La Bible en ses Traditions

Luc 1,37

Byz V S TR Nes

37 car aucune parole n'est impossible à

Nescar aucune parole n'est impossible de la part de 

Vcar aucun verbe ne sera impossible auprès de

Scar aucune parole n'est difficile pour Dieu.

Réception

Liturgie

26–38 l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu L'Annonciation comme fondement liturgique

CONTEMPLATION Signe de l'Éternel, la Mère de Dieu

Alipi Petcherski, La Vierge du Signe - Orante d'Iaroslavl, (icône, tempera, ca. 1224)

Monastère de la Transfiguration, Iaroslav, Galerie Tretiakov, Moscou→, © Domaine public

La Tradition orthodoxe voit en cette icône de la mère de Dieu l’image de la prophétie d’Isaïe (Is 7,14) : « le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici, la jeune fille est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel ». C’est l’image prophétique de l’Incarnation. Les mains ouvertes dans la position de l’orante, Marie offre à notre contemplation « Celui que les immensités célestes ne peuvent contenir, tu le reçus dans ton sein, ô toi plus vaste que les cieux. » Le fond et les reflets d’or de son vêtement évoquent la lumière divine. Les anges, dans les médaillons, invitent à la louange. Elle est le Signe de Dieu, le livre vivant ouvert qu’elle présente à notre regard intérieur pour que nous puissions lire la bonne Nouvelle du Salut.

Tabernacle, Porte sainte, Marie porteuse de Dieu devient le chandelier de l’unique lumière. Il est vraiment Dieu avec nous. L’Emmanuel nous ouvre les bras, en bénissant des deux mains, préfigurant la Croix, qui rassemble par sa mort l’univers tout entier. A l’image de Marie, nous accueillons et recevons Dieu, car Il s’incarne en nous aussi par le Saint Esprit. Elle donne à voir pour qu’au cœur de la prière du regard nous allions à Dieu par la foi... (J.-M. N.)

ORAISON Prière à la Vierge mère

L'adjectif almus,a,um en latin poétique signifie : nourrissant, qui donne vie, ou encore (à propos d'une dieu) : bienveillant, indulgent. Or phonétiquement c'est le presque même mot que le substantif hébreu ‘alma, désignant une pucelle (comme saint Jérôme l'a bien compris Texte biblique). Il apparaît dans au moins deux pièces célèbres du patrimoine grégorien.

  • L'hymne Ave Maris Stella salue la Vierge Marie comme Dei mater alma
  • L'antienne Alma Redemptoris mater, pour le Temps de Noël, la célèbre sous le même vocable. 

Traditionnel ou Hermann de Reichenau (1013-1054)Alma Redemptoris Mater (ton simple)

Chœur des Pères du Saint-Esprit de Chevilly, AlbumÉternel Grégorien 

[Merlin] IDOL Distribution (au nom de Studio SM); UMPI et alii © Licence YouTube standard

Partition tirée du Liber Usualis (1961), p.277.

Texte 

Alma Redemptóris Mater, quæ pérvia cœli porta manes, Et stella maris, succúrre cadénti, súrgere qui curat pópulo :Tu quæ genuísti, natúra miránte, tuum sanctum Genitórem : Virgo prius ac postérius, Gabriélis ab ore sumens illud Ave, peccatórum miserére.

Tendre mère du Rédempteur, qui demeures porte ouverte du Ciel, et étoile de la mer, viens en secours au peuple qui succombe et cherche à se relever : Toi qui as engendré, à la surprise de la nature, ton saint Créateur : vierge avant et après [l’enfantement], la bouche de Gabriel, recevant cette salutation, prends pitié de[ nou]s pécheurs !

Palestrina Giovanni Pierluigi da (ca. 1525–1594), Alma Redemptoris Mater, Antiphona cum quatuor vocibus ad Completorium de tempore Nativitatis usque ad secundas Vesperas Purificationis Beatæ Mariæ Virginis inclusive, 1604, in Motectorum quatuor vocibus : Liber Secundus : partim plena vox et partim paribus vocibus / Ioan. Petraloysii Prænestini. Nunc denum in lucem æditus. Venetiis : apud Angelum Gardanum, MDCIV

The King's Singers→ , How Fair Thou Art: Biblical Passions by Giovanni Pierluigi da Palestrina, piste 1, (CD, 2016)

 Signum Classics→ © Licence YouTube standard

Littérature

4.20.37s verbes + verbe (V) : FRANÇAIS BIBLIQUE Du Verbe aux verbes et réciproquement La Vulgate emploie un même mot au pluriel d'abord (verba), au singulier ensuite (verbum), pour désigner les traditions évangéliques et les annonces et promesses divines.  

Du latin ...

Le nom verbum, omniprésent dans les Écritures, signifie « mot, énoncé, parole(s) » et beaucoup plus encore. Il assume les significations de dabar et de logos, cristallisant la méditation sur la présence d'un « langage » transcendant avec le Créateur, participé dans la création. Cet usage culmine dans le Nouveau Testament pour désigner le mystère personnel de Jésus-Christ (cf. V—Jn 1,1.14.17).

L'expression verbum Domini, en particulier, crée donc un fil continu de révélation christique, de livre en livre. Pour les scribes latins :

  • elle dénote non seulement les paroles attribuées à Dieu, mais aussi Jésus-Christ comme ce Verbe ultime ;
  • elle connote donc aussi sa prééxistence, dans des proportions et selon des participations difficilement déterminables.

... au français

CNRTL →:

  • En littérature, un verbe peut encore signifier un énoncé, une parole ou une suite de paroles : Paul VerlaineSagesse, (OC. vol. I), Paris : Vanier, 1902 : « Aime-moi ! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes » (238).
  • En philosophie, l'analyse du langage depuis l'Antiquité gréco-romaine distingue entre « verbe intérieur » (espèce de parole sans mot non déterminée entièrement par une langue particulière, conçue par tout esprit qui pense) et « verbe extérieur » (parole exprimée avec des mots). 
  • En théologie, le Verbe est la Parole divine adressée aux hommes, Dieu lui-même incarné en sa deuxième Personne en Jésus-Christ. 

Autant que possible, nous traduisons donc verbum par « verbe », le plus souvent sans majuscule, parfois avec.

Drapeau de la francophonie→ © Domaine public

Arts visuels

4–38 Des « mots » humains (verba) au Verbe divin  (verbum) et retour : modélisation visuelle de l'Annonciation Cf. Littérature Lc 1,4.20.37s. Luc met fortement en scène l'ordre du langage et de la parole au début de son évangile. 

  • Le prologue distingue l'objet de l'histoire à raconter, matière première de l'évangile (Lc 1,1 : narratio ; sermo rerum), et l'enseignement reçu par Théophile, Évangile à proprement parler (Lc 1,4 : verba), tout en insistant sur l'écriture (Lc 1,3).
  • Les deux Annonciations (à Zacharie puis à Marie) insistent sur les « noms » donnés (Lc 1,26-27 : cui nomen...) ou à donner (Lc 1,31-32 : vocabis nomen ejus ; et vocabitur...). Ils mettent en scène le processus de production de la parole humaine, distinguant entre le silence (imposé à l'incrédulité de Zacharie Lc 1,20), la parole intérieure (première réaction de Marie en Lc 1,29), et la parole extérieure (première réaction de Zacharie en Lc 1,18-19).
  • Au sommet du récit de l'annonciation à Marie, l'unique nom verbum concentre : l'annonce de l'ange évanélisateur (Lc 1,19) des verba divins performatifs (Lc 1,20), les événements qu'elle contient, et leur réalisation  (Lc 1,37 non est impossibile apud Deum omne verbum ; Lc 1,38 fiat mihi secundum verbum tuum).

Les artistes sont parvenus à visualiser ces différents états du Verbe et de ses participations dans les verba humains. 

Le Verbe divin

Ce Verbe s'incarne, il est acte. Le texte ne le dit, mais la Tradition l'affirme : le Verbe féconde miraculeusement le ventre de la Vierge. Il se fait chair. L'énonciation est genèse réelle. Le corps du Christ se forme et s'anime, déjà sanctifié. Il y a là un mystère, analogue à celui de la création : les lois naturelles sont bouleversées.

Une figuration écartée, l'homoncule
  • Certaines représentations byzantines ou russes, par exemple l'Annonciation d'Oustioug→, montrent, dans le corps même de Marie, un Christ enfant déjà tout formé. À partir du 15e s. en Occident, les artistes représentent parfois, dans les rayons divins (ou non), l'Enfant Jésus en homoncule portant la croix (ou non), descendant vers la Vierge à la suite de l'Esprit-Saint.

Barthélemy d'Eyck (fl.1444-1469), Envoi du Fils par le Père : Jésus homuncule dans les rayons, détail du panneau central du Triptyque de l'Annonciation d'Aix, (huile sur panneau de bois, ca 1442-1445)

Aix-en-Provence, église de la Madeleine, en dépôt temporaire au musée du Vieil Aix

D.R. photo Meisterdrücke→ © Domaine public

La doctrine représentée, à savoir que le Christ n'aurait pas été conçu in utero, mais serait entré tout formé dans le sein de Marie, dépendante d'une savante négociation entre motifs antiques, médecine et théologie médiévales, fut plus tard condamnée par le concile de Trente, qui interdit en conséquence les représentations du Christ en homoncule.

Les artistes étaient donc invités à privilégier des représentations plus subtiles, plus fidèles à l'apophatisme que l'Écriture parvient à maintenir au moment même de la cataphase divine. Mystérieux, silencieux mais secrètement résonnant-raisonnant dans l'échange entre l'ange et la femme, il n'est pas thématisé d'emblée, sinon comme l'ensemble de l'annonce et de ce qui est annoncé (Lc 1,34 istud) finalement récapitulé en verbum  (Lc 1,37 : non erit impossibile apud Deum omne verbum).

La lumière et la ténèbre pour figurer l'Infigurable
  • On ne l'entend ni ne le voit : mais il se montre dans la clarté de ce ciel ouvert et des rayons qui en dardent vers la scène. 

Le Titien (1490–1576), L'Annonciation, (huile sur toile, 1520), 207×179 cm

Cathédrale de Trévise, Italie © Domaine public→ 

La où le Titien insistait sur le miracle en montrant Marie se couvrir le ventre de son voile bleu, Nicolas Poussin suggère le mystère en obscurcissant jusqu'au noir le sein de Marie, visuellement obombrée par l'Esprit symbolisé en colombe :

Nicolas Poussin (1594-1665), L' Annonciation, (huile sur panneau de bois, ca. 1635), 45 × 38 cm, Pendant de La Nativité de Münich,

Collection de peintures de l'État de Bavière, Nouveau château de Schleissheim, Oberschleissheim © Domaine public→ 

Le verbe angélique

Le verbe angélique (Lc 1,28-29 : dicere, sermo, salutatio) fait de mots porteurs de véritables verba Lc 1,20.37-38), prend l'aspect corporel de l'humain ailé, pour marquer sa médiation entre terre où l'on marche et ciel où l'on vole. La voix de l'ange est médiation, à la fois annonce et demande, entre l'Énonciateur divin et l'énonciataire humaine.

  • La gestuelle expressive des anges du Titien et de Poussin exprime ce verbe angélique. Dans d'autres œuvres, plus anciennes, Gabriel se multiplie, visuellement :

Anonyme, La double annonciation, (mosaïque, 432-440)

arc de triomphe de Sainte-Marie Majeure, Rome, © Domaine public→, , 

(Marie, assise en train de filer le fil pourpre pour le voile du Temple, selon les écrits apocryphes, est entourée d'anges. L'ange Gabriel est représenté plusieurs fois pour indiquer ses actions successives: il arrive en volant dans le ciel puis, se tenant debout à gauche de la Vierge, il lève la main, signe qu'il prend la parole. Le Saint Esprit sous la forme d'une colombe descend sur Marie. Saint Joseph à droite devant une maison distincte de celle de Marie puisqu'ils n'ont pas encore mené vie commune, tient un bâton à la main. L'ange Gabriel, se tourne vers lui et lui parle.)

  • Parfois, c'est un phylactère qui matérialise le verbe angélique, comme sur ce panneau de triptyque de Lucas van Leyden, qui déploie, autour d'un un sceptre (attribut substitué au bâton du messager, héritage mythologique de Mercure messager des dieux), pointé à la fois vers les sein de Marie et vers le Livre où elle méditait, un philactère où se lisent les mots « Ave Maria gratia plena », presque effacés, et « Dominus tecum » dans la boucle où se fixe le regard de la Vierge : 

Lucas van Leyden (vers 1494-1533), L'Annonciation, (huile sur panneau de bois, 1522), 42,2 x 29,2 cm

Alte Pinakothek, Munich, Allemagne © Domaine Public→  

Le verbe humain

Le verbe de Marie est une simple parole de femme, qui raisonne et demande Quomodo (« Comment cela ? ») puis acquiesce Ecce... (« Voici ! ») et finit par s'ouvrir à la réalisation effective du ... verbe : Fiat mihi secundum verbum tuum (« Qu'il m'advienne selon ton verbe »). Son fiat fait aussi allusion au fiat du Verbe divin créateur de la Genèse (Gn 1,3.6, etc.) : ses verbes humains sont déjà efficaces, de par son accueil actif du Verbe divin. 

  • Les artistes représentent ce verbe de Marie par les gestes, parfois très rhétoriques, qu'elle adresse à l'ange qui lui parle, souvent accompagnés d'un livre ouvert où déjà la Vierge entendait le Verbe incorporé aux Écritures, avant qu'Il ne vienne s'incarner en elle. Outre les peintures ci-dessus, voyez l'admirable Rubens en Arts visuels Ps 103,20.