La Bible en ses Traditions

Job 9,1–23

M V
G S

Job répondit et

VEt répondant, Job dit :

...

M G
S
V

— Vraiment je sais qu'il en est ainsi, comment donc un homme serait-il juste avec Dieu ?

...

— Vraiment je sais qu'il en est ainsi et que l'homme ne peut être justifié comparé à Dieu.

M V
G S

S’il lui plaisait de contester

Vveut disputer avec lui, il ne lui répondrait pas à une chose sur mille

Vpourra répondre une chose sur mille.

...

M
G S
V

Cœur sage et grande force :

qui lui résisterait et serait en paix ? 

 ...  

Il est sage de coeur et puissant de force : qui lui a résisté et a eu la paix ? 

Il déplace les montagnes et elles ne le savent pas, elles qu'il renverse dans sa colère

...

C'est lui qui a déplacé des montagnes, et ceux qu'il a renversé dans sa fureur ne s'en sont pas aperçus.

lui qui secoue la terre sur sa base, et ses colonnes sont ébranlées

...

C'est lui qui ébranle la terre sur sa base, et dont ses colonnes sont renversées.  

lui qui commande au soleil et il ne se lève pas ; quant aux étoiles, il les scelle

...

C'est lui qui commande au soleil et il ne se lève pas, et qui renferme les étoiles comme sous un sceau.

Lui seul étend les cieux, il marche sur les hauteurs de la mer.

...

C'est lui seul qui étend les cieux et qui marche sur les flots de la mer.

Il a créé la Grande Ourse, Orion, les Pléiades et la chambre du sud

...

C'est lui qui a fait Arcturus, Orion, les Hyades et les intérieures du midi.

10 Il fait des prodiges sans mesure des merveilles sans nombre.

10 ...

10 C'est lui qui a fait de grandes choses, incompréhensibles et merveilleuses qui sont sans nombre.

11 Voici, il passe près de moi et je ne le vois pas il s'en va et je ne le comprends pas

11 ...

11 S'il venait à moi, je ne le verrais pas, s'il s'en allait, je ne m'en apercevrais pas.

12 S’il saisit, qui le fera rendre ? Qui lui dira : — Que fais-tu ?  

12 ...  

12 Si subitement il interrogeait, qui lui répondrait ? Qui peut lui dire : — Pourquoi agis-tu ainsi ?

13 Dieu sa colère ne revient pas sous lui s'inclinent les appuis de Rahav   

13 ...

13 Dieu dont personne ne peut résister à la colère et sous lequel se courbent ceux qui portent l'orbe,

14 moi alors je lui répondrais ? je choisirais des paroles avec lui ?

14 ...

14 combien grand suis-je donc, moi, que j'aille lui répondre et parler avec lui avec mes propres mots ?

15 lui à qui même si j'étais juste je ne répondrais pas je chercherai la faveur de mon juge ?

15 ...

15 Quand j'aurais en moi quelque justice, je ne répondrais pas, mais j'implorerais mon juge

16 Si j'appelle et qu'il me répond je ne croirai pas qu'il ait écouté ma voix.

16 ...

16 et s'il me prêtait l'oreille lorsque je l'invoquerais, je ne crois pas qu'il écouterait ma voix !

M V
G S

17 Lui qui me brise

Vbrisera dans la tempête

Vun tourbillon et multiplie gratuitement

Vmultipliera sans raison mes blessures

17 ...

M
G S
V

18 il ne me laisse pas reprendre mon souffle mais il me rassasie d'amertume :

18 ...

18 il ne concède pas à mon esprit de se reposer et il me remplit d'amertumes.

19 par la force ? Voici le puissant.

Par la justice ? Qui m'assignera ? 

19  ...  

19 Si on en appelle à la force il est le plus fort.

Si on en appelle à l'équité du juge personne n'oserait se dire témoin en ma faveur.

20 Si je suis juste ma bouche me condamnera

je suis pur il me déclarera coupable

20 ...

20  Si je voulais me justifier, ma propre bouche me condamnerait ;

si je voulais me montrer innocent, il me prouverait méchant.

21 Je suis pur ? Mon âme ne le sait pas je méprise ma vie.

21 ...

21 Quand bien même je serais simple, mon âme l'ignorerait et j'aurais du dégoût pour ma vie.

22 Elle est une, c'est pourquoi je dirai ; le pur et le méchant, lui il les achève

22 ...

22 Je dis une seule chose ; lui consume et l'innocent et l'impie. 

23 Si un fléau tuait soudain ! Il se moque de la détresse des innocents.

23 ...

23 S'il flagelle, qu'il tue d'un coup et qu'il ne rie des peines de l'innocent.

Réception

Philosophie

23 il ne rie des peines de l'innocent Réflexions concernant l'amour de Dieu et le malheur Ce verset est repris par la philosophe Simone Weil dans son essai « L’amour de Dieu et le malheur », figurant dans le recueil Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu, (Espoir), Paris : Gallimard, 1962. À cause de ce verset, elle n’hésite pas à considérer Job comme un archétype du malheur : à l’image du Christ, il éprouve de la façon la plus profonde l’absence même de Dieu.

  • Weil Pensées « Le Livre de Job, d’un bout à l’autre, est une pure merveille de vérité et d’authenticité. Au sujet du malheur, tout ce qui s’écarte de ce modèle est plus ou moins souillé par le mensonge » (89).

Le malheur, bien au-delà de la souffrance

La philosophe commence par une distinction entre malheur et souffrance. Si la souffrance ne laisse pas de trace de son passage, le malheur « s’empare de l’âme et la marque, jusqu’au fond, d’une marque qui n’appartient qu’à lui, la marque de l’esclavage » (Weil Pensées, 85). Irréductible, le malheur frappe l’âme durablement et déracine la vie de celui qui en est affecté. C’est dans les profondeurs du malheur que se manifeste l’absence de Dieu. Cette expérience d'abandon, de solitude et de désarroi est celle-là même qui : « a contraint le Christ à supplier d’être épargné, à chercher des consolations auprès des hommes, à se croire abandonné de son Père » (Weil Pensées, 88).

Le malheur comme expérience du vide

Dans les tréfonds du malheur, l’homme éprouve le néant, la vacuité, l’inanité qui tarit l’amour :

  • Weil Pensées « Le malheur rend Dieu absent pendant un temps, plus absent qu'un mort, plus absent que la lumière dans un cachot complètement ténébreux. Une sorte d'horreur submerge toute l'âme. Pendant cette absence il n'y a rien à aimer. Ce qui est terrible, c'est que si, dans ces ténèbres où il n'y a rien à aimer, l'âme cesse d'aimer, l'absence de Dieu devient définitive. Il faut que l'âme continue à aimer à vide, ou du moins à vouloir aimer, fût-ce avec une partie infinitésimale d'elle-même. Alors un jour Dieu vient se montrer lui-même à elle et lui révéler la beauté du monde, comme ce fut le cas pour Job. Mais si l'âme cesse d'aimer, elle tombe dès ici-bas dans quelque chose de presque équivalent à l'enfer » (89).

Dans le gouffre du malheur, se creuse la distance entre l’homme et Dieu :

  • Weil Pensées « Les hommes frappés de malheur sont au pied de la Croix, presque à la plus grande distance possible de Dieu » (92). 

Le malheur comme vocation à l'amour

Paradoxalement, cette distance incommensurable peut être source d’une infinie détresse tout comme d’un amour infini :

  • Weil Pensées« Mais cette distance n’est séparation que pour ceux qui aiment. Pour ceux qui aiment, la séparation, quoique douloureuse, est un bien, parce qu’elle est amour. La détresse du Christ abandonné est un bien. Il ne peut pas y avoir pour nous ici-bas de plus grand bien que d’y avoir part » (95).

La distance d’avec Dieu, proportionnelle au malheur, peut se résorber grâce à l’amour de Dieu, le seul qui sauve. En ce monde déterministe, régi par des mécanismes aveugles, où les horreurs sont comme les plis imprimés aux vagues par la pesanteur et les criminels comme des tuiles que le vent détache et qui tombent au hasard (image que Weil reprend à Spinoza), l’auteur avance l’amour, non comme une affectation ou un sentiment mais comme volonté :  

  • Weil Pensées « Il faut seulement savoir que l’amour est une orientation et non un état d’âme » (104). 

Dans le malheur l’homme perd pied. Transpercé, il est cloué, l’âme perforée en son centre. Il subit, endure, pâtit, n’a aucune prise : « Il se débat comme un papillon qu’on épingle vivant sur un album. Mais il peut à travers l’horreur continuer à vouloir aimer » (ibid.). 

Le malheur soulagé par la Croix 

Le seul soulagement possible est la Croix :

  • Weil Pensées « Partout où il y a le malheur, il y a la Croix, cachée, mais présente à quiconque choisit la vérité plutôt que le mensonge et l’amour plutôt que la haine. Le malheur sans la Croix, c’est l’enfer, et Dieu n’a pas mis l’enfer sur terre » (124). 

En effet, la croix du Christ éclaire le malheur. Dans le silence de Dieu, en son absence même, un visage apparait, le visage de l’amour : « Le vrai malheur, une seule chose permet d’y consentir, c’est la contemplation de la Croix du Christ. Il n’y a rien d’autre. Cela suffit. » (Weil Pensées, 125) 

Simone Weil, L'amour de Dieu et le malheur,  1942 – texte intégral, livre audio, 2021-10-28, Alètheia,

Musique : Dmitri Chostakovitch, 1er mouvement du 15e quatuor à cordes de (1974), interprété par le Danish String Quartet - Photographie : vue sur Liverpool, extraite de Terence Davies, Of Time and the City (documentaire, 2008).

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