Une caractéristique assez simple permet de distinguer les manuscrits chrétiens des autres manuscrits dès les premiers siècles de notre ère : la création de monogrammes par ligature de graphèmes grecs intégrés au texte sacré semble être une particularité des scribes chrétiens, pour abréger une quinzaine de noms et concepts précis connus sous l’appellation nomina sacra.
Liste des principaux nomina sacra
La plupart des termes abrégés renvoient aux déclinaisons du →nom divin, à celui de Jésus Christ et d'entités liées, telles « croix », « pasteur », « sauveur » (→Staurogrammes et christogrammes) :
- Dieu : theos = ΘC (thêta-sigma) ; ΘΥ (thêta-upsilon).
- Seigneur : kurios = KC (kappa-sigma) ; ΚΥ (kappa-upsilon) ; ΚΡC (kappa-rhô-sigma).
- Jésus : Iêsous = IH (iota-êta) ; IHC ou IHS (iota-êta-sigma) ; IC (iota-sigma).
- Christ : Christos = XC (chi-sigma) ; XP (chi-rhô) ; XΡC ou XPS (chi-rhô-sigma).
- Croix : stauros = TP (tau-rhô).
- D’autres noms propres ou concepts bénéficient également d’abréviations régulières : esprit (pneuma) ; père (patêr) ; fils (huios) ; David (David) ; mère (mêtêr) ; Israël (Israêl) ; sauveur (sôtêr) ; homme (anthrôpos) ; Jérusalem (Ierousalêm) ; ciel (ouranos).
Origine
Leur usage dans les manuscrits est propre aux scribes chrétiens et leur présence permet souvent de confirmer l’origine chrétienne plutôt que juive d’un papyrus. Cependant, l’invention des caractères eux-mêmes n’appartient pas au christianisme.
- À l’exception du IH (iota-êta), beaucoup d’abréviations, y compris celles du nom de Christ (XP) ou de la croix (TP) existent dans l’Antiquité païenne égyptienne, grecque et romaine sur divers supports : manuscrits, monnaies, sceaux et bouchons d’amphores (le chi-rhô entre autres). Leur signification souvent inconnue suppose parfois des données numériques (quantitatives ou chronologiques), des titres honorifiques (comme IMP et COS pour imperator et consul) ou encore des formules laudatives. L’usage de monogrammes sur les sceaux et la monnaie s’explique par des besoins de concision relatifs au support, hypothèse qui n’éclaire pourtant pas leur présence sur les manuscrits.
- Ce sont ces mêmes signes que s’approprient les scribes chrétiens pour ponctuer les plus anciens manuscrits connus (p. ex. les Papyri Bodmer P66 et P75, fin du 2e s. - début du 3e s.). Sur ce type de manuscrit, la pratique la plus ancienne consiste à contracter le mot pour ne garder que deux caractères (majoritairement le premier et le dernier), parfois trois, et à y ajouter en surplomb une barre horizontale de troncature. Rapidement, les graphèmes sont superposés pour construire des signes distincts du texte, immédiatement reconnaissables.
- Ceux-ci gagnent une vie autonome hors des manuscrits sur de nombreuses productions chrétiennes (décors d’objets votifs ou quotidiens, épigraphie). Les plus connus de ces →monogrammes sont le chi-rhô ou chrisme (☧) et le tau-rhô ou staurogramme (⳨).
Fonctions
La fonction première des nomina sacra est inconnue. Ils apparaissent dans un premier temps comme de simples phénomènes visuels, ne semblant véhiculer aucune information particulière (sur le rythme ou la vocalisation du texte, par exemple).
- Il est possible qu’ils marquent une révérence particulière pour les entités désignées par certains termes. La pratique trouverait en cela son origine dans le judaïsme et son usage singulier du →tétragramme, objet de toute l’attention des scribes, qui l’isole du reste du texte (par une graphie paléo-hébraïque, par la ponctuation ou par la couleur de l’encre). En ce cas, ils seraient indices d’une christologie très haute très ancienne (→, 95-134).
- Une motivation guématrique (interprétation mathématique des valeurs numériques portées par les caractères hébraïques et grecs) est parfaitement concevable pour ce type de signes.
- Une hypothèse plus pragmatique contredit l’interprétation dévotionnelle. Les variations des signes étant trop nombreuses d’un scribe à l’autre, il pourrait s’agir de simples repères visuels pour la lecture ou pour la récitation du texte, bien que l’usage n’ait jamais évolué en système standardisé.