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Hébreu biblique : la diversité d' une langue antique

→Langue « biblique », l’hébreu, apparu vers le 12e s. av. J.-C., fut supplanté par l’araméen au 5e s. av. J.-C., tout en restant la langue de la liturgie et des savants juifs. 

Petit historique

Les formes les plus anciennes d’alphabet généralement connues (Proto-Sinaïtique ca. 1600 et 1500 av. J.-C. ?, découvert en 1904–1905 au Sinaï par Hilda et Flinders Petrie, et Proto-Cananéen attesté ca 1050 av. J.-C.) sont  sémitiques ; l'hébreu apparaît comme l’une des variétés des divers langages sémitiques en usage dans ce contexte, un dialecte cananéen à l’instar du phénicien et du moabite.

Cependant, en 1993, John et Deborah Darnell, de l'université de Yale découvrit en 1993 deux inscriptions mêlant signes alphabétiques et pictogrammes gravées dans du calcaire à Wadi el Hol, à 80 km de Louxor, qui dateraient de 1850 av. J.-C. : des Sémites auraient ainsi pu inventer l'alphabet au sein de la civilisation égyptienne (Darnell, J. C.; Dobbs-Allsopp, F. W.; et al. (2005). "Two Early Alphabetic Inscriptions from the Wadi el-Hol: New Evidence for the Origin of the Alphabet from the Western Desert of Egypt". Annual of the American Schools of Oriental Research. 59: 63, 65, 67–71, 73–113, 115–124. JSTOR→)

Trace de 16 et 12 caractères des deux inscriptions de Wadi el-Hol (gravure sur pierre, 1900-1800 av. J.-C.)

Route du désert entre Thèbes et Abydos, Égypte

Domaine public→ © D.R. B. Zuckerman  avec L. Swartz-Dodd, "Pots and Alphabets: Refractions of Reflections on Typological Method", MAARAV→.A Journal for the Study of the Northwest Semitic Languages and Literatures, 10: 89)

  • Entre le 10e et le 2e s. av. J.-C. il est principalement connu par la littérature biblique. Les rares attestations extérieures subsistantes (inscription de Siloam, ostraca de Samarie, Arad et Lakish) sont écrites en langue littéraire et ne donnent guère accès à la langue parlée.
  • Dans les textes pré-exiliques (avant le 6e s. av. J.-C.) concernant le royaume du Nord, en s’appuyant sur la connaissance des parlers limitrophes (phénicien, araméen, moabite), on identifie néanmoins des variantes dialectales qui ont échappé à l’uniformisation des →massorètes (en témoigne le célèbre « schibboleth » de Jg 12,5s).
  • Après l’exil de Babylone, la situation linguistique de la Judée évolua rapidement : la langue des textes bibliques postexiliques intégra des expressions venues de la langue parlée ou même de l’araméen (adopté en Babylonie après 586).

La Bible en hébreu porte les traces d’autres langues.

Peut-être pour faire « couleur locale », les narrateur bibliques insèrent des mots égyptiens dans l’histoire de Jacob, ou des mots perses dans celle d’Esther.

  • Ex 10,10 présente même un jeu de mots bilingue en faisant dire à Pharaon : « que YHWH soit avec vous lorsque je vous laisserai partir avec vos enfants ; voyez (re’û) que le mal (ra‘a) est en face de vous ! » On a lu ici un jeu de mots entre l’hébreu ra‘a, le mal, et le nom égyptien du dieu Râ.

La compréhension de la Bible hébraïque passe par l’exhumation de langues et de littératures oubliées

Le contexte est essentiel pour déterminer le sens de termes-clés. Or beaucoup sont des hapax legomena, ou des termes rares, et la Bible à elle seule ne fournit guère de contexte pour en déterminer le sens. En ce cas, les corpus des anciennes langues ou littératures proche-orientales, en particulier l’ougaritique et l’akkadien, sont déterminants. Les langues voisines de l’hébreu sont importantes non seulement pour la philologie, mais encore pour l’histoire des institutions religieuses de l’ancien Israël.

  • Il est presque impossible, par exemple, de commenter le Psautier hébraïque sans comparer ses mots rares avec des mots voisins en ougaritique dont le contexte littéraire est mieux connu (Mitchell Dahood Commentary on Psalms, ABC).
  • Les tablettes de Emar (Syrie centrale, 12e s. av. J.-C., découvertes dans les années 1970), évoquent l’onction d’une grande prêtresse pendant un rituel de 7 jours, rendant ainsi crédit historique au rituel de consécration du grand prêtre décrit en Lévitique, généralement tenu pour une fiction, imitation de rituel royal inventée par les prêtres durant l’Exil pour se parer d’un prestige royal (Wellhausen). En conséquence, c’est aussi la datation du Lévitique qui peut être repensée. Plus généralement ces tablettes de Emar évoquent d’importantes munabiatu (prophétesses), à l'époque où la bible hébraïque situe Miriam ou Deborah ; elles modifient notre image du prophète, en invitant à comprendre l’hébreu NABI' par analogie avec la forme vocalique présente sur ces tablettes (na-bi-i) comme un participe passif (« celui qui est appelé »— d’où l’importance des « récits de vocation »), plutôt que comme un participe actif (« celui qui appelle, qui convoque » un auditoire auquel il s’adresse).