La Bible en ses Traditions

Luc 1,21–25

Byz V S TR Nes

21 Et le peuple Sse tenait là et était dans l'attente de Zacharie

et on s’étonnait qu’il s’attardât dans le sanctuaire

Vtemple.

22 Quand il sortit, il

S Zacharie ne pouvait leur parler

et ils comprirent qu’il avait eu une vision dans le sanctuaire

Vtemple.

Et lui leur faisait des signes, et il demeurait muet.

23 Et il arriva,

Sil advint, quand furent accomplis les jours de son service, qu'il s’en retourna chez lui

Vqu'il s'en alla dans sa maison.

24 Après ces jours-là, sa femme Élisabeth conçut

et elle se tenait cachée cinq mois, disant :

Byz S TR Nes
V

25 — Ainsi a fait pour moi le Seigneur, aux jours où son regard sur moi a permis d'enlever mon opprobre parmi les hommes. 

25 — C'est ainsi que le Seigneur a fait pour moi aux jours où il m'a regardée pour me délivrer de mon opprobre parmi les hommes. 

Réception

Arts visuels

4–38 Des « mots » humains (verba) au Verbe divin  (verbum) et retour : modélisation visuelle de l'Annonciation Cf. Littérature Lc 1,4.20.37s. Luc met fortement en scène l'ordre du langage et de la parole au début de son évangile. 

  • Le prologue distingue l'objet de l'histoire à raconter, matière première de l'évangile (Lc 1,1 : narratio ; sermo rerum), et l'enseignement reçu par Théophile, Évangile à proprement parler (Lc 1,4 : verba), tout en insistant sur l'écriture (Lc 1,3).
  • Les deux Annonciations (à Zacharie puis à Marie) insistent sur les « noms » donnés (Lc 1,26-27 : cui nomen...) ou à donner (Lc 1,31-32 : vocabis nomen ejus ; et vocabitur...). Ils mettent en scène le processus de production de la parole humaine, distinguant entre le silence (imposé à l'incrédulité de Zacharie Lc 1,20), la parole intérieure (première réaction de Marie en Lc 1,29), et la parole extérieure (première réaction de Zacharie en Lc 1,18-19).
  • Au sommet du récit de l'annonciation à Marie, l'unique nom verbum concentre : l'annonce de l'ange évanélisateur (Lc 1,19) des verba divins performatifs (Lc 1,20), les événements qu'elle contient, et leur réalisation  (Lc 1,37 non est impossibile apud Deum omne verbum ; Lc 1,38 fiat mihi secundum verbum tuum).

Les artistes sont parvenus à visualiser ces différents états du Verbe et de ses participations dans les verba humains. 

Le Verbe divin

Ce Verbe s'incarne, il est acte. Le texte ne le dit, mais la Tradition l'affirme : le Verbe féconde miraculeusement le ventre de la Vierge. Il se fait chair. L'énonciation est genèse réelle. Le corps du Christ se forme et s'anime, déjà sanctifié. Il y a là un mystère, analogue à celui de la création : les lois naturelles sont bouleversées.

Une figuration écartée, l'homoncule
  • Certaines représentations byzantines ou russes, par exemple l'Annonciation d'Oustioug→, montrent, dans le corps même de Marie, un Christ enfant déjà tout formé. À partir du 15e s. en Occident, les artistes représentent parfois, dans les rayons divins (ou non), l'Enfant Jésus en homoncule portant la croix (ou non), descendant vers la Vierge à la suite de l'Esprit-Saint.

Barthélemy d'Eyck (fl.1444-1469), Envoi du Fils par le Père : Jésus homuncule dans les rayons, détail du panneau central du Triptyque de l'Annonciation d'Aix, (huile sur panneau de bois, ca 1442-1445)

Aix-en-Provence, église de la Madeleine, en dépôt temporaire au musée du Vieil Aix

D.R. photo Meisterdrücke→ © Domaine public

La doctrine représentée, à savoir que le Christ n'aurait pas été conçu in utero, mais serait entré tout formé dans le sein de Marie, dépendante d'une savante négociation entre motifs antiques, médecine et théologie médiévales, fut plus tard condamnée par le concile de Trente, qui interdit en conséquence les représentations du Christ en homoncule.

Les artistes étaient donc invités à privilégier des représentations plus subtiles, plus fidèles à l'apophatisme que l'Écriture parvient à maintenir au moment même de la cataphase divine. Mystérieux, silencieux mais secrètement résonnant-raisonnant dans l'échange entre l'ange et la femme, il n'est pas thématisé d'emblée, sinon comme l'ensemble de l'annonce et de ce qui est annoncé (Lc 1,34 istud) finalement récapitulé en verbum  (Lc 1,37 : non erit impossibile apud Deum omne verbum).

La lumière et la ténèbre pour figurer l'Infigurable
  • On ne l'entend ni ne le voit : mais il se montre dans la clarté de ce ciel ouvert et des rayons qui en dardent vers la scène. 

Le Titien (1490–1576), L'Annonciation, (huile sur toile, 1520), 207×179 cm

Cathédrale de Trévise, Italie © Domaine public→ 

La où le Titien insistait sur le miracle en montrant Marie se couvrir le ventre de son voile bleu, Nicolas Poussin suggère le mystère en obscurcissant jusqu'au noir le sein de Marie, visuellement obombrée par l'Esprit symbolisé en colombe :

Nicolas Poussin (1594-1665), L' Annonciation, (huile sur panneau de bois, ca. 1635), 45 × 38 cm, Pendant de La Nativité de Münich,

Collection de peintures de l'État de Bavière, Nouveau château de Schleissheim, Oberschleissheim © Domaine public→ 

Le verbe angélique

Le verbe angélique (Lc 1,28-29 : dicere, sermo, salutatio) fait de mots porteurs de véritables verba Lc 1,20.37-38), prend l'aspect corporel de l'humain ailé, pour marquer sa médiation entre terre où l'on marche et ciel où l'on vole. La voix de l'ange est médiation, à la fois annonce et demande, entre l'Énonciateur divin et l'énonciataire humaine.

  • La gestuelle expressive des anges du Titien et de Poussin exprime ce verbe angélique. Dans d'autres œuvres, plus anciennes, Gabriel se multiplie, visuellement :

Anonyme, La double annonciation, (mosaïque, 432-440)

arc de triomphe de Sainte-Marie Majeure, Rome, © Domaine public→, , 

(Marie, assise en train de filer le fil pourpre pour le voile du Temple, selon les écrits apocryphes, est entourée d'anges. L'ange Gabriel est représenté plusieurs fois pour indiquer ses actions successives: il arrive en volant dans le ciel puis, se tenant debout à gauche de la Vierge, il lève la main, signe qu'il prend la parole. Le Saint Esprit sous la forme d'une colombe descend sur Marie. Saint Joseph à droite devant une maison distincte de celle de Marie puisqu'ils n'ont pas encore mené vie commune, tient un bâton à la main. L'ange Gabriel, se tourne vers lui et lui parle.)

  • Parfois, c'est un phylactère qui matérialise le verbe angélique, comme sur ce panneau de triptyque de Lucas van Leyden, qui déploie, autour d'un un sceptre (attribut substitué au bâton du messager, héritage mythologique de Mercure messager des dieux), pointé à la fois vers les sein de Marie et vers le Livre où elle méditait, un philactère où se lisent les mots « Ave Maria gratia plena », presque effacés, et « Dominus tecum » dans la boucle où se fixe le regard de la Vierge : 

Lucas van Leyden (vers 1494-1533), L'Annonciation, (huile sur panneau de bois, 1522), 42,2 x 29,2 cm

Alte Pinakothek, Munich, Allemagne © Domaine Public→  

Le verbe humain

Le verbe de Marie est une simple parole de femme, qui raisonne et demande Quomodo (« Comment cela ? ») puis acquiesce Ecce... (« Voici ! ») et finit par s'ouvrir à la réalisation effective du ... verbe : Fiat mihi secundum verbum tuum (« Qu'il m'advienne selon ton verbe »). Son fiat fait aussi allusion au fiat du Verbe divin créateur de la Genèse (Gn 1,3.6, etc.) : ses verbes humains sont déjà efficaces, de par son accueil actif du Verbe divin. 

  • Les artistes représentent ce verbe de Marie par les gestes, parfois très rhétoriques, qu'elle adresse à l'ange qui lui parle, souvent accompagnés d'un livre ouvert où déjà la Vierge entendait le Verbe incorporé aux Écritures, avant qu'Il ne vienne s'incarner en elle. Outre les peintures ci-dessus, voyez l'admirable Rubens en Arts visuels Ps 103,20.