La Bible en ses Traditions

Matthieu 27,22–25

Byz S TR Nes
V

22 ...

22 Pilate leur dit :

— Que ferai-je donc de Jésus qui est appelé christ ?

Tous disent : — Qu’il soit crucifié !

11–26 Mc 15,2-15 ; Lc 23,2-5.13-25 ; Jn 18,28 ; Jn 19,1.4-16 22 “Livré aux oppresseurs” Ps 27,12

23 ...

23 Le gouverneur leur rétorqua :

— Qu’a-t-il donc fait de mal ?

Eux de plus belle criaient en disant : — Qu’il soit crucifié !

24 ...

24 Alors Pilate, quand il vit que cela ne sert à rien mais augmente le tumulte,

prenant de l’eau, se lava les mains en présence du peuple disant : 

— Je suis innocent du sang de ce juste. À vous de voir.

25 ...

25 Répondant tout le peuple dit :

— Son sang, sur nous et sur nos enfants !

25 Sang répandu Jr 26,15 ; Mt 26,28 ; Ac 5,28

Propositions de lecture

15–26 Barabbas dans le procès de Jésus →Responsables de la mort de Jésus

Contexte

Littérature péritestamentaire

25.63 son sang sur nous...cet imposteur Parallèle

  • T. Lévi 16,2 "... vous traiterez d'imposteur l'homme qui vient renouveler la loi du Très-Haut, vous le tuerez, recevant son sang innocent sur vos têtes."

Repères historiques et géographiques

24 se lava les mains Pilate s'est-il lavé les mains ? Schiavone 2016, 151-153: Seul l'Évangile de Matthieu mentionne le lavement des mains de Pilate. Cet épisode ne se trouve nullement dans les trois autres Évangiles. Il présente en outre quelques incohérences. 

  • Le rite du lavement des mains, pour s'exempter du sang d'une victime, est typiquement juif, défini dans Dt 21,1-9. Or Pilate est Romain. Le préfet était en fonction en Judée depuis plusieurs années au moment des évéments de la Passion, au moins 4: Pilate prend ses fonctions en 26 et la date la plus reculée retenue pour la mort du Christ est celle de l'année 30. Pilate a donc eu largement le temps de se familiariser avec la culture juive et de prendre connaissance de ce rite. Pour autant, les rapports du préfet avec la culture de ses administrés semblaient compliqués (→Ponce Pilate). Pour Schiavone 2016, Pilate n'a jamais eu connaisance de ce rite et n'a pu, par conséquent, le reproduire devant les Grands prêtres. Cependant, n'oublions pas que l'aristocratie sacerdotale était le principal, sinon le seul, interlocuteur politique du préfet. Rien ne nous permet d'exclure l'hypothèse suivant laquelle Pilate aurait eu vent de ce rite en fréquentant les grands prêtres. Le reproduire devant eux, pour témoigner de sa conviction en l'innocence de Jésus, aurait eu tout son sens !
  • Selon le rite juif, prescrit dans Dt 21,1-9, le lavement des mains intervient après la mort de la victime, et non avant. Mais ce qui était incohérent pour un Juif ne l'était pas nécessairement pour un Romain, en grande partie ignorant des pratiques liturgiques juives. Pilate pouvait avoir une vague connaissance de ce rite, sans connaître son déroulement précis.
  • Après s'être lavé les mains, Pilate aurait dû se décharger de l'affaire. Or il continue à l'instruire. Selon l'Évangile de Pierre, Pilate, après ce geste, cesse d'instruire l'enquête et remet Jésus à Hérode Antipas, qui le condamne à mort. (Littérature péritestamentaire Lc 23,11)

Propositions de lecture

24 se lava les mains Historicité Schiavone 2016, 151-153: Le geste spectaculaire de Pilate, par lequel celui-ci se déclare "innocent du sang" de l'inculpé , est une invention de Matthieu (Repères historiques et géographiques Mt 27,24) pour dédouaner le pouvoir romain et faire retomber l'entière responsabilité de la mort de Jésus sur les "grands prêtres" et les "foules" (Mt 27,20).

25 sang Qui est responsable ? La question de savoir sur qui devait retomber la responsabilité de la mort du Christ s'est vraisemblablement emparé de l'esprit des premiers disciples. Pour ceux qui avaient suivi Jésus dans son ministère, il ne pouvait s'agir que d'un crime abominable. Jésus était non seulement la figure même de l'innocent  (d'où l'appelation d'Agneau de Dieu qui lui est donnée) mais aussi le Fils de Dieu. Le livrer à une mort aussi infâmante et cruelle que la croix était le comble de l'horreur, de l'injustice et du sacrilège. Le flageller, le railler, le cracher, le comble du blasphème. Même si cette mort était annoncée dans les Écritures et venait les accomplir, elle demeurait proprement scandaleuse. Or l'atrocité d'une action incite à en rechercher l'auteur, le coupable, le responsable. Il s'agit en outre d'un enjeu crucial pour les tout premiers temps de l'Église. Comment annoncer à des Juifs et des païens qui vivaient loin de Palestine et qui n'avaient jamais vu ou entendu Jésus de Nazareth que cet homme, mort comme un esclave et comme le dernier des renégats, était vraiment le Fils de Dieu, tout-puissant, et vierge de tout péché ? Il était nécessaire de faire comprendre que sa mort relevait de la dernière injustice ; il fallait donc trouver des responsables. (Philosophie Mt 27,25→Responsables de la mort de Jésus

Réception

Philosophie

25 sang Notion de responsabilité La question de la responsabilité de la mort du Christ est vraisemblablement très ancienne (Propositions de lecture Mt 27,25) Mais, pour y répondre, il faut tout d'abord commencer par s'interroger sur la notion de responsabilité. Le responsable d'un acte n'est pas nécessairement son auteur. Ce dernier est celui qui accomplit physiquement une action. Les auteurs de la mort de Jésus sont ainsi les soldats romains qui l'ont cloué sur la Croix, voire le centurion qui lui a transpercé le coeur de sa lance. Faut-il tenir ces soldats pour responsables de cette horreur ? Aucun évangéliste ne semble le faire.

La notion de responsabilité est corrélée à celle de liberté. Les soldats auraient pu désobéir mais tout acte de mutinerie était implacablement puni de mort dans l'armée romaine et la notion de "liberté de conscience" n'était pas connue des Grecs ou des Romains. Le responsable d'un acte est celui qui en répond, autrement dit qui en rend compte et qui en accepte la juste rétribution, à savoir la récompense s'il a bien agi, et le châtiment en cas contraire. Il faut néanmoins distinguer responsabilité et culpabilité. Cette dernière suppose la première, autrement dit la possibilité d'une action libre dont on puisse répondre. Mais la notion de culpabilité va plus loin que celle de responsabilité. Selon Thomas d'Aquin, le coupable est celui qui a librement accompli un acte (responsable) mauvais, en en connaisssant et en en désirant la malinité. Si les responsables de la mort de la Jésus avait conscience de condamner à mort le Messie et Fils de Dieu, ils peuvent alors être qualifiés de coupables. →Responsables de la mort de Jésus

Littérature

24 prit de l’eau et se lava les mains FRANÇAIS BIBLIQUE

  • S'en laver les mains : dans le langage courant, l'expression signifie que l'on refuse toute responsabilité dans une affaire.

Tradition chrétienne

25 son sang sur nous 

  • Tertullien  Marc. 2,15,3  "Et du reste, si tu acceptes l'évangile de la vérité, tu reconnaîtras à qui s'applique la sentence de celui qui fait payer aux fils les fautes des pères : elle s'applique évidemment à ceux qui, plus tard, devaient s'infliger spontanément à eux-mêmes cette sentence : Que son sang soit sur nos têtes et sur celles de nos fils ! (cf. Mt 29,25) C'est pourquoi la providence de Dieu, ayant déjà entendu cet arrêt, l'établit pour tous."

24s ; 28,1 commence à lui le premier jour de la semaine. je suis innocent du sang de ce juste. son sang sur nous Prière pour Israël pendant la vigile pascale 

  • Const. ap.  5,19,3-4  ''Jusqu'à ce que commence à luire le premier jour de la semaine (Mt 28,1), c'est-à-dire le dimanche, restez éveillés, depuis le soir jusqu'au chant du coq, et, rassemblés dans l'église, veillez, en priante et en invoquant Dieu pendant votre veille, en lisant la Loi, les Prophètes et les Psaumes jusqu'au chant du coq ; puis après avoir baptisé vos catéchumènes, lu l'Évangile avec crainte et tremblement et prêché au peuple le salut, mettez fin à votre deuil et priez Dieu qu'Israël se convertisse et que lui soient donnés une occasion de conversion (cf. He 12,17) et le pardon de son impiété. Parce que le juge étranger s'était lavé les mains en disant : Je suis innocent du sang de ce juste, voyez vous-mêmes (Mt 27,24), Israël s'écria : Son sang sur nous et sur nos enfants (Mt 27,25).''

24 La flagellation. Innocens ego sum : inscription médiévale.

12e siècle :

  • Vers 1160 : Belgique, Bruxelles, Musées royaux d'art et d'histoire, autel portatif de Stavelot : "Pilatus : Innocens ego sum a sanguine justi hujus" Art mosan 1961 Gauthier 1972, n° 95, 351.

1–66 La mort de Jésus. Clamans voce magna : inscriptions médiévales.

15e siècle : 

  • Vers 1400 : Allemagne, Lüneburg, Kloster Ebstorf, vitrail : "jhesus pendens in cruce tradidit spiritum" DI 76, n° 27, 87.
  • Vers 1425 : Allemagne, Osnabrück, cathédrale, croix : "clamans voce magna emisit spiritum"  DI 26, n° 36, 45.
  • 4e quart du 15e s. :  Allemagne, Hanovre Musée Auguste Kostner, antependium : "Jhesus clamans voce magna emisit spiritum" DI 76, n° 62, 142.

25b Son sang, sur nous et sur nos enfants (V) Inscriptions médiévales. 

12e s.

  • France, Châlons-en-Champagne, cathédrale, vitrail de la crucifixion : Sanguis ejus super nos et super filios nostros →CCM 56, 120.

Ce vitrail, réalisé dans le deuxième quart du XIIe siècle et restauré dans les années 1950, a pour thème central la Crucifixion, entourée des figures de l'Eglise et de la Synagogue dans des demi-lobes, et de dix scènes et textes de l'Ancien Testament qui annoncent la Passion. Par son style, il s'apparente à l'art mosan. Placée sous la Crucifixion, la Synagogue apparaît en buste avec les yeux bandés et s'oppose à l'Eglise qui, elle, est représentée au-dessus de la croix. La Synagogue regroupe deux des dix-sept inscriptions de la verrière : ele tient dans la main droite le phylactère avec cette formule sur le sang qui coule de génération en génération. Nombreux sont les auteurs médiévaux (Raban Maur, Anselme de Laon, Paschase Radbert, Rupert de Deutz etc.) qui ont commenté cette citation montrant que cette malédiction poursuivait les Juifs jusqu'à leur époque. A la cathédrale de Châlons-en-Champagne, la citation de Matthieu entrait en résonnance avec une autre référence biblique extraite des psaumes (Ps 69,23 : Fiat mensa eorum coram ipsis in laqueum), qui se trouvait sur le pourtour du lobe de la Synagogue, aujourd'hui fragmentaire. Là encore, le commentaire est constant chez les auteurs chrétiens. Hilaire de Poitiers écrit (Tractatus in LXVIII psalmum, 19, éd. PL 9 col. 482): « Cette table est celle où est reçue la nourriture de la vie spirituelle. Les Juifs n'ont pas compris ce qui était annoncé par la Loi et les Prophètes. Comme pris au piège par les écrits, ils manquaient du sens de l'intelligence, leurs yeux étaient obscurcis en sorte qu'ils ne voyaient pas. »

  • Vers 1160 : Belgique, Bruxelles, Musées royaux d'art et d'histoire, autel portatif de Stavelot :  "Judei : Sanguis ejus super nos et super filios nostros" Gauthier 1972, n°95, 351.

Arts visuels

24 prit de l'eau et se lava les mains Pilate se lave les mains

Fin du 15e s. 

Hans Holbein l'Ancien (1465-1524), Le Christ devant Pilate (huile et tempera sur bois, 1494-1500)

© Wikicommons→

17e s.

Anonyme Calvaire de Saint-Thégonnec (granit, 1610), Enclos paroissial de Saint-Thégonnec

 © Wikicommons→

19e s.

William Turner (1775–1851), Pilate se lave les mains (huile sur toile, 1830), 91,4 × 122 cm

Tate collection, Londres © Wikicommons→

1–66 Ecce homo

19e s.

Antonio Ciseri (1821-1891), Ecce homo, (huile sur toile, 1860-1880), 292 x 380 cm

Galleria dell'Arte Moderna, Palazzo Pitti, Florence, © Domaine public→, Jn 19, Mt 27

Le peintre néoclassique représente dans une œuvre presque grandeur nature ce passage de l'Évangile. L'angle est original : nous sommes dans le palais de Pilate. Au premier plan, à droite, la femme de Pilate se détourne tristement : elle a tenté d'empêcher cela en racontant à son mari le rêve qu'elle a eu au sujet de Jésus, mais en vain. Les lignes de fuite, bien que discrètes parce que liées aux architectures de l'arrière plan, attirent le regard vers le point signifiant toute l'intensité dramatique du moment : l'espace situé entre le corps de Jésus et la main de Pilate, cette main qui livre, et qui prétend se laver du crime.

Liturgie

24ss PARALITURGIE Première station du chemin de croix 

CONTEMPLATION Jésus est condamné par Pilate.

Jerzy Duda-Gracz (1941-2004), 1 : Jésus devant Pilate, (huile sur toile, 2000-2001), Chemin de croix, 185 x 117 cm

ex voto de l'artiste, narthex, galerie haute du sanctuaire de l'icône miraculeuse, Sanctuaire de Czestochowa, Jasna Gora (Pologne)

© D.R. Jerzy Duda-Gracz Estate→ ; photo : J.-M. N., Mt 27,24-26 ; Mc 15,15 ; Lc 23,24-25 ; Jn 19,16

Il est devant Pilate, mais il a le dos tourné à Pilate. Car la sentence vient d’être prononcée. Pilate, qui est représenté non pas en ecclésiastique comme on pourrait le croire, mais comme un juge. Un juge qui est aveugle : ce qu’il porte sur les yeux n’est pas le signe du bandeau de la justice dans son impartialité, il est vraiment aveugle, il a une canne blanche. Et l’actualité de l’événement du Christ est associée à l’actualité des hommes qui cherchent, à travers celui qui a entre ses mains un micro et qui regarde le Christ s’en aller vers la Passion, mis en scène, sous les projecteurs, sous les perches des micros, l’actualité de ceux qui cherchent la vérité. Mais « qu’est-ce que la vérité ? ». Face à la question de Pilate, la représentation met en scène des hommes et des femmes. Au plan stylistique, vous verrez : des visages ressemblent à des têtes inspirées du folklore populaire polonais, de ces têtes d’argile, de ces marionnettes polonaises. Mais prenons conscience qu’à côté de cette canne, il y a un homme à genoux et une jeune fille. Entre le Christ et cet homme dont le cierge est éteint, il y a cet agneau pascal qui est couché, et des femmes : une femme qui médite devant ce qu’elle vend, simplement deux écuelles de soupe ; et sous les projecteurs de l’actualité, le Christ s’en va, les yeux fermés, car la vérité ne saurait se dire, la vérité réellement va s’éprouver dans le don de cet homme-Dieu. (J.-M. N.)

21–52 Le voile du Temple fut déchiré

« Velum templi scissum est » Répons

Traditionnel, Ténèbres du Golgotha - 1° Nocturne: Répons " velum templi", (cd, 2005)

Dom Jean Claire, Choeur Des Moines de L'Abbaye De Solesme, Ténèbres, Abbaye de Solesmes

© Abbaye de Solesmes→, Mt 27,21-52

Contexte

Repères historiques et géographiques

26,1–27,66 Les lieux de la Passion

Parcours de Jésus durant sa Passion, (numérique, Jérusalem : 2022)

M.R. Fournier © BEST AISBL, Mt 26-27 ; Mc 14-15 ; Lc 22-23 ; Jn 18-19

Le lieu du →prétoire, tribunal de Ponce Pilate, est incertain. Deux sites sont possibles : la forteresse Antonia et le Palais d'Hérode le Grand. La tradition situe le prétoire à l'Antonia mais les archéologues, aujourd'hui, le placent plutôt dans le palais d'Hérode le Grand.

Bibliographie
  • Dominique-Marie Cabaret, La topographie de la Jérusalem antique (Cahiers de la Revue Biblique 98), Peeters : 2020.
Toponymie

Esplanade du Temple, Ophel, ville haute, ville basse, palais d’Hérode le Grand, mont Sion, Cénacle, palais hasmonéen, palais de Caïphe, Golgotha, forteresse Antonia, porte dorée, jardin de Gethsémani, mont des Oliviers, colline de Bézétha, théâtre, vallée du Cédron, vallée du Tyropéon, vallée de la Géhenne, via Dolorosa.

Réception

Musique

17–23 Ecce Homo Le dialogue entre Pilate et les ennemis de Jésus, concentré dans le sublime ecce homo que le quatrième évangile fait prononcer par Pilate, a inspiré de nombreux compositeurs.

17e s.

Guillaume Bouzignac (1587-1643), Ecce Homo!,

William Christie (dir.), Les Arts Florissants ft. Les Pages de la Chapelle

© Licence YouTube standard→, Jn 19,5s.15  Mt 27,23.17.21s

Paroles

– Ecce homo! – Crucifige eum! – Tolle, crucifige eum! – Regem vestrum crucifigam? – Tolle, crucifige eum! – Quid enim mali fecit, – Tolle, crucifige eum! – Ecce Rex vester! – Non habemus Regem nisi Caesarem. – Dimittam illum in Pascha? – Non hunc, sed Barabam! – Quid faciam de Jesu?

Voici l'homme. Crucifie-le ! Tue-le, curcifie-le ! Crucifierais-je votre roi ? Tue-le, crucifie-le ! Qu'a-t-il donc fait de mal ? Tue-le, crucifie-le ! Voici votre roi ! Nous n'avons pas de roi, si ce n'est César. Relâcherais-je celui-là pour Pâque ? Pas celui-ci, mais Barabas ! Que ferais-je de Jésus ? 

Compositeur

Guillaume Bouzignac, né vers 1587 en Languedoc (probablement à Narbonne ou à Saint-Nazaire-d'Aude), et mort après 1643, est un prêtre, maître de musique et compositeur français actif dans la première moitié du 17e s.