La Bible en ses Traditions

Ecclésiastique 24,12

G S
V

12 Je me suis enracinée dans un peuple glorifié

dans la part du Seigneur, dans son héritage.

12  Alors le Créateur de l’univers m’a parlé et m’a donné ses ordres

et celui qui m’a créée a reposé dans ma tente.

Réception

Comparaison des versions

12 celui qui m’a créée a reposé dans ma tente : V | [M] G S—Si 24,8 « et celui qui m’a créée m'a fait poser ma tente » : une lecture christologique / mariale des traducteurs vieux-latins ? Il n'est guère surprenant de trouver un langage relatif à la création dans ce verset (cf. creator omnium en VL Si 24,12a). En effet, le Siracide établit un lien explicite entre le culte et la création (cf. Jordan A. Schmidt, Wisdom, Cosmos, and Cultus in the Book of Sirach (Deuterocanonical and Cognate Literature Studies, 42), Berlin-Boston, Mass. : De Gruyter, 2019).

Les textes grecs et syriaques

L'ensemble de Si 24 fait référence à plusieurs reprises à l'idée que la Sagesse se manifeste à Jérusalem, le Temple (= « la tente ») pendant le culte.

  • G—Si 24,8b lit « celui qui m’a créée m'a fait poser ma tente » (καὶ ὁ κτίσας με κατέπαυσεν τὴν σκηνήν μου : kai ho ktisas me katepausen tên skênên mou). Il ne présente pas de variantes significatives.
  • S, basée sur un original hébreu perdu, utilise un verbe plus idiomatique, ܫܪܝ šry, dans la conjugaison causative, qui signifie « faire habiter ».

Les versions grecque et syriaque continuent l'insistance de l'Exode sur le fait que la « tente » (c.-à-d. le Tabernacle,  משׁכן, cf. S—Si 24,8 ܡܫܟܢܐ, mškanā) est un signe visible de la présence de Dieu. 

Les textes latins

Les formulations données par les versions latines sont plus étranges.

La leçon courante : in tabernaculo meo ?
  • V (= VL , témoins majeurs: Bnf lat.11553 Codex Sangermanensis 15, en minuscules carolingiennes, ca  800, Saint-Germain-des-Prés) ;  Pseudo-Vigile, évêque de Thapsus † 484, PL 62→, etc.) lit : et qui creavit me requievit in tabernaculo meo
  • La préposition in + un cas différent (ablatif latin, au lieu de l'accusatif grec) changent le sens. Ce n'est plus la tente de la Sagesse (sa demeure) qui est établie à Jérusalem, mais c'est Dieu lui-même qui trouve le repos dans la tente de la Sagesse.

Le topos littéraire utilisé ici est celui d'une femme qui joue le rôle d'hôtesse, peut-être en présentant la Sagesse comme ʾēšet ḥayil (femme de valeur) de Pr 31,10ss.

Autres leçons possibles : 
in tabernaculum meum ?
  • VL (témoin ρr = Bnf lat. 9451, lectionnaire sur parchemin pourpre, 8°-9° s., Monza, Italie du N) 176r lit : et qui creavit me requievit in tabernaculum meum.

Selon les règles du latin classique, c'est paradoxal, car in + accusatif connote un mouvement, alors que requiesco met l'accent sur le repos : trouver de nouveau le repos, parvenir au repos complet ... (NB : la diffférence entre l'usage des deux cas après in commence à s'estomper en latin, à l'oral dès le 1ers ap. J.-C., et à l'écrit dès les 4e s.). Doit-on essayer de comprendre et qui creavit me requievit in tabernaculum meum

  • comme : celui qui m'a créé/e vint se reposer en ma tente  (en insistant sur le morphème inchoatif -sc- dans quiesco),
  • ou comme : celui qui m'a créé/e se reposa en entrant en ma tente  (en insistant sur le sème de mouvement directionnel porté par -in-) ?

Le paradoxe latent dans cette formulation ne pourrait-il pas faire allusion à la maternité divine de la Vierge Marie, dont la Sagesse personnifiée est un type ? 

creator omnium qui genuit me requievit in tabernaculum meum  =  « Le Créateur de tout, [lui qui] m'a engendré, s'est reposé en entrant en ma tente »
  • Cette variante de Pseudo-Vigile (évêque de Thapsus † 484, PL 62→), substitue le verbe gigno au verbe creare.

Se pourrait-il que le scribe vieux-latin ait fait une interprétation christologique du passage, en ayant en tête l'engendrement éternel du Fils  (cf. Ps 110,3) et une typologie du corps de Jésus comme tabernacle véritable (Jn 1,14 ; Jn 2,21) ? 

creator omnium qui genuit in me requievit in tabernaculum meum =  « Le Créateur de tout, qui a engendré en moi, est venu se reposer en ma tente »
  • Cette addition de la préposition in est attestée dans le ms St-Gall Stiftsbibliothek 28 (minuscules carolingiennes, du 1er quart du 9e s.) et dans le Codex Complutensis 1 (Madrid Biblioteca de la universidad central 31, en minuscules wisigothiques, début du 10e s., sud de l'Espagne)

Se pourrait-il que le scribe vieux-latin ait déjà fait une interprétation mariale du passage, en ayant en tête le moment de l'annonciation et une typologie de Marie arche d'alliance ?

(NB On ne peut trop presser cette interprétation, car les verbes creare et gignere sont presque synonymes en laitn classique, le premier signifiant dans l'ordre culturel, institutionnel ou poliique installer dans un office (comme encore aujourfhui en français  « créer un cardinal») et le second signifiant dans l'ordre biologique ou naturel donner naissance à un enfant. Ils se spécialisent dans le latin chrétien sans doute après le Concile de Nicée, creare se spécialisant dans l'acte du créateur divin ex nihilo)

La géniale complexité de la transmission latine dece verset, mise en relation avec l'étonnante incise sur Jésus en Si 43,25, ne donne-t-elle pas un relief saisissant à la typologie mariale de la Sagesse ?  

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Pour aller plus loin : VL, éd. Walter Thiele ), Sirach (Ecclesiasticus), (Vetus latina : die Reste der altlateinischen Bibel, 11/2), Freiburg im Breisgau : Herder Verlag, 1996, p.683. NB : ce vol. va jusqu'à Si 24,47, ensuite éd. A. Forte. Plus généralement sur la version latine du Siracide, voir ICI→ ; Maurice Gilbert à propos de Si 24  ICI→Si 24,6 ICI→) ;  Anthony Forte ( ICI→ ; ICI→  ) ; Bonifatia Gesche (ICI→).

Frontispice de la bible Polyglotte d’Alcalà (1514-1517), (gravure sur bois), © Domaine public→

Voici la traduction du décryptage allégorique imprimé au-dessus de ce frontispice, un écu à quinze carreaux surmontés de la croix et du chapeau cardinalice : « Les quinze carrés de cet écu représentent les quinze jours que passèrent ensemble à Jérusalem saint Pierre qui prêchait aux juifs ou à ceux de la synagogue et saint Paul, apôtre des nations. Le chiffre 7 (et en conséquence les 7 carrés de couleur de cet écu) signifie la loi antique ou Ancien Testament ; le chiffre 8 (ou les huit carrés de l'autre couleur) signifient la loi de grâce ou le Nouveau Testament. Le nombre 15 (donc les quinze carrés) les contient tous. »