Un projet du Programme de Recherches La Bible en ses traditions AISBL
Dirigé par l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem
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1 Et voici qu’un grand signe
Vmiracle apparut dans le ciel :
une femme revêtue du soleil, et la lune sous ses pieds
et sur sa tête une couronne de douze étoiles.
Sune couronne de douze étoiles sur sa tête.
2 Et elle est enceinte, et
Byz V TR, elle criait en accouchant
TR Nescrie en accouchant
Vcrie, en travail, et en étant au supplice
Velle est crucifiée pour V[pouvoir] accoucher !
2 Et [elle était] enceinte et elle criait en accouchant, étant aussi au supplice pour accoucher.
3 Parut
VSe fit voir aussi un autre signe dans le ciel
et voici, un grand dragon rouge
Vroux
Sde feu ayant sept têtes et dix cornes
et sur ses têtes sept diadèmes
3b sept têtes et dix cornes Zoologie fantaisiste Les animaux polycéphales sont déjà présents dans Dn (un léopard à quatre têtes et une bête à dix cornes en Dn 7,6-7). Là aussi (Intertextualité biblique Ap 12,3b dragon), les têtes et les cornes représentent le pouvoir et la domination.
3b dragon Désignation pour Pompée dans →Ps. Sal. 2,25.
1a.3a.7a dans le ciel Anaphore Le recours à l’anaphore confère au récit sa force incantatoire (voir l’emploi des conjonctions kai « et »). À la vertu expressive de cette figure s’ajoute son effet amplificateur, caractéristique du style prophétique.
1a signe Anastrophe Mise en relief du sujet (ordre des mots marqué SVO) que l’on ne trouve plus au début du v.3 (ordre non marqué VSO).
1a apparut Passif divin Gr : ôphthê, litt. : « fut vu/rendu visible ». Le terme se retrouve dans le kérygme primitif (1Co 15,5-8) et les récits d’apparition du NT. Le grand signe ne fait pas qu’apparaître ; il est solennellement montré, rendu présent.
1a.3b.9a.10a.12b.14a grand + forte — Polyptote Les six occurrences de l’adjectif megas (« grand », « fort ») soulignent la violence de l’opposition entre la puissance des forces du mal et la toute-puissance de Dieu.
11,19–12,17 Liturgie latine : liturgie des Heures Texte lu à l’office des Lectures du commun de la Vierge Marie durant le Temps pascal.
11,19–12,10 Liturgie latine : lectionnaire Texte lu en première lecture lors de la messe de l'Assomption de la Vierge Marie, le 15 août.
1–17 Liturgie latine : liturgie des Heures Texte lu à l’office des Lectures de la fête des saints archanges Michel, Gabriel et Raphaël (29 septembre). Liturgie Ap 12,7–12
1b revêtue du soleil
1c douze étoiles
D’autres commentateurs dispensationalistes, comme McArthur, voient plutôt dans ces étoiles une allusion aux douze tribus d’Israël.
1b la lune sous ses pieds
1–18
Au Moyen Âge l’image de la Femme revêtue du soleil se réfère à la Vierge Marie, à l’Église, ou encore à l’âme chrétienne.
Les deux grandes tendances de l’interprétation du dragon jusqu’à l’époque moderne sont d’y voir la force du mal en général ou bien de l’identifier — avec chacune de ses sept têtes — à des personnages historiques ou contemporains, souvent à des fins polémiques. La victoire sur le dragon est normalement attribuée à l’archange Michel, à saint Georges ou à un autre saint.
À l’époque de la Réforme, Ap 12 est sollicité dans la littérature polémique confessionnelle, où l’on prend des options tranchées pour l’une ou l’autre des interprétations traditionnelles de la Femme : les protestants l’interprètent comme la vraie Église (réformée), tandis que les catholiques y voient Marie conçue sans le péché originel et transportée dans les cieux où elle règne. Quant au dragon, il est régulièrement pris par les protestants pour une allégorie de l’Église catholique, de la papauté ou des puissances catholiques d’Europe.
1–18 Interprétations du combat céleste
1,1–22,21 Allusions à l'Apocalypse
2ss Qumrân : l’enfantement simultané du messie et de son adversaire (l’aspic)
2 elle criait en accouchant Les douleurs de l'enfantement
3b un grand dragon
3b rouge Couleur meurtrière
3b ayant sept têtes
3b et dix cornes
1–18 Depuis le Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, on n’a cessé de représenter des épisodes d’Ap 12. Les sujets principaux sont la femme revêtue du soleil (avec ou sans son enfant [avec ou sans assimilation à la Vierge et à l’Enfant Jésus] et avec ou sans le dragon), et le combat entre l’archange Michel et le dragon (avec ou sans accompagnement d’autres anges rebelles et avec ou sans représentation de la chute en enfer, autre thème iconographique : Arts visuels Is 14,12–15). Vu le très grand nombre d’œuvres qui traitent d’Ap 12, on ne peut donner ici qu’une présentation des plus célèbres, par sujet et par période, en évoquant les grands moments de la réception d’Ap dans les arts visuels.
Aux approches de l’an mille, beaucoup crurent en une prochaine fin du monde, et l’on se tourna vers l’Apocalypse pour essayer de déchiffrer les signes des temps. La création artistique autour du texte atteint une première apogée, dont témoignent plusieurs chefs-d’œuvre de l’enluminure.
Les enluminures des 10e et 11e s. illustrant le Commentaire de l’Apocalypse écrit quelques décennies après l’invasion musulmane de l’Espagne (fin du 8e s.) par
, moine du monastère de Saint-Martin de Liébana (Asturies) sont particulièrement célèbres. Alors qu’Ap est désormais le livre de la résistance chrétienne à l’Islam, l’enluminure mozarabe déploie ses trésors de couleurs et de formes pour l’actualiser. On connaît une trentaine de manuscrits enluminés dont le Beatus de Facundus, le Beatus de Valcavado (vers 970, 97 enluminures peintes par Oveco pour l’abbé Semporius : Valladolid, Biblioteca de la Universidad, ms. 433 ex ms. 390), le Beatus d’Osma (71 enluminures dues au peintre Martinus, cathédrale de El Burgo d’Osma, Beatus 1086, Cod. 1), le Beatus de Piermont Morgan (Beatus de San Miguel de Escalada, près de León, vers 960, 89 enluminures peintes par Magius, archipictor, ms. 644, Pierpont Morgan Library, New York).Au cours du Moyen Âge, l’Apocalypse s’échappe du livre pour envahir l’espace visuel sur d’autres supports, par exemple :
L’œuvre de Dürer est la première Apocalypse imprimée. L’image y tient la première place, le texte n’apparaissant qu’au verso de chacune des gravures. L’artiste imprime lui-même ses planches sans répondre à une commande, prenant un risque financier qui témoigne de son engagement personnel. À l’époque où il grave son Apocalypsis cum figuris, Dürer n’a que 27 ans, mais il est habité par la foi tourmentée qui précède la Réforme. Il appose son monogramme au bas de chacune de ses images. L’œuvre le rend célèbre : Érasme et Alberti la commentent, et Cranach s’en inspire pour illustrer l’Apocalypse du Nouveau Testament de Luther. En France, Jean Duvet s’en inspire aussi pour une Apocalypse gravée en 1556.
Les grands massacres et les profondes interrogations sur l’avenir du monde qui ont endeuillé le siècle de la bombe atomique ont été propices à la reprise du thème de l’Apocalypse. Au tournant du siècle, l’avant-garde expressionniste allemande mêle attente apocalyptique et expressivité artistique : des peintres comme Franz Marc, Vassili Kandinsky, Max Beckmann et Ludwig Meidner se réfèrent explicitement au livre biblique. S’ils ne représentent pas de visions d’Ap 12 en particulier, ils orientent toutefois la réception picturale d’Ap dans deux directions. (1) Chez Kandinsky, le thème de l’Apocalypse s’accompagne d’une recherche spirituelle et esthétique. Selon lui, seule une « purification cataclysmique » pourrait libérer le spirituel enfermé dans le réel. Le passage par la thématique tourmentée d’Ap lui permet d’évoluer à travers l’explosion des couleurs et des formes, vers l’abstraction. (2) Chez d’autres, comme Beckmann et Meidner, Ap suscite un mode de pensée mêlant provocation et révolution, annonçant une ère nouvelle de la pensée et de l’action. Influencés par des catastrophes contemporaines (comme le tremblement de terre sicilien de 1908), à partir de 1909 et 1912, ils composent des toiles inspirées d’Ap, de plus en plus violentes à la veille du conflit mondial.
Parmi les artistes revenus de la Seconde Guerre mondiale :
À notre époque, Ap ne cesse d’inspirer les artistes visuels. Dans un registre expressionniste, on peut citer :
Les techniques digitales permettent de maximaliser à la fois le réalisme et l’onirisme des visions de Jean :
Dans le registre abstrait :
Ce sujet semble avoir intéressé surtout les artistes de la Renaissance.
1–18 Genre apocalyptique Littérature de résistance, la littérature apocalyptique doit nourrir la solidarité de la communauté contre une culture hostile ; ici c'est l'espérance de la communauté qui est relevée par l’hymne de louange (Ap 12,10-12) et le récit de la chute de Satan et de ses coreligionnaires. En conséquence, le recours à un langage symbolique est aux antipodes d’un discours abscons réservé à quelques initiés.
Nourris aux Écritures juives, lecteurs et auditeurs du 1er s. savent interpréter le septénaire (v.3bc) ou l’indication concernant la durée du temps de la persécution (v.6b.14c ; Tradition chrétienne passim ; Procédés littéraires Ap 12,6b).
Les figures et représentations symboliques qui animent ce tableau céleste leur sont également familières, qu’il s’agisse du dragon comme symbole du Mal (Intertextualité biblique Ap 12,3b dragon), des contrastes chromatiques entre l’enveloppe solaire de la femme et la robe rouge du monstre polycéphale, ou de l’opposition entre le ciel et la terre. Un tel langage symbolique souligne l’intensité et la gravité du combat spirituel engagé et éveille le destinataire aux réalités d’en haut.
2 SYMBOLE Enfantement messianique et eschatologique Les douleurs de l’enfantement sont un symbole prophétique de l'avènement d'une nouvelle ère (Is 21,3 ; 26,17 ; 66,7 ; Jr 4,31 ; 6,24 ; 13,21). Elles sont sont évoquées en particulier dans des contextes messianiques :
La tradition évangélique fait abondant usage de ce symbolisme (Mt 24,8 ; Références en marge Mt 28,2a) et le concentre sur la geste pascale de Jésus, en le mobilisant pour raconter :
1–18 Grand signe et combats au ciel La vision de la femme se présente comme un présage (semeion), un symbole à comprendre plus que comme la manifestation d'un être céleste spécifique.
La vision se divise en deux mouvements :
Une séquence d’épisodes aussi grandioses ne pouvait que retenir l’attention des artistes, qui n’ont jamais cessé de les représenter dans des œuvres souvent spectaculaires témoignant à la fois de la riche imagerie du texte et des interprétations qu’en faisaient leurs époques. Arts visuels Ap 12,1–18
Dans la réception chrétienne, ce passage hautement symbolique (Genres littéraires Ap 12,1–18) a donné lieu à deux grands types d’interprétation :
1b une femme L'Église et la Vierge Marie La Femme enveloppée du soleil est, au sens littéral, non seulement Israël-l’Église mais aussi Marie (Tradition chrétienne Ap 12,1b une femme). À l’échelle de l’ensemble du corpus johannique, la mère de Jésus est à la fois un personnage historique et un symbole de la communauté (non seulement d’Israël mais aussi de l’Église), et ce dès le commencement.
L’Évangile selon Jean ne mentionne jamais Marie par son nom, comme pour suggérer que son statut est plus qu’historique (usage analogue à celui de l’expression « le disciple que Jésus aime » pour donner à celui-ci une valeur d’exemple ou de modèle plus général). Elle suscite le premier des « signes » de Jésus, l’amenant à manifester sa gloire et à faire naître la foi chez ses disciples (Jn 2,1-5). Elle reçoit le disciple que Jésus aime comme son fils et elle lui est donnée comme sa mère (Jn 19,25-27). Cette adoption fait des serviteurs et amis de Jésus (Jn 15,15) ses frères (Jn 20,17).
Réciproquement, en Ap 12, la Femme, qui symbolise la communauté (Israël-l’Église), met au monde l’enfant messianique (v.2.5). Si l’enfant peut être identifié à Jésus, sa mère peut aussitôt être identifiée à Marie. De plus, les disciples de Jésus sont également les enfants de la Femme (v.17).
Mais les traits qui décrivent cette « Femme » gardent toute leur dimension figurative : « les supplice pour accoucher » (v.2b), par exemple, ne saurait s’appliquer ni à Marie, ni à l’Église, de façon littéraliste.
1–18 Hypotypose, métonymie, synecdoque pour faire entrer au cœur de l’action surnaturelle Les deux occurrences du verbe « apparaître » (v.1a.3a) soulignent combien le voyant entre dans le cœur du mystère divin, des causes de l’histoire du monde : la femme et son enfantement messianique ; le dragon et son hostilité ; l’enfant, Christ vainqueur. L’amplification est rendue plus sensible grâce au cadre céleste de la vision et à sa dimension cosmique (la queue du dragon traîne le tiers des étoiles, v.4a). Les oppositions aspectuelles entre procès non limités (v.2 « crie », v.4a « traînait », v.4b « nourisse », …) et événements (v.1a « apparut », v.4b « jeta », v.5a « enfanta », …) ; le contraste chromatique entre l’éclat solaire de la femme et la robe rouge du dragon ; la métonymie à valeur méliorative désignant la femme grâce à sa couronne, à sa domination sur la lune et à son manteau ; la synecdoque dépréciative à propos du dragon, avec la monstruosité des sept têtes, soulignent le drame qui se joue.
1–18 Contrastes La dimension visionnaire du passage contraste avec l'accent placé par l'évangile de Jean sur l'écoute plutôt que sur la vision, cependant que l'emboîtement symbolique des personnages dans la femme en rappelle une constante littéraire.
Les deux occurrences du verbe « apparaître » (v.1a.3a) soulignent combien le voyant entre dans le cœur du mystère divin, des causes de l’histoire du monde : la femme et son enfantement messianique ; le dragon et son hostilité ; l’enfant, Christ vainqueur.
L'emboitement des personnages ou actants symbolisés par la Femme ressemble à celui qu'on trouve dans l'évangile de Jean : le prophète/le baptiste/l’évangéliste...
2.5 IDIOLECTE JOHANNIQUE L'enlèvement comme métaphore du mystère pascal ? L’enlèvement de l’enfant peut être compris comme une allusion à l’ascension de Jésus, mais dans la littérature johannique l’exaltation n’est pas dissociée de la mort et de la résurrection du Christ. Il s’agit ici d’un langage symbolique décrivant à la fois
Ces versets évoquent de manière métaphorique le cœur du mystère pascal.
1bc soleil + lune + étoiles TYPLOGIE : motifs
La parure astrale peut renvoyer à Ct 6,10 ; Is 60,19-20, et orienter l’identification du côté de Jérusalem (cf. Littérature péritestamentaire Ap 12,1b).
Dans le songe de Joseph (Gn 37,9), les étoiles représentent les tribus d’Israël.
3b dragon SYMBOLE du mal →Diable, ou Satan, ou Mauvais
Dans l’AT, comme dans d’autres religions de l’Orient ancien, le dragon symbolise les forces chaotiques du cosmos.
D’autres passages utilisent la figure du dragon pour représenter des pouvoirs politiques hostiles à Israël (Nabuchodonosor II en Jr 51,34 ; le roi d’Égypte en Ez 29,3 ; cf. « le prince de ce monde » en Jn 12,31 ; 14,30 ; 16,11).
1–5 Cohérence symbolique et dogmatique de l'interprétation mariale
Outre le « sensus fidei » consulté via une enquête auprès des évêques du monde entier (
Munificentissimus Deus, 8-16) et l’unanimité des Pères et des auteurs ecclésiastiques (Ibid. 20-37), Pie XII s’appuie sur le lien intime qui unit les destinées de la Mère et du Fils, si lui est mort et ressuscité, elle aussi meurt et ressuscite :Munificentissimus Deus, 40. De là la vénérée Mère de Dieu, de toute éternité unie de manière cachée à Jésus-Christ dans un seul et même décret de prédestination,(47) immaculée dans sa conception, une vierge très parfaite dans sa divine maternité, la noble associée de le divin Rédempteur qui a remporté un triomphe complet sur le péché et ses conséquences, a finalement obtenu, comme l'aboutissement suprême de ses privilèges, qu'elle soit préservée de la corruption du tombeau et que, comme son propre Fils, ayant vaincu la mort, elle pourrait être élevée corps et âme à la gloire du ciel où, en tant que reine, elle siège dans la splendeur à la droite de son Fils, le Roi immortel des âges.
Une objection à l’interprétation mariale traditionnelle (Tradition chrétienne Ap 12,1b une femme, Haymon d’Auxerre) estime que les souffrances de parturiente de la femme seraient incompatibles avec la foi en l’immaculée conception et la virginité perpétuelle et de Marie, avant, pendant et après son accouchement. L’objection est cependant dissipée si l’on interprète ces douleurs comme des figures de la compassion de Marie, annoncée par la prophétie de Siméon (Lc 2,35) et accomplie lors de la passion (cf. Jn 19,25-27). Appelée « femme » au pied de la croix (Jn 19,26), elle est ici désignée comme mère de tous les disciples qu’elle enfante dans la douleur (Ap 12,2).
La richesse du langage symbolique de l’Apocalypse ne s'oppose pas au réalisme de l'incarnation, ni l’interprétation ecclésiologique aux interprétations christologique et mariales, fondées dans la relation personnelle et organique entre le Christ-tête et l’Église, son corps, synthétisée dans la notion augustinienne de « Christ total » (cf. →CEC 795-796).
1b une femme
L’interprétation mariologique n’entame en rien l’importance de l’approche ecclésiologique aux yeux des auteurs médiévaux.
Il s’agit de plus que d’une analogie formelle : non seulement la destinée de Marie ressemble à celle d'Israël et de l’Église, mais elle en est une partie intégrante (Marie est « fille de Sion » et « mère de l’Église ») en même temps que l’exemple même (Marie est « mère de Dieu »).
1 Liturgie latine : TEXTE
Capitule de
1,11 ; 12,1 ; 15,1 ; 19,13 — Ce que tu vois, écris-le dans un livre + je vis dans le ciel un autre signe + son nom est « Verbe de Dieu » ... Contempler et transmettre le contemplé
À Patmos, Jean compose un étourdissant concentré de symboles bibliques. Il tire sa scénographie de la littérature juive, depuis ses adaptations de cosmogonies archaïques jusqu'à l’épopée nationale reconstruite en temps d’Exil et aux attentes messianiques déçues au temps du retour…
Mais il la tire tout autant du lieu où il se trouve. Les scribes juifs, à partir du 5e s. av. J.-C., ont affirmé toujours plus fortement la souveraine domination de leur Dieu comme Dieu unique et transcendant et son ultraproximité comme créateur de tout à partir de rien. Au premier siècle de notre ère, le →1 Hén. (43,4) établit une correspondance entre les deux et dans l’énigmatique →Asc. Is. (7,10) ce qui advient au firmament des cieux advient aussi sur la terre. Pour le juif qu’est Jean de Patmos, parce qu'elle est pensée et parlée par le Créateur avant même que l’homme ne lui prête ses mots, la nature est gorgée de signification qu’il appartient au poète et au prophète de découvrir.
Sur la formidable composition de Memling, on repère facilement la liturgie céleste (Ap 1,12-16 ) autour de l'Agneau (Ap 15,1-4) ; la vision de la Femme (Ap 12,1-17), les quatre cavaliers dans l'ordre...
Sur l’une des toiles de son célèbre diptyque de 1640, l’amoureux de l’art antique que fut Nicolas Poussin place avec raison saint Jean — écritoire en main — face à un piédestal de section cruciforme, au cœur d’un paysage avec mer, montagne et vestiges antiques intacts, en un contraste subtil avec le Paysage avec saint Matthieu et l'ange, où les eaux d'un Jourdain symbolique semblent aussi séparer l'évangéliste du Temple grandement ruiné à l'arrière-plan.
Poussin a génialement compris le rapport intime qui lie les écrits de l’évangéliste du Logos incarné et l'inscription de ce même Logos dans le cosmos de Patmos où il séjournait...
1 une femme revêtue du soleil Iconographie dogmatique : Dormition et/ou Assomption La tradition voit dans ce passage la figure de la Vierge, élevée au ciel dans la gloire. À partir de ce passage et des textes apocryphes, l’iconographie de l’Assomption se répand à partir du Moyen Âge. Trois traditions se dégagent. Au Moyen Âge on privilégie le moment de la Dormition où le Christ vient chercher l’âme de sa mère. Les peintres peuvent aussi faire le choix de représenter la Vierge s’élèvant toute seule au ciel, ou encore portée par des Anges : c’est cette dernière iconographie qui sera retenue par les artistes de la Renaissance. Le thème de la Vierge en gloire revêt bien sûr une importance particulière aux yeux de l’Église dans le contexte de la Contre-Réforme.
1 Un grand signe dans le ciel Ce signe dans le ciel est non seulement marial, mais aussi christique.
La Vierge, toute de blanc vêtue, illumine la nuit au milieu des astres colorés qu’elle domine.
Puisque la vision montre aussi les souffrances du Messie, on peut la rapprocher de ces autres « signes » que furent des apparitions de la Croix dans l'histoire du christianisme.
« Un grand signe apparut dans le ciel… ». Au cœur de l'obscurité on est comme entraîné par une myriade d’étoiles autour de la croix. Elle est accompagnée des symboles des évangélistes, les quatre vivants répartis dans les angles. Leurs paroles conduisent au centre de la voûte, où un monde nouveau se manifeste, unifié par la croix victorieuse au milieu d’une constellation de luminaires qui chantent l’hymne de Venance Fortunat : « Fulget crucis mysterium ». Le « mystère de la croix qui resplendit » est qu’elle devient l’axe du monde, l’unique source d’un salut universel qui en rayonne. La nuit étoilée laisse poindre un jour nouveau où la croix transperce une obscurité qui semblait absolue pour venir illuminer la ténèbre. En ce ciel apparaît « le signe du Fils de l’Homme… » : en nos nuits souvent privées d’étoiles, que la croix ouvre les cieux de nos cœurs pour révéler l’éternelle présence du Christ en nos vies… (cf. P. J-M. Nicolas)
2 et elle criait dans les douleurs de l’enfantement La dévotion des Sept Douleurs Selon le dogme marial, certains traits de la vision n’ont pas d’équivalent direct dans la vie de Marie. Cependant, les douleurs de l’enfantement peuvent être comprises comme les souffrances morales de la Mère de Jésus commémorées dans la dévotion populaire des « Sept Douleurs ».
Cette miniature de la Renaissance qui représente les sept douleurs de la Vierge fait écho à la parole de Siméon : « …et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée… » (Lc 2,35). Vers le cœur de Marie sont pointées sept épées symboliques dont les pommeaux s’ornent de médaillons où sont représentées ses souffrances de « Mater Dolorosa » : 1. La prophétie de Siméon lors de la Présentation au Temple. 2. La fuite en Égypte. 3. La disparition de l’enfant Jésus resté au Temple avec les docteurs de la Loi. 4. Le portement de croix. 5. La crucifixion. 6. La descente de la croix. 7. La mise au tombeau. Cette dévotion populaire apparaît au 14e s., instituée par l’ordre des Servites de Marie, avec la récitation du chapelet pour les souffrances du peuple ravagé par les épidémies et les guerres.
Car c’est elle, la Mère de Dieu, qui « méditait tout cela en son cœur » : elle a la tête légèrement inclinée, les yeux clos, non pour conférer à l’œuvre une vision doloriste mais révéler aux hommes la force de la prière au cœur des épreuves. En effet la dominante bleue, couleur à la fois mariale et céleste, représente dans cette miniature la puissance du salut : au plus profond de la souffrance, Marie est cette figure de foi, d’espérance et de compassion… Sur ce chemin du calvaire, où ses sept douleurs répondent aux cinq plaies du Christ (les deux mains, les pieds, la couronne d’épines et le côté), elle nous accompagne vers la Pâque de son Fils… (Cf. P. J.-M. Nicolas)
Le thème est si profond qu'un même peintre y revient à plusieurs reprises, par exemple :