La Bible en ses Traditions

Cantique des cantiques 5,15–6,3

M V
G S

15 ses jambes sont des

Vcuisses, colonnes d’albâtre, posées

Vmarmoréennes fondées sur des bases d’orM pur

il a l'aspect du

Vavec son allure de Liban, élégant comme le cèdre, 

Vélevé comme les cèdres, 

15 

M
G S
V

16 Son palais n’est que douceur et toute sa personne n’est que charme.

Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, filles de Jérusalem.

16 

16 sa gorge des plus suaves, bref, en tout désirable : 

tel est mon préféré, et c'est lui mon ami, filles de Jérusalem !

16 Le bien-aimé 3,1

6,1 Où est allé ton bien-aimé, la plus belle des femmes ?

De quel côté ton bien-aimé s’est-il tourné, pour que nous le cherchions avec toi ?

— Où est parti ton préféré, ô la plus belle des femmes ?

où s'est-il dérobé ? qu'avec toi nous le cherchions ! 

6,2 — Mon bien-aimé est descendu dans son jardin, aux parterres de baumiers, pour se repaître dans les jardins et pour cueillir des lis.

— Mon préféré est descendu dans son jardin vers le parterre d'aromates paître dans les jardins et y cueillir des lis :

2s La bien-aimée et le jardin 4,12-16

6,3 Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi ; il fait paître son troupeau parmi les lis.

moi je suis à mon préféré et mon  préféré est à moi, qui paît parmi les lis !

3 || 2,16

Réception

Philosophie

1,1–8,15 Le Cantique comme symbole de la révélation Rosenzweig Stern (p. 235-242) interprète le caractère dialogal du Ct comme une instance de la structure dialogale de la révélation elle-même.  

  • Une première partie, intitulée « création », décrit une relation non personnelle, en 3e pers. et au passé, entre Dieu et le monde.
  • Au cœur de l'ouvrage, Rosenzweig fait de son commentaire du Ct le fil conducteur de la présentation de ce qu'il appelle « La révélation », c'est-à-dire le passage au « tu » et au présent et ainsi à l'avènement d'une relation personnelle entre Dieu et l'homme. Tout le Ct est un dialogue (à l'exception de Ct 8,6) : il ne dit pas que la révélation est dialogale, il le montre en étant lui-même dialogue et étant presque uniquement cela.

Révélation performée : importance du dialogue

La révélation n'est donc pas pour Rosenzweig la communication d'un ensemble d'informations sur Dieu, mais la naissance d'une relation entre Dieu et l'homme. Le Ct est pur dialogue — sans jamais de passage à la 3e pers. — et histoire au présent. Ces deux caractéristiques sont le fondement de la révélation : le dialogue et le présent.

Il ne s'agit donc plus de parler de la relation entre Dieu et l'homme, comme les prophètes qui décrivaient cette relation à l'aide de la métaphore des noces, mais de faire parler cette relation elle-même.

Révélation lyrique : importance de la subjectivité

Le discours du Ct est donc tout entier porté par la subjectivité.

  • Cela se manifeste par l'importance du « je » sous la forme du je-marqué (’ănî en héb.). Le Ct est le texte biblique qui utilise, proportionnellement à sa taille, le plus ce « je », après le livre du Qo (fréquence de 6,03 emplois pour 1000 mots en Ct, et de 6,50 en Qo).
  • Cela se remarque aussi au fait que les premiers mots du Ct expriment une comparaison : « tes amours sont meilleures que le vin » (Ct 1,2b), c'est-à-dire une appréciation subjective et non un simple constat, auquel cas un comparatif n'eût pas été nécessaire.

Dès le début du texte, la focalisation n'est pas celle d'une narration objective mais celle d'une subjectivité : les choses ne sont pas décrites pour elles-mêmes, l'enjeu est d'emblée perspectiviste. 

Critique de la réception moderne du Cantique

Rosenzweig critique les analyses modernes du Ct (à partir des 18e et 19e s.) qui ont cherché à effacer cette dimension dialogale du texte.

  • Il vise d'abord Herder et Goethe, qui ont fait du Ct un chant d'amour purement humain, prisonniers qu'ils étaient du préjugé que ce qui est humain ne peut être divin et que Dieu ne peut pas aimer. Cependant, leur tentative eut au moins le mérite de conserver cet aspect essentiel du Ct : le fait qu'il s'agisse d'un chant lyrique, de l'expression de deux subjectivités.
  • D'autres tentatives ont suivi, plus condamnables parce qu'elles ont réduit le Ct à un simple récit, narration entre plusieurs personnages : un roi, un berger, une paysanne. Dans ce dernier type d'interprétation le cœur du Ct, à savoir son caractère lyrique, est perdu et l'œuvre demeure incompréhensible.

Musique

5,1–16 Je dors mais mon cœur veille

17e s.

Melchior Franck (1579-1639), Geistliche Gesäng und Melodeyen: No. 3, Ich schlafe, aber mein Herz wachet

Christoph Dittmar (dir.), Cantus Thuringia & Capella

© Licence YouTube Standard→, Ct 5,2

Composition

Melchior Franck est un compositeur allemand de la Renaissance tardive et du début de l'époque baroque. Il composa plus de quarante livres de motets, dont cette œuvre sur le Cantique des Cantiques: « Je dors, mais mon cœur veille ».

Arts visuels

6,1 Où est parti ton bien-aimé (= V : 5,17)

Expressionnisme allemand

Egon Tschirch (1889-1948), Cantique des Cantiques, étude E (tempera sur carton, 1923), 64 x 47 cm

Kunsthalle Rostock→ (Allemagne) © CC BY-SA 3.0 de→

Composition

Le Cantique des Cantiques - en allemand Das Hohelied Salomos - est le titre d'un cycle d'images expressionnistes du peintre allemand Egon Tschirch. L'artiste interprète les textes du Cantique des cantiques. Le cycle a été créé en 1923 à Rostock et contient environ 50 images, dont 27 ont été redécouvertes en 2015.

Liturgie

5,1–16 LITURGIE JUIVE Un chant pascal Le Cantique est lu après la amida durant la semaine de Pessach. Le choix serait motivé par la mention des chars de Pharaon en Ct 1,9 où l'on voit une allusion à l'Exode.  

TraditionnelMegillat Shir HaShirim, c.5 lu par Abraham Shmuelof (1913-1994), Maison Saint-Isaïe des Dominicains, Jérusalem, années 1970

Audio Scriptures International (numérisation) ; Mechon Mamre→ (mise en ligne)  © Sœurs du Carmel (enregistrements originaux)

Abraham Shmuelof né en 1913 dans le quartier Meah Shearim de Jérusalem, dernier de seize enfants dans une grande famille juive ultraorthodoxe de Bucharan qui avait émigré de Perse à la fin du 19e siècle devint une figure légendaire à Jérusalem, passant du statut de juif ultraorthodoxe au catholicisme romain, moine trappiste, bénédictin, retournant aux trappistes et enfin servant dans l'Église gréco-catholique de Galilée. Dans les années 1970, il trouva sa place à « La Maison Saint-Isaïe » fondée à Jérusalem par les Dominicains français, où il collabora au développement d'une liturgie catholique hébréophone avec le P. Jacques Fontaine. C'est à cette époque qu'il se chargea de la tâche d'enregistrer l'intégralité du Tanakh en hébreu.

6,1–13 LITURGIE JUIVE Un chant pascal    Le Cantique est lu après la amida durant la semaine de Pessach. Le choix serait motivé par la mention des chars de Pharaon en Ct 1,9 où l'on voit une allusion à l'Exode.   

TraditionnelMegillat Shir HaShirim, c.6 lu par Abraham Shmuelof (1913-1994), Maison Saint-Isaïe des Dominicains, Jérusalem, années 1970

Audio Scriptures International (numérisation) ; Mechon Mamre→ (mise en ligne)  © Sœurs du Carmel (enregistrements originaux)

Abraham Shmuelof né en 1913 dans le quartier Meah Shearim de Jérusalem, dernier de seize enfants dans une grande famille juive ultraorthodoxe de Bucharan qui avait émigré de Perse à la fin du 19e siècle devint une figure légendaire à Jérusalem, passant du statut de juif ultraorthodoxe au catholicisme romain, moine trappiste, bénédictin, retournant aux trappistes et enfin servant dans l'Église gréco-catholique de Galilée. Dans les années 1970, il trouva sa place à « La Maison Saint-Isaïe » fondée à Jérusalem par les Dominicains français, où il collabora au développement d'une liturgie catholique hébréophone avec le P. Jacques Fontaine. C'est à cette époque qu'il se chargea de la tâche d'enregistrer l'intégralité du Tanakh en hébreu.

Texte

Critique textuelle

6,1–12 V Numérotation des versets Dans les éditions de V, Ct 6,1 est considéré comme le dernier v. du ch. 5 (V—Ct 5,17  =  MSG—Ct 6,1). D'où un décalage d'une unité dans tout le chapitre (MSG—Ct 6,2 = V Ct 6,1, etc.).

© CC-BY-SA-4.0

Réception

Tradition chrétienne

6,2 Mon préféré est descendu dans son jardin + paître, cueillir (V)  TYPOLOGIE mariale de la préférée...

... tout au long du Cantique

Le maître de saint Augustin est le premier commentateur à voir dans l’Épouse une image de la Vierge Marie : Ct 7,1-3, (description du nombril et du sein de la Bien-Aimée) évoque selon lui les mystères de la naissance du Christ. 

  • Ambroise de Milan Inst. virg. 89-92,94  « Que de belles choses aussi ont été prophétisées de Marie sous la figure de l’Église à condition de considérer non pas les membres du corps, mais les mystères de son enfantement ; car il lui est dit : « Le modelé de tes jambes ressemble à des colliers, ouvrage d’un artiste. Ton nombril est une coupe façonnée au tour, où le vin ne manque pas. Ton sein est comme un monceau de blé entouré de lis » (Ct 7,1-3) ; car, en lui, il contient la naissance du Christ, né de la Vierge, en tous […]. 90. Et le sein de Marie est réellement une coupe façonnée au tour (Ct 7,2), où résidait la Sagesse qui a préparé son vin dans une coupe (Pr 9,2.5), en nous versant cette grâce intarissable, la sainte connaissance de la plénitude de sa divinité. 91. Dans le sein de la Vierge il y avait en même temps un monceau de blé et la beauté de la fleur de lis (Ct 7,3), car elle engendrait et le grain de blé et le lis ; le grain de blé, selon l’Écriture : « En vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul » ; mais comme de l’unique grain de blé a germé un monceau de blé, la prophétie s’est accomplie : « Les vallées auront du blé en abondance » (Ps 64,14) […] 92. Qu’il y ait aussi dans ce grain un lis, les oracles divins en témoignent ; car il est écrit : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées, tel un lis au milieu des épines » (Ct 2,1-2). Le Christ était au milieu des épines lorsqu’il était au milieu des juifs. […] 94. Donc le sein de Marie a déposé en ce monde le monceau de blé garni de lis, lorsque d’elle est né le Christ. »

Ambroise est l'exception. Après lui, seuls Juste d’Urgell (6e s.) puis Paschase Radbert (9e s.) reprirent l'interprétation mariale, avant qu'elle ne se popularise après le 12e s. (Honorius d’Autun, Rupert de Deutz et Alain de Lille).

... dans ce verset

C'est Juste qui est le premier a donner une interprétation mariale de ce verset :

  • Juste d’Urgell (?-546), Explanatio in Cantica § 132 « Mon Bien-Aimé est descendu à son jardin, aux parterres embaumés. Il est descendu à son jardin quand il a visité lors de sa venue son peuple Israël, comme il le dit lui-même : '—Je n’ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël'. Quant aux parterres embaumés, nous considérons qu’il faut comprendre la Sainte Vierge Marie en personne ; car c’est d’elle que nous est née l’odeur de justice, le Seigneur Jésus Christ. » (Cf. Juste d’Urgell, Explanatio in Cantica canticorum. Un vescovo esegeta nel regno visigoto, texte latin, introd., trad. ital. et comm. par R. Guglielmetti (Per verba 27), Florence : Edizioni del Galluzzo, 2011). 

Anonyme, Incipit d'un office de la Vierge, avec une scène de Nativité (pigment à la détrempe et or sur vellum, ca 1430, Rennes, France), 20,5 x15 cm, enluminure, dans le Livre d’heures de Marguerite d’Orléans, Latin 1156B, f.75r

Bibliiothèque nationale de France © Domaine public→

Des premières lettres du texte jaillit une végétation profuse : la page entière se transforme en jardin, où les oiseaux du ciel aux ailes remployées ont trouvé leur refuge (cf. Mt 13,31-32) et où poussent des fleurs hautement symboliques du mystère de Marie, la préférée, qui accueille son préféré dans le sein de sa vie virginale : les marges font écho à la scène centrale, la Nativité, où un petit séraphin aux ailes rouges présente à la Vierge Marie, comme pour mettre en abîme le contemplateur de cette page, un petit livre où se lit le Gloria.

Remarquer en particulier les ancolies, avec leurs pétales dont la forme s’apparente à des colombes au cou gracile (de là vient son nom anglais de columbine). Par analogie, l'ancolie symbolise l’Esprit-Saint. Le nombre de ses pétales, cinq, lui vaut aussi le surnom de « doigts de Notre-Dame. »