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Cène (arts visuels)

L’annonce de la trahison de Judas (Arts visuels Mt 26,21–25) et l’institution de l’Eucharistie (Arts visuels Mt 26,26–29) sont, sans conteste, l’un des corpus les plus riches de l’iconographie chrétienne. Mosaïque, fresque, peinture, sculpture, émail, vitrail, faïence, il est peu de supports qui n’aient été employés pour le représenter. Il est aussi l’un de ceux pour lesquels il est délicat de déterminer une source scripturaire précise, à l’exception des motifs spécifiquement johanniques ou de la présence d’une parole qui renvoie à un évangile synoptique — comme dans le Codex Aureus d’Henri III (ca. 1043-1046), où la miniature de la Cène est accompagnée de Mt 26,26

La mise en image a connu un certain temps de gestation. La coena, coena dominica ou mensa Domini (noms de l'épisode dans les sources latines) comporte trois étapes :

  • l'annonce de la trahison ;
  • l'identification du traître ;
  • le partage du pain et du vin.

Les artistes ont dû tenir compte de différentes dimensions narratives, l'épisode évangélique étant à la fois :

  • le dernier repas de Jésus,
  • l'annonce de la trahison de Juda,
  • un repas rituel instituant le rituel eucharistique.

L'iconographie de « la Cène » a naturellement mis du temps à synthétiser tous ces éléments (cf. Schiller 1972).

1 — Époque tardo-antique : évocations indirectes

Domaine latin

L'Eucharistie a un rôle prédominant dans l'imagerie de l'art chrétien latin. Pourtant, la Cène elle-même est absente en tant qu'épisode. L'évocation eucharistique se fait au moyen des miracles de la multiplication des pains et du changement de l'eau en vin.

  • Multiplication des pains et Noces de Cana, peinture pariétale, arcosolium d'une tombe de la catacombe de Saint-Pierre-et-Marcellin (Rome, 4e s.). Les deux épisodes cohabitent pour figurer les deux espèces, le pain et le vin, dans un même programme iconographique, sans passer par la représentation de la Cène. La référence eucharistique est pourtant certaine.
  • Multiplication des pains et Noces de Cana, Sarcophage des époux (4e s., musée Réattu, Arles), registre inférieur.

Anonyme, Sarcophage de la Trinité ou des époux, (ca. 330)

Musée Réattu, Arles, France

Domaine public © Wikimedia commons→

Registre supérieur : massacre des innocents, médaillon, la main de Dieu empêchant le sacrifice d’Isaac, Adam et Ève, le Christ bénissant une femme, Moïse recevant la Loi, médaillon, un homme non identifié sur son trône. Registre du milieu : un miracle de saint Pierre, un miracle du Christ (le paralytique et son grabat ?), coquillage avec les défunts, Jésus et la femme hémorroïsse, le Christ avec saint Pierre et un coq. Registre inférieur : les rois mages, Cana, la multiplication des pains et des poissons, le miracle de l’eau de saint Pierre, soldats avec un homme et un parchemin.

  • Multiplication des pains et Noces de Cana, Sarcophage dogmatique (4e s., musée Pio Cristiano, Vatican), registre supérieur, et Le secours apporté par Habacuc à Daniel (Dn 14,33-39), registre inférieur.

Anonyme, Sarcophage dogmatique, (4e s.), musée Pio Cristiano, Vatican

CC © Miguel Hermoso Cuesta (Wikimedia commons→)

Élaboré dans le climat doctrinal du Concile de Nicée en 325, à qui l’on doit la première formulation du « Credo » trinitaire, ce sarcophage contient peut-être la première représentation de la Trinité avec les trois personnages visibles dans la Création d’Ève (en haut à gauche). Adam la réception des symboles du travail après le péché originel rappelle en effet, dans le registre inférieur, l’Épiphanie et la guérison de l’aveugle : à la création répond la rédemption. Dans le registre supérieur, à droite du clipeus montrant les portraits inachevés des défunts, les Noces de Cana, la multiplication des pains et des poissons, la résurrection de Lazare soulignent la puissance créatrice du Christ. Le registre inférieur compte un cycle iconographique relatif à Pierre : l’annonce de son reniement, l’arrestation de l’Apôtre et le miracle de la source (les deux derniers épisodes étant tirés des Actes apocryphes de Pierre), avec au centre, Daniel dans la fosse aux lions qui selon les Pères de l’Église, préfigure la passion et la résurrection du Christ, ainsi que l’espérance du salut.

En parallèle à ces épisodes évangéliques et à leurs types vétérotestamentaires sont mobilisés plusieurs autres signes iconographiques :

  • le calathus (« panier ») rempli de miches de pain ;
  • le plat rempli de poisson ;
  • de nombreuses variations sur l'agneau : l'agneau apocalyptique, l'agneau du sacrifice, l'agneau tenant la houlette et le pot de lait (la mulctra, qui était un temps intervenu dans le rituel eucharistique).

Une autre difficulté des premières images chrétiennes de repas est l'ancrage profond dans la culture méditerranéenne du banquet rituel que païens, juifs et premiers chrétiens ont en commun. Dans les catacombes de Rome, plusieurs scènes de repas qui avaient été identifiées comme des prototypes du dernier repas du Christ se sont révélées être soit des libations pour le défunt dans un contexte funéraire (pratique que les premiers chrétiens reprennent de la culture païenne), soit l’anticipation du festin céleste et de la table eucharistique mentionnée par les évangélistes, soit des scènes d’agapes.

  • Fractio Panis, fresque, chapelle grecque de la catacombe Sainte-Priscille (2e moitié du 2e s., Via Salaria, Rome).

Anonyme, Fractio Panis, (fresque, 2e moitié du 2e s.),

chapelle grecque de la catacombe Sainte-Priscille, Rome, Via Salaria

Domaine public © Wikimedia commons→

Cette célèbre fresque montre sept personnes disposées, de face, autour d'une table semi-circulaire (six hommes et une femme). L'image, qui a pu passer pour un prototype de la Cène, est une représentation d'une agape, à savoir un banquet rituel, pratique partagée par les chrétiens romains et les païens, bien que la valeur chrétienne et eucharistique soit dans ce cas très clairement exprimée par d'autres symboles. Différentes pratiques de ces repas rituels (qui pouvaient être présidés par l'évêque) ont existé et il en est fait mention dans le NT.

Si ces images ont désormais été identifiées comme des repas de la communauté, elles montrent cependant que l'institution du sacrement lors du dernier repas de Jésus s'est greffée sur une pratique ancienne du banquet et que c'est sous cette forme que la représentation de la Cène a dû se diffuser dans la culture méditerranéenne.

Domaine byzantin

Dans l'art oriental, très rapidement, un épisode bien particulier du récit évangélique trouve son iconographie : la Communion des apôtres. Les apôtres y sont montrés debout plutôt qu’à table et convergent vers l’autel où le Christ leur offre la communion. La Cène est donc traitée comme un prototype des célébrations eucharistiques contemporaines. Elle évoque de manière abstraite la signification d'un rituel sacramentel plus qu'un épisode advenu dans un passé évangélique.

2 — Le tournant du 6e siècle

Continuation des évocations indirectes

Dans l’art monumental, lorsqu'il s'agit de choisir une décoration pour la partie de l'édifice la plus proche de l'autel, l'Eucharistie est encore évoquée au 6e s., de manière typologique avec des scènes telles que le sacrifice d'Isaac, la rencontre d'Abraham et Melchisédech et les sacrifices de Caïn et d'Abel, comme sur les mosaïques de San Vitale (6e s., Ravenne).

Apparition de la table du Seigneur

C'est cependant au 6e s. qu'apparaissent les premières images de Jésus et ses disciples réunis autour d'une table pour partager la Cène. L'épisode étant décrit plusieurs fois dans la source évangélique elle-même, la manière de le mettre en image varie d'autant plus. Deux exemples sont à ce propos particulièrement intéressants :

  • Le Codex purpureus Rossanensis (6e s.) décompose l'épisode en plusieurs étapes. Il montre d'abord le Christ et ses disciples réunis autour d'une table (tous allongés autour d'une table semi-circulaire selon un modèle de banquet antique qui s'impose dans les esprits) et détaille Judas portant la main au plat et se désignant donc lui-même comme le traître annoncé. Cette scène de repas ne se rapporte qu'à la désignation du traître et se place donc dans un cycle de la passion. Le fond eucharistique est développé dans deux autres miniatures du Codex qui présentent la distribution, par le Christ, du pain et du vin aux apôtres dans deux miniatures distinctes (un soin particulier est porté ici à distinguer les deux espèces). 

Anonyme, Cène et lavement des pieds, (enluminure, 3e quart du 6e s.), Codex purpureus Rossanensis ou Évangéliaire de Rossano, MS. 50, fol. 3r

Trésor archiépiscopal, cathédrale de Rossano, Calabre, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20 ; Jn 13

Communion au corps :

Anonyme, Communion au corps, (enluminure, ca. 550-575), Codex purpureus Rossanensis ou Évangéliaire de Rossano, MS. 50, fol. 4r

Trésor archiépiscopal, cathédrale de Rossano, Calabre, Italie

Domaine public, Mt 26 ; Mc 14 ; Lc 22

Communion au sang : 

Anonyme, Communion au sang, (enluminure, ca. 550-575), Codex purpureus Rossanensis ou Évangéliaire de Rossano, MS. 50, fol. 4r

Trésor archiépiscopal, cathédrale de Rossano, Calabre, Italie

Domaine public, Mt 26 ; Mc 14 ; Lc 22

  • La Cène, mosaïque à Saint-Apollinaire-le-Neuf (526-547, Ravenne). Ces mosaïques suivent le même schéma que l'Évangéliaire de Rossano : les convives sont allongés autour d'une table semi-circulaire sur un modèle de banquet antique. Le calice est absent et ce sont des poissons et des morceaux de pain qui sont clairement identifiables sur la table, comme ils l'étaient sur les représentations de banquets rituels de type « agape » sur les peintures de catacombes. Il est difficile de savoir quel moment a été retenu ici. Judas ne porte pas la main au plat et il semble préférable de voir l'épisode de la Cène dans son ensemble, intégré en tant qu'épisode de la passion.

La première figuration du dernier repas fut donc plus narrative que liturgique ou dogmatique : l'image avait moins pour fonction de méditer le partage du pain-Corps et du vin-Sang, que de rappeler un épisode du récit de la passion menant à la croix. Elle plaçait l'accent sur l'Annonce de la trahison de Judas (Jn 13,21-30) et son contrepoint, le Lavement des pieds (Jn 13,1-20). 

Préférences orientales et occidentales

Au 6e s., l'image du dernier repas de Jésus produit deux thèmes distincts : (1) le repas du Christ et de ses disciples à table, avec un accent placé sur la trahison de Judas ; (2) la communion des apôtres mettant liturgiquement en scène le Christ comme prêtre. Le second connaît son succès principalement dans le monde grec (où il se retrouve jusqu'au 12e s.), tandis que le premier sert de matrice à l'imagerie occidentale.

À partir du 7e s., en effet, l'Occident préfère rapidement la réunion des personnages autour de la table. C'est le modèle des agapes qui est privilégié, progressivement enrichi du développement dogmatique sur l'Eucharistie.

  • Codex Augustinus (7e s., Corpus Christi College, Cambridge, ms. 286, f. 125r). Sur une miniature pleine page de ce manuscrit présentant douze épisodes de la passion, la Cène n’occupe qu'une seule vignette et apparaît donc comme un épisode de la passion. Il est intéressant qu'ici soit représenté le moment de la conversion des espèces : le calice et le pain occupent l'axe de composition de l'image et le regard est attiré par le geste de bénédiction du Christ, qui convertit justement le pain et le vin en sa Chair et son Sang. Si la Cène apparaît sur cette miniature comme une étape de la passion, l'attention porte moins sur la trahison de Judas (en contraste avec les exemples grecs plus anciens) que sur le sacrement eucharistique.

3 — Du 9e au 12e siècles : fixation et enrichissements

Deux exemples carolingiens

Les Carolingiens fixent le thème iconographique de « la Cène » tel qu'il a traversé les siècles.

  • Sacramentaire de Marmoutier ou Sacramentaire de Raganaldus (ca. 850, Autun, BM, ms. 019 bis, f. 8r) fusionne la figuration du repas et la distribution des espèces. La table est circulaire et le Christ est placé au centre. Il distribue d’un côté du pain et de l’autre du vin. La valeur sacramentelle de l’épisode est accentuée par le médaillon voisin de la miniature qui présente le baptême du Christ. Au centre de la table apparaissent un calice, une hostie, un poisson, couteaux et serpettes.

Dans la plupart des images carolingiennes, le Christ préside soit sur un côté de la table (à gauche), soit au centre dans le cas des tables semi-circulaires. Le contenu de la table devient particulièrement important et plusieurs éléments sont clairement identifiables : le calice et une miche de pain (voire l’hostie) au centre de la composition, des couteaux. Ces éléments se transmettent dans les représentations postérieures jusqu’au 11e s.

  • La Cène et le Lavement des pieds, Livre des péricopes d’Henri II (ca. 1002-1012, Bayerische Staatsbibliothek, Munich, f. 105v). La Cène est couplée avec le lavement des pieds (au registre inférieur). Tous les moments de l'épisode sont condensés : Judas porte la main au plat, le Christ fait le geste de bénédiction pour convertir les espèces, et les apôtres se partagent les coupes de vin pour figurer la distribution des espèces. Le calice et le pain marqué de la croix sont mis en évidence sur la table. Le cénacle a été monumentalisé : le repas se passe désormais dans une grande salle ponctuée de colonnes et de rideaux.
Innovations
Conversion

L’image glisse de l’annonce de la trahison (et la désignation du traître par le geste de Judas) à la conversion des espèces. Si la forme de la table peut varier (rectangulaire ou semi-circulaire sur un modèle tardo-antique), les espèces sont toujours mises en valeur dans la composition (le pain et le calice). De même, le geste de bénédiction du Christ devient la norme. Ce geste ne se rapporte plus narrativement à la désignation du traître, mais liturgiquement, sacramentellement à l’acte de conversion des espèces.

Monumentalisation

La portée de l’image devient ecclésiologique, ce qui est souligné par la monumentalisation du lieu du repas, le cénacle. La forme de la table importe peu. Ce qui compte, en revanche, c’est que les convives sont réunis au sein d’une architecture dont le plan est bien souvent basilical. Les imagiers carolingiens et postérieurs comprennent parfaitement et expriment que l’instant eucharistique construit l’Église.

« Johannisation »

Les artistes carolingiens intègrent le motif de Jean endormi (soit sur la table, soit sur la poitrine du Christ : Arts visuels Jn 13,23). L’élément, très rare avant le 9e s., devient une quasi-règle durant l’époque carolingienne. Il est important de comprendre que le Cène carolingienne porte l’accent sur la conversion des espèces et donc sur le Corps du Christ (sa Chair et son Sang). Or, Jean est en contact direct avec le corps réel du Christ (endormi sur sa poitrine, porche de son cœur — siège de son âme), alors que ses compagnons sont témoins de la présence (tout aussi réelle) de ce Corps dans les espèces présentes sur la table. En ce sens, Jean ne dort pas au sens littéral, il vit un songe : il entrevoit les réalités du mystère en tant qu’apôtre visionnaire en contact avec les réalités du ciel (à Jean est attribuée l’Apocalypse tout au long du Moyen Âge).

Au cours du 12e siècle

Les imagiers multiplient les détails et accordent une place plus importante à la trahison de Judas, régulièrement flanqué d’un diable ou d’une figure diabolique, reprenant ainsi Jn, seul à préciser qu’« Après la bouchée, le Satan alors entra en lui » (Jn 13,27). Les images du 12e s. affirment aussi la transsubstantiation, après la querelle sur la présence réelle provoquée par Bérenger de Tours au 11e s. (→Transsubstantiation : histoire, théologie dogmatique et sacramentaire). 

  • La Cène, fresque (12e s., église Saint-Martin de Vic, mur ouest du chœur).

Anonyme, La Cène, (fresque, 12e s.), église Saint-Martin de Vic, Indre

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Cette portion de fresque condense les éléments importants de la Cène. Alors que les apôtres discutent les uns avec les autres sur l'annonce de la trahison, le Christ donne la communion à Judas. Jean est endormi sur la poitrine du Christ, le pain et le vin sont mis en évidence sur la table et la salle du cénacle a été monumentalisée. Les images de la Cène de ce siècle témoignent également d'une dévotion eucharistique aux saintes espèces, à la monstration et l'élévation de l'hostie, qui est de plus en plus mise en évidence sur la table ou entre les mains du Christ.

4 — Primitifs des 13e-15e siècles

Parmi les Cènes primitives les plus célèbres (cf. Rigaux 1989), on peut citer :

  • Frères Limbourg, Très riches heures du Duc de Berry (avant 1416, musée Condé, Chantilly) ; Fra Angelico (1450, Florence) et Joos van Wassenhove (1473-1475, Urbino).

Fra Angelico (ca. 1395-1455), La communion des apôtres, (fresque, 1440-1441), 200 x 248 cm

Couvent San Marco, Florence, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Joos van Wassenhove :

Joos van Wassenhove (1410-1480), L'Institution de l'Eucharistie ou Communion des Apôtres, (tempera et huile sur panneau de bois, 1473-1474), 331 x 335 cm

Galleria Nazionale delle Marche, Urbino, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

La figure de Judas n’est plus qu’exceptionnellement isolée, au premier plan, de dos, face au Christ et aux onze apôtres, comme dans les versions de :

  • Andrea Del Castagno (1447, Florence) ; Cosimo Rosselli (1481-1482, Vatican) ; Ghirlandaio (1486, Florence).

Andrea Del Castagno :

Andrea del Castagno (ca. 1420-1457), La Cène, (fresque, 1445-1450), 453 x 975 cm

église Sant'Apollonia, Florence, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Cosimo Rosselli :

Cosimo Rosselli (1439-1507), La Cène, (fresque, 1481-1482), 349 x 570 cm

chapelle Sixtine, cité du Vatican

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Ghirlandaio :

Domenico Ghirlandaio (1449-1494), La Cène, (fresque, ca. 1486), 400 x 800 cm

basilique San Marco, Florence, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Les primitifs italiens diffusent l'iconographie de ce que l'on appelle habituellement le cenacolo et dont l'exemple iconique qui diffusera dans toutes les cultures l'imagerie de la Cène est celui de Léonard de Vinci. 

  • Léonard de Vinci, Cenacolo, fresque (1495-1498, Santa Maria delle Grazie, Milan).

Léonard de Vinci (1452-1519), La Cène, (tempera sur gesso, brai et mastique, 1495-1498), 460 x 880 cm

réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie, Milan, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

La célébrissime Cène de Léonard de Vinci est en fait un exemple assez commun du type du cenacolo florentin devenu l'archétype, pour la postérité, du repas du Seigneur. Le Cenacolo met l'accent à nouveau moins sur l'aspect sacramentel que sur l'annonce de la trahison. L’image insiste donc sur la méditation sur le cycle de la passion en proposant des variations infinies sur les réactions des apôtres à l'annonce de Jésus, sur les jeux de regard, l'enchaînement des gestes, etc. L'objectif est de créer une histoire, une narration complexe et méditative à partir de l'image fixe. L'exemple de Léonard de Vinci insiste ainsi sur le Christ écoutant les réactions des disciples après avoir annoncé la trahison. Le cenacolo s'inscrit ainsi dans un cycle d'images méditatives sur tous les événements qui constituent la semaine sainte.

Le cenacolo offre également de nombreuses variations sur le repas et, par moyens détournés, sur le repas dans les cours vénitienne et florentine. L'image décore le plus souvent les réfectoires de communautés religieuses (ce qui explique leur valeur méditative prononcée). Elle offre un pendant ascétique, projeté dans le contemporain, à la profusion de luxe qu'offrait un autre thème à la mode à cette époque : les Noces de Cana.

  • Luca Signorelli (1512, Cortone).

Luca Signorelli (1450-1523), La Lamentation du Christ mort : La Cène, (bois, 1502), 270 x 240 cm, prédelle de la Lamentation du Christ mort

Musée diocésain, Cortone, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Époque moderne

L’époque moderne et, dans une moindre mesure, l’époque contemporaine introduisent des variations plus subtiles dans la représentation de l’institution même de l’Eucharistie et de la trahison de Judas qui lui est associée.

  • Le Titien (1544, Urbino) ;
  • L’émailleur connu sous le nom du Pseudo-Monvaerni (fin 15e s., Paris).

Quelques artistes innovent en proposant une composition qui ignore le motif devenu traditionnel de la table. Leurs œuvres tiennent à la fois de l’institution de l’Eucharistie et de la communion des apôtres et réalisent une synthèse parfaitement équilibrée des différentes iconographies. Jésus est debout et les apôtres à genoux :

  • Federico Barocci (1608, Rome) ; Nicolas Poussin (1641, Louvre, Paris).

Barocci :

Federico Barocci (1535-1612), L'Institution de l'Eucharistie ou Communion des Apôtres, (huile sur toile, 1608), 290 x 177 cm

Basilique Santa Maria sopra Minerva, Rome, Italie

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,15-20

Poussin :

Nicolas Poussin (1594-1665), Institution de l'Eucharistie, (huile sur toile, 1641), sainte Cène, 325 × 250 cm

Peinture française, salle 19 : Grands tableaux d'autel du 17e s., Paris, musée du Louvre

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26,26-28 ; Mc 14,22-24 ; Lc 22,19-20 ; 1Co 11,23-26

C’est également au 17e s. que se développent les représentations allégoriques et symboliques de l’Eucharistie : la présence d’une coupe et d’un pain dans des natures mortes permet d’évoquer le sacrement sans avoir recours à la narration de l’épisode.

  • Georg Flegel (Francfort) ; Jan Davidsz de Heem (Vienne) ; Simon Luttichuys (Francfort) ; Alexander Coosemans (Le Mans).

Au 19e s., d'intéressantes nouveautés apparaissent :

James Tissot (1836-1902), La Cène légale, (gouache et graphite sur papier vélin, 1886-1894), 21,7 x 30,6 cm

Brooklyn Museum, New York, États-Unis

Domaine public © Wikimedia commons→, Mt 26 ; Mc 14 ; Lc 22

Ainsi les artistes se sont surtout attachés à l’interprétation de l’événement, proposant une lecture tantôt historique et narrative, mettant l’accent sur la trahison de Judas, tantôt symbolique et sacramentelle, développant l’iconographie de la communion des apôtres, qui connaît une nouvelle faveur au moment de la Contre-Réforme où elle devient un moyen de défendre l’Eucharistie.