Un projet du Programme de Recherches La Bible en ses traditions AISBL
Dirigé par l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem
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1 Écoutez Mdonc ce que dit Yhwh
Vle Seigneur :
— Lève-toi, engage un procès devant
Vcontre les montagnes
et que les collines entendent ta voix !
1 ...
2 Écoutez, montagnes, le procès de YHWH, et vous, solides fondements de la terre,
car YHWH est en procès avec son peuple,
et veut entrer en débat avec Israël.
2 ...
2 Que les montagnes écoutent le jugement du Seigneur, et les solides fondements de la terre,
car il y a jugement du Seigneur avec son peuple,
et le différend sera tranché en justice avec Israël.
1–4 mon peuple que t'ai-je fait Réappropriation christologique de l'oracle : Impropères de l’Office de la croix contre hymne d’action de grâces Dayenu, une polémique judéo-chrétienne Durant l’après-midi du Vendredi saint a lieu la grande synaxe de l'→Adoration de la croix, dont l’origine remonte à la présentation à Jérusalem des →Reliques retrouvées par l'impératrice Hélène. Chantée au cours de cette cérémonie, une pièce grandiose énumère de douze façons différentes, le crime du « peuple » (juif) ingrat envers son Dieu. La contradiction avec une pièce, non moins saisissante, de la Haggadah de la Pâque juive, mais qui à l'inverse s'extasie devant les bienfaits surabondants du Seigneur, conduit à s'interroger sur leurs relations.
C'est une succession de « reproches » (en latin improperia) de Dieu incarné à son peuple qui Lui inflige les opprobres de la passion en guise d’action de grâce pour toutes les faveurs accordées depuis sa libération de la servitude en Égypte. Dans ce texte, après une reprise de la voix de Dieu en Mi 6,3, Jésus semble, du haut de sa croix, parler à son peuple, décrivant son activité au milieu de lui avant même son incarnation, selon une conception originelle des écrivains du NT, encore vivante chez →1, 62-63 Apol. ; → Dial.127 : c’est déjà le Fils qui parlait à Moïse dans le buisson et aux prophètes).
Le poème complet est daté du 8e s. (ils rappellent certains tropaires des liturgies syrienne et byzantine), répandu aux 11e-12e s., intégré à l’Ordo romain au 14e s.
Apparurent en premier trois Grands Impropères d’origine byzantine, dans le Sud de l’Italie, ponctués du Trisagion en grec et en latin (invocation à la pitié du Dieu saint, Fort et Immortel).
Y furent ajoutés neuf Petits Impropères ponctués non plus de l’imploration doxologique mais du refrain « Popule meus » (Mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi !) qui revient donc dix fois comme autant de reproches au peuple .
Chacun des douze Impropères consiste à mettre en opposition les douze bienfaits dont le peuple juif a été gratifié lors de l’exode et les douze méfaits qui ont frappé Jésus lors de la Passion à cause du même peuple juif.
Le texte (→Grad. 176-181) est un centon biblique mêlant prophéties anciennes et récit de la passion, amplifiant la lamentation de Jésus sur Jérusalem en Lc 19,41-44. Le chœur énumère la liste des bienfaits de Dieu durant l’Exode, l’assemblée répond en implorant la miséricorde du « Dieu saint, Dieu fort, Dieu immortel » — mot à mot : Saint Dieu, Saint fort, Saint immortel (trisagion), en langue vernaculaire, latin et grec.
La mélodie grégorienne du refrain (Popule meus… dans la seconde partie : →MR 325-326) d’abord grave monte doucement, par degrés conjoints, puis par intervalles plus marqués, expressifs de la souffrance de l’âme du Christ, pour retomber lourdement sur la tonique, et se terminer par une mise en demeure à la créature : Responde mihi ! (« Réponds-moi ! »).
Les mots grec athanatos et latin immortalis ont un sens et une mélodie identiques, mais le choeur les traite différemment en fonction de la différence de position de la syllabe accentuée dans le mot.
Pièce d’une grande puissance émotionnelle, elle a parfois été accusée d’avoir entretenu un antijudaïsme radical dans le monde chrétien, en accablant l’ensemble du « peuple » de reproches d’ingratitudes. — Et ce d’autant plus, que les Impropères semblent inverser une hymne de la liturgie juive.
Le rituel du séder de la Pâque juive (Haggadah) contient une hymne d’action de grâce qui énumère les bienfaits dont Adonaï a comblé son peuple en les ponctuant du refrain qui lui a donné son titre : Dayenou, « cela seul nous aurait suffi ! »
C’est une cascade de gratitude du peuple d’Israël envers son Dieu :
Ce texte est connu par un manuscrit du 10e s. mais pourrait être d’origine plus ancienne, tant la tradition juive depuis les Ecritures du retour d’Exil (Ne 9,8-24) s’est plue à reprendre des thèmes et des rhétoriques semblables.
On pourrait être tenté de voir dans les Impropères l’inversion un peu odieuse d’une admirable action de grâce humaine, Dayenu, en volée de reproches divins. Mais la réalité historique est sans doute plus complexe.
Mi 6,1-4 : Dieu intente à son peuple un procès en ingratitude le refrain « Mon peuple, que t’ai-je fait ? » est emprunté à ce passage ; semblablement le chant de la vigne en Is 5,1-7, ou la menace au peuple de ne plus être appelé « mon peuple » en Os 1-2 ; 14 (cf. Ne 9,6-37 ; Ps 78 ; 106 ; Jr 2,5-13 ; Os 11,1-7 ; 13,4-6 ; Am 2,6-16).
Il qui présente des parallèles antithétiques entre bienfaits divins et ingratitude humaine :
P. ex. la qinah de l’office du 9 Av :
Plus généralement, le judaïsme rabbinique porte l’idée d’une mystérieuse correspondance entre transgression et châtiment (middâ kᵉneged middâ « mesure pour mesure » ; cf. Mt 7,2; →Jub. 4,32).
→Ac. Pil. 9 montre Pilate, campé en innocent et crypto-chrétien, reprochant aux Juifs qui l’accusent de ne pas être ami de César de persévérer dans leur ingratitude à l’égard de leurs bienfaiteurs : Dieu jadis au désert, comme le gouverneur romain à cet instant.
→ 96 développe des antithèses entre les Juifs célébrant confortablement la Pâque pendant que Jésus souffre et meurt en croix (autres parallèles avec la Haggada : 46 la question sur le jour Pascha ; 68 le passage de la nuit à la lumière ; 80 allongés sur vos divans moëlleux ; 93 herbes amères).
,→ dans son Sermon 28 sur Fr.Ps 16,1= G-15,1, place la phrase « Garde-moi, Seigneur, mon espoir est en toi » dans la bouche de Jésus et l’amplifie en une suite de rappels des bienfaits que le Christ a réalisés pour son peuple, depuis la délivrance d’Égypte jusqu'à la fin de l’Exode. Les ingrats ne sont pas identifiés, mais ils ne peuvent pas être les interlocuteurs de la voix divine puisqu'elle les désigne à la troisième personne : ils pourraient bien être les auditeurs d’Asterios, qu’il appelle à se convertir.
Historiquement, les Impropères étant attestés au 8e s. et Dayenu seulement au 10e s., on est en droit de penser que le second est une réaction rabbinique aux premiers : c'est d'ailleurs ce que propose Joseph
, The JPS Commentary on the Haggadah, Jewish Publication Society, 2008, p.46. Par leur conditionnement culturel, les Impropères et Dayenu ressemblent à deux résultantes juives d’un même thème, celui des réactions humaines aux bienfaits du Seigneur, selon qu’on reconnaît le messie en Jésus ou non.Théologiquement, ainsi que l'indique la lettre même et le contexte rituel des Impropères, les reproches adressés par Dieu/le Christ à son peuple le sont dans l'ici et maintenant de l’actualisation liturgique. Les chrétiens qui le chantent sont eux-mêmes part du « peuple » pécheur, c’est à eux (d'abord) que les reproches du Christ sont adressés et ils l’implorent en conséquence : prends pitié de nous ! Paradoxalement, la « théologie de la substitution » par laquelle le peuple chrétien se veut part essentielle du peuple juif, garantit les Impropères contre tout antijudaïsme radical.