1er s. (les chrétiens appliquant l'oracle d'Isaïe à Marie), les Juifs hellénistiques, dans de nouvelles traductions grecques choisirent un autre mot qui signifie simplement une jeune fille (neanis), éliminant le terme parthenos que lisaient les chrétiens » (Potterie 198879-80, n. ; Tradition juive Is 7,14).

Liturgie

14b jeune femme Ou : G V vierge — Marie comme alma Mater L'adjectif almus,a,um en latin poétique signifie : nourrissant, qui donne vie, ou encore (à propos d'une dieu) : bienveillant, indulgent. Or phonétiquement c'est le presque même mot que le substantif hébreu ‘alma, désignant une pucelle (comme saint Jérôme l'a bien compris Tradition chrétienne Is 7,14). Il apparaît dans au moins deux pièces célèbres du patrimoine grégorien.

  • L'hymne Ave Maris Stella salue la Vierge Marie comme Dei mater alma
  • L'antienne Alma Redemptoris mater, pour le Temps de Noël, la célèbre sous le même vocable. 

Traditionnel ou Hermann de Reichenau (1013-1054)Alma Redemptoris Mater (ton simple)

Chœur des Pères du Saint-Esprit de Chevilly, AlbumÉternel Grégorien 

[Merlin] IDOL Distribution (au nom de Studio SM); UMPI et alii © Licence YouTube standard

Partition tirée du Liber Usualis (1961), p.277.

Texte 

Alma Redemptóris Mater, quæ pérvia cœli porta manes, Et stella maris, succúrre cadénti, súrgere qui curat pópulo :Tu quæ genuísti, natúra miránte, tuum sanctum Genitórem : Virgo prius ac postérius, Gabriélis ab ore sumens illud Ave, peccatórum miserére.

Tendre mère du Rédempteur, qui demeures porte ouverte du Ciel, et étoile de la mer, viens en secours au peuple qui succombe et cherche à se relever : Toi qui as engendré, à la surprise de la nature, ton saint Créateur : vierge avant et après [l’enfantement], la bouche de Gabriel, recevant cette salutation, prends pitié de[ nou]s pécheurs !

Palestrina Giovanni Pierluigi da (ca. 1525–1594), Alma Redemptoris Mater, Antiphona cum quatuor vocibus ad Completorium de tempore Nativitatis usque ad secundas Vesperas Purificationis Beatæ Mariæ Virginis inclusive, 1604, in Motectorum quatuor vocibus : Liber Secundus : partim plena vox et partim paribus vocibus / Ioan. Petraloysii Prænestini. Nunc denum in lucem æditus. Venetiis : apud Angelum Gardanum, MDCIV

The King's Singers→ , How Fair Thou Art: Biblical Passions by Giovanni Pierluigi da Palestrina, piste 1, (CD, 2016)

 Signum Classics→ © Licence YouTube standard

Intertextualité biblique

14 vierge Citation dans le récit de la conception de Jésus par Matthieu La traduction G de Is 7,14 retenue par Matthieu (Références en marge) est à la fois objet de piété populaire et de dogme (Théologie Mt 1,18–25), et sujet à dispute pour les savants : Histoire des traductions Mt 1,23 et les Juifs Tradition juive Is 7,14b.

Liturgie

14 Voici que la vierge - Communion

« Ecce virgo »

Traditionnel, Communion - Ecce virgo

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Is 7,14 Mt 1,23

14 Voici que la Vierge a conçu - Introït

« Ecce Virgo concipiet » Introït

Traditionnel, Introït - Ecce Virgo

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Is 7,14 Mt 1,23 Ps 97,1-12

Introït chanté pour la fête de la Maternité de la Bienheureuse Vierge Marie.

14 De Sion il vient, l'Emmanuel - Antienne

Antienne « De Sion veniet »

Traditionnel, Antienne - De Sion veniet

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Is 7,14

Antienne chantée le dernier jeudi de l'Avent aux laudes.

14.33.22 Grandes antiennes O - O Emmanuel

Les antiennes O 

Dans la liturgie latine, ces pièces encadrent le Magnificat vers la fin des vêpres durant l'octave qui précède Noël. Toutes commencent par l'interjection  « ô » suivie d'un titre issu de l'AT, appliqué au Christ qui vient. Elles constituent ainsi un concentré de lecture messianique des Écritures : Sapientia, Adonai, Rádix Jesse, Clavis David, Oriens, Rex gentium, Emmanuel. Les initiales des titres des sept antiennes, de la dernière à la première forment en latin l'acrostiche ERO CRAS (qui signifie « je serai [là] demain »), qu'on entend durant l'eucharistie de la Nuit de Noël. 

La septième antienne « O Emmanuel »

Traditionnel, Antienne - O Emmanuel

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Is 7,14.33.22

Dans le peuple de Dieu, parmi les Gentils, dans la nature, Il S’est manifesté et annoncé, maintenant Il vient et Il reste avec nous comme Emmanuel. Le divin Roi nouveau-né, dans sa crèche, est l’attente des peuples mais aussi l’accomplissement des prophéties. La nuit prochaine nous apportera l’Emmanuel notre Roi et notre législateur.

Contexte

Textes anciens

14 Voici, la jeune femme enceinte Une formule semblable à Ugarit Annonce de la naissance d'un enfant divin, le fils de la Lune: « Ô déesses Kôṯarātu, ô filles de l’Astre [hirondelles]! Voici qu’une noble fiancée va enfanter un fils [ ] Que (les Kôṯarātu) dirigent vers lui leur regard, (qu’elles) vivifient toute sa chair avec le sang (...) » (KTU3 1.24.6-9, cf. A. Caquot, Textes Ougaritiques I, 392).

Réception

Arts visuels

1,9 ; 6,9 ; 7,14 ; 8,14s Accomplissement des Écritures : la paix perpétuelle

Gravure classique

G, Cranach L. ill (?), Accomplissement des Écritures, (gravure sur bois), h. 36 cm,

in Goeree, Willem (1635-1711), Voor-bereidselen tot de bybelsche wysheid, en gebruik der heilige en kirklijke historien: uit de alder-oudste gedenkkenissen der Hebreen, Chaldeen, Babyloniers, Egiptenaars, Syriers, Grieken en Romeinen... Door een liefhebber der Joodische oudheden [= Préliminaires à la sagesse biblique et à l'usage de l'histoire sainte et ecclésiastique : d'après les mémoires les plus anciens des Hébreux, des Chaldéens, des Babyloniens, des Égyptiens, des Syriens, des Grecs et des Romains... Par un amateur d'antiquités juives], Amsterdam: Goeree, 1690 ; 2 vols., ill, cartes, fol.) 43 illustrations par L. Cranach, 3 par Hans Brosamer, 9 par le Meister der Jacobsleiter et les artistes aux monogrammes AW and MS,

 © Domaine public — numérisation : Pitts Theology Library→ , Candler School of Theology, Emory University,

Sur une stèle que Moïse invite à lire de son index pointé, sont gravés les versets de prophéties accomplies dans le Nouveau Testament. En haut, Moïse tournant le dos à une idole brisée contemple les rois mages apportant leurs présents à l'Enfant.

Liturgie

10–14 CONTEMPLATION Signe de l'Éternel, la Mère de Dieu, Theotokos

Alipi Petcherski, La Vierge du Signe - Orante d'Iaroslavl (tempera sur bois, icône, ca. 1224)

monastère de la Transfiguration, Iaroslav, Galerie Tretiakov, Moscou

© Domaine public→

La Tradition orthodoxe voit en cette icône l’image de la prophétie présentée en Is 7,14 : « le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici, la jeune fille est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel ». C’est l’image prophétique de l’Incarnation. Les mains ouvertes en position d'oraison, Marie offre à notre contemplation « Celui que les immensités célestes ne peuvent contenir, tu le reçus dans ton sein, ô toi plus vaste que les cieux. » Le fond et les reflets d’or de son vêtement évoquent la lumière divine. Les anges, dans les médaillons, invitent à la louange. Elle est le signe de Dieu, le livre vivant ouvert qu’elle présente à notre regard intérieur pour que nous puissions lire la bonne Nouvelle du Salut. Tabernacle, porte sainte, Marie porteuse de Dieu devient le chandelier de l’unique lumière. Il est vraiment Dieu avec nous. L’Emmanuel nous ouvre les bras, en bénissant des deux mains, préfigurant la croix, qui rassemble par sa mort l’univers tout entier. À l’image de Marie, nous accueillons et recevons Dieu, car Il s’incarne en nous aussi par le Saint Esprit. Elle donne à voir pour qu’au cœur de la prière du regard nous allions à Dieu par la foi... (J.-M. N.)

Musique

14 la vierge concevra Annonce de la conception virginale du Rédempteur

18e s.

Georg Friedrich Händel (1685-1759), The Messiah: Behold, a virgin shall conceive, 1741

Ivars Taurins (dir.), Karina Gauvin (soprano), Robin Blaze (contre-tenor), Rufus Müller (tenor), Brett Polegato (bariton)

© Licence YouTube standard→, Is 7,14 Mt 1,23

Paroles

Behold, a virgin shall conceive and bear a son, and shall call his name Immanuel, God with us. Alleluia.

Voici qu'une vierge concevra et portera un fils, et l'appellera Emmanuel, qui signifie « Dieu est avec nous. » Alleluia.

17e s.

William Byrd (ca. 1540-1623), Ecce Virgo concipiet (Gradualia, ac cantiones sacræ… Liber primus), 1610

Stile Antico

© Licence YouTube standard→, Is 7,14

Paroles

Ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitur nomen eius Emmanuel. Alleluia. (Is 7,14)

Compositeur

William Byrd est un compositeur et organiste anglais de la Renaissance. Son importance pour la musique anglaise est aussi grande que la musique d'orgue de Frescobaldi pour la musique italienne. 

Texte

Vocabulaire

14 la vierge (G V) ou (M) : « la jeune femme ». Une crux interpretum depuis des siècles Jérôme, fin connaisseur de l'hébreu et souvent pourfendeur des erreurs de la traduction grecque des Septante (cf. Propositions de lecture Si 1,1), se rallie à la traduction « Vierge », alors que beaucoup aujourd'hui lui préfèrent le banal « jeune femme ». Quelles raisons eut-il de faire ce choix ?  

Lexicographie

Le terme almâ  est rare dans les Écritures : il apparaît 4 x lexicalisé, 6 x non lexicalisé ;o n trouve en outre 5 x 'alûmîm (cf. Pr 30,19) ; 2 x 'elem.

Sémantique

La sémantique de l'hébreu‘almâ est difficile à fixer. 

Évolution
Originairement
  • Le terme désigne l'adolescente vierge jusqu'au début de sa vie fertile. Il s'emploie souvent au singulier et précédé d'un article (3x sur 6 occurrences dans la Bible) ; il relève du lexique le plus ancien (on le trouve en Ps 68, plein de traits archaïques, en Gn, Ex, dans le premier Is et dans Ct) ;  G traduit tantôt parthenos, tantôt neanis selon que les sèmes mobilisés par le contexte dans lequel une parole le mobilise
En hébreu biblique tardif
  • le terme prend une acception musicale. En 1Ch 15,20 qui se contente de translittérer epi alaimôt , il semble désigner une guilde de musiciens, ou bien un registre (soprano?) : cf. Ps 9 ; 46 ; 49. Il est rapproché de la racine ’lm, signifiant être caché (G traduit kruphio, en Ps 9,1 ; 46,1).
  • Correspondant à des pratiques de la société juive hellénistique (3Mac 1,18 ; cf. 2M 3,19 katakleistoi parthenoi) almâ prend aussi des connotations de réclusion, dont témoigne les traductions par apokruphos chez Aquila (Gn 24,43), et des commentaires de saint Jérôme.
Au début de l'ère chrétienne

 Is 7,14 appliqué par Mt 1,23 à la mère de Jésus est au cœur de la polémique judéo-chrétienne :

  • Les uns insistent sur le sème de femme jeune ; les autres sur celui de virginité.
  • Tous deux contenus théoriquement dans le mot en langue, et pouvant être mobilisés dans des proportions diverses dans les paroles qui font concrètement usage du mot : p. ex. Ct 1,3 ; Ct 6,8-9 et Is 54,4-5 perdent leur cohérence sinon leur signification si on ne traduit pas par vierge ou virginité ; en revanche Ex 2,8 ou Ps 68,26 n'imposent pas ce sème ; entre les deux Gn 24,43 et Is 7,14 n'imposent ni n'excluent le sème de virginité
Sémantique différentielle

Par contraste avec almâ :

  • Le terme na'arâ désigne toute jeune fille, mariée ou célibataire, depuis l'enfance jusqu'à la fin de sa jeunesse. On a proposé, entre autres, qu'almâ spécifierait qu'elle est de haut rang : demoiselle, ou d'origine étrangère, ou encore sans enfant, ou mise à part (pour des raisons cultuelles), etc.  
  • Le terme betûlâ désigne toute femme vierge, quel que soit son âge (le terme est surtout employé comme adjectif) ; il s'oppose à ‘almâ qui désigne la jeune vierge (de nombreuses langues distinguent lexicalement le nom de la « vierge » de celui de la « jeune vierge » ; ainsi, le français classique distinguait-il la pucelle de la vierge et l’anglais du 16e s. opposait-il maid à virgin).
  • Ces deux termes figurent dans des livres récents : le premier dans Si 30,20 ; les deux combinés dans Est 2,3 ; cf. Est 2,2.

Conclusion

A la suite de la polémique judéo-chrétienne séculaire, on a parfois cru devoir se ranger à un sens général de « jeune femme » en faisant fi de la complexité du dossier, et du fait que de nombreux textes karaïtes et rabbanites du Moyen Age attestent d'une interprétation diverse de ‘almâ dans la tradition juive, le sens de  vierge restant bien vivant, surtout parmi les rabbins ashkénazes (Tradition juive Is 7,14)

Au terme d'une enquête exhaustive, on constate que retenir pour almâ le sens d'adolescente vierge permet de justifier de façon cohérente l'ensemble des attestation du terme ainsi que l'histoire de leurs réceptions.

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Pour aller plus loin : Christophe Rico, La mère de l’Enfant-Roi, Isaïe 7,14. « ‘ Almâ » et « Parthenos » dans l’univers biblique : un point de vue linguistique (La Bible en ses traditions-Études / Lectio Divina, 258), Paris :  Cerf, 2013.

Anonyme (continuant Albrecht Pfister), Prophète supérieur gauche avec un phylactère, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,

Planche A, f.1v de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,

© Domaine public→

Aux yeux de l’imagier médiéval, Isaïe préfigure ici l’Annonciation : la vierge évoquée par le prophète n’est autre que Marie, figurée au centre de la planche. cf. Arts visuels Lc 1,26–38.