Un projet du Programme de Recherches La Bible en ses traditions AISBL
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2 YHWH,
VSeigneur, j’ai entendu ce que tu as fait entendre, et j'ai été saisi de crainte
YHWH,
VSeigneur, donne vie à ton œuvre dans le cours des années
dans le cours des années fais
Vtu la feras connaître ;
dans la colère, souviens-toi d’avoir pitié.
Vlorsque tu seras en colère, tu te souviendras d'avoir miséricorde.
2 Seigneur, j’ai entendu ce que tu as fait entendre, et j'ai été saisi de crainte
j'ai considéré tes œuvres et j'ai été hors de moi-même,
au milieu de deux êtres vivants tu seras connu,
quand seront proches les années tu seras reconnu,
quand sera venu le temps tu seras révélé,
quand mon âme sera troublée de colère, tu te souviendras de ta miséricorde.
2 ...
2 Divergences entre le texte hébreu et la Septante : originalité des versions grecques Le texte grec de ce verset est si différent du texte hébreu, lui-même très énigmatique, qu'il faut y voir un effort de reconstruction et de clarification.
Le texte grec présente six stiques au lieu des cinq de M. Les traducteurs grecs semblent non seulement avoir lu (découpé et vocalisé) différemment les consonnes hébraïques à leur disposition, mais aussi y avoir fait des ajouts, à moins qu'ils n'aient traduit un texte hébreu différent de (proto-)M.
Si le texte hébreu souligne l'idée de vivifier l'œuvre de Dieu, la Septante présente pour sa part une phrase mystérieuse qui aura une influence non négligeable dans l'iconographie typologique : « Au milieu de deux animaux, tu seras connu. » Voir notamment : Arts visuels Lc 2,1–7.
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Frontispice de la bible Polyglotte d’Alcalà (1514-1517), (gravure sur bois) © Domaine public→
Voici la traduction du décryptage allégorique imprimé au-dessus de ce frontispice, un écu à quinze carreaux surmontés de la croix et du chapeau cardinalice : « Les quinze carrés de cet écu représentent les quinze jours que passèrent ensemble à Jérusalem saint Pierre qui prêchait aux juifs ou à ceux de la synagogue et saint Paul, apôtre des nations. Le chiffre 7 (et en conséquence les 7 carrés de couleur de cet écu) signifie la loi antique ou Ancien Testament ; le chiffre 8 (ou les huit carrés de l'autre couleur) signifient la loi de grâce ou le Nouveau Testament. Le nombre 15 (donc les quinze carrés) les contient tous. »
1s Seigneur, j'ai entendu ce que tu as dit et j'ai craint Interprétation typologique et écho visuel du texte grec dans la Biblia Pauperum Quoi qu'elle s'appuie sur le texte latin, la Biblia pauperum invite à relire le texte grec de notre verset, simplement en transmettant l'iconographie de la Nativité.
Dans la planche A de la →Biblia pauperum, consacrée à la Nativité, ce verset apparaît en latin sur le phylactère tenu par le prophète Habaquq, dans le registre inférieur gauche.
Habaquq est représenté derrière une baie géminée séparée par un meneau en forme de pilier. Son œuvre éponyme est inscrite au début du phylactère, accompagnée du chapitre correspondant au verset. Un trait fin sépare ces inscriptions du verset en question, écrit dans une graphie gothique riche en abréviations et ligatures.
(continuant ), Prophète inférieur gauche avec un phylactère, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,
Planche B, f.2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,
Pour l’imagier médiéval, l’oracle d’Habacuc est lu comme une annonce de la Nativité. Pourtant, le lien entre les paroles du prophète : « Seigneur, j’ai entendu ce que tu as dit et j’ai craint » et la naissance du Christ semble obscur. Il s’éclaire si l’on revient au texte de la Septante, où ce verset appartient à une péricope à tonalité messianique :
Ainsi, l’imagerie médiévale représente souvent la scène où deux animaux, évoqués par la Septante, contemplent l’Enfant dans la crèche.
(continuant ), Scène centrale : La Nativité, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,
Planche B, f. 2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,
À ses côtés se tient le prophète Michée avec l'inscription et le verset correspondant (Arts visuels Mi 5,1). Tous deux soutiennent le triptyque placé au centre de la planche.
(continuant ), « Moïse et le buisson ardent, La Nativité, Le rameau d'Aaron », (impression xylographique, 1460s, Pays-Bas ou Rhin inférieur), 27,5 x 20,5 cm
Planche B, f.2r de Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,
La prophétie d'Habaquq lue comme la préfiguration de la Nativité se reflète sur les autres phylactères de la planche.
Pour une lecture complète de la planche, voir : Arts visuels Lc 2,1–7.
2 au milieu de deux être vivants (G) Quand une variante grecque inspire l'histoire de l'art Si le texte hébreu souligne l'idée d'une reviviscence de l'œuvre de Dieu terrible et miséricordieux, la Septante ajoute une phrase mystérieuse qui eut une influence non négligeable dans l'iconographie typologique : « Au milieu de deux être vivants, tu seras connu. » (cf. Arts visuels Lc 2,1–7).
Les « animaux » ou « êtres vivants » entourant Dieu accompagnent ainsi la dialectique de la révélation divine : créatures angéliques autour du vide de la Présence dans l'arche, mammifères autour du nourrisson-Dieu, créatures angéliques de nouveau dans le paradoxe de sa passion et de sa résurrection.
Il est probable que l'inventif traducteur de G ait pensé aux deux « vivants » qui entourent la présence de Dieu dans la Tora. La célèbre mosaïque de la chapelle carolingienne de Germigny-les-Prés permet de les imaginer :
semi-coupole de l'abside est, Oratoire de Théodulphe, Germigny-des-Prés, France © Domaine public→, Ha 3,2
Le propitiatoire (Ex 25,17), escabeau sous les pieds du Seigneur et lieu de sa présence, est encadré par deux chérubins selon les prescriptions données à Moïse (Ex 25,17-20) ; le mouvement dans leurs vêtements suggère la présence du souffle de l’Esprit.
Eux-mêmes sont dominés par deux archanges gigantesques de style byzantin, qui désignent l’Arche de la main droite et l’adorent de la main gauche. Rédigé par Théodulfe, commanditaire de cette mosaïque, l'Opus Caroli 1,20 reprend une légende rapportée par , De Templo Salomonis2,9 : aux deux chérubins placés par Moïse sur l’Arche, Salomon en aurait ajouté deux autres, immenses, dont les ailes s’étendaient pour couvrir l’Arche déposée au centre du sanctuaire. La mosaïque de Germigny reproduit précisément cette configuration : Dieu est connu dans l’arche d’alliance vénérée par quatre anges : deux chérubins solidaires de l’arche et deux archanges pointant l'index vers leurs homologues figurés sur l’arche.
L’archange de gauche figure le peuple chrétien (son nimbe est cruciforme), celui de droite la nation juive : l'arche renvoie évidemment à la Première Alliance, mais elle symbolise aussi le Christ, médiateur de la Nouvelle Alliance (He 9,3-5 ; Lc 22,20).
(1370–1427), Nativité de Jésus, (tempera sur panneau de bois, 1423), 32 x 75 cm
Galerie des Offices, Florence (Italie) © Domaine public→
C'est bien entre deux animaux que se dévoile tout-à-fait l'ultime Présence de Dieu sur terre.
Quand est venue pour lui l'heure de rentrer dans la Gloire originelle (Jn 17,1, cf. Jn 12,28), c'est entre les « êtres vivants » de l'arche que les artistes inspirés le donnent à voir.
Andrea (1431–1506), Le Christ comme Rédempteur souffrant, (tempera sur bois, ca 1495-1500), 78 x 48 cm
Statens Museum for Kunst, Copenhague, Danemark © Domaine public→ , Ha 3,2
Sur cette imago pietatis (cf. Arts visuels Mt 8,17), Mantegna fait de la Passion du Christ une véritable théophanie paradoxale, en figurant le corps supplicié du Dieu-fait-homme encadré par deux anges des plus haut placés dans la hiérarchie céleste (Arts visuels Gn 3,24c) : un séraphin (en rouge) et un chérubin (en bleu, il aurait pu être aussi en jaune ou en or). Ici Dieu est non seulement connu, mais exhibé, en quelque sorte, entre les deux « vivants » mystérieusement prophétisés par quelque scribe juif hellénophone traduisant à sa façon Ha 3,2 (cf. Comparaison des versions Ha 3,2).
2 être vivants (G) Des « être vivants » grecs aux animaux des crèches latines La version hébraïque de ce verset est fort énigmatique, tant est est laconique. Le traducteur grec a pu disposer d'une version différente, à moins qu'il ne se soit efforcé de clarifier celle-ci à sa manière (Comparaison des versions Ha 3,2). Toujours est-il qu'il y lut « deux êtres vivants » entre lesquels le Seigneur apparaîtrait.
En retraduisant l’Écriture à partir de l’hébreu, saint Jérôme n’a pas retenu ces « deux être vivants » inventés par la Septante. Pourtant, ils ne furent pas oubliés ni lost in translation. Ils allèrent nicher dans l’histoire de l’art et la piété populaire, comme en témoigne la présence du verset dans la planche de la Nativité de la Biblia pauperum (Arts visuels Ha 3,1s). Ils ont passionné les artistes, tant du langage (Tradition chrétienne Ha 3,2) : que de l'image (Arts visuels Ha 3,2) et se sont même transmis à travers eux et la liturgie dans l'histoire de l'art chrétien.
Dans la planche A de la →Biblia pauperum, consacrée à la Nativité, ce verset apparaît en latin sur le phylactère tenu par le prophète Habaquq, dans le registre inférieur gauche.
Habaquq est représenté derrière une baie géminée séparée par un meneau en forme de pilier. Son œuvre éponyme est inscrite au début du phylactère, accompagnée du chapitre correspondant au verset. Un trait fin sépare ces inscriptions du verset en question, écrit dans une graphie gothique riche en abréviations et ligatures.
(continuant ), Prophète inférieur gauche avec un phylactère, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,
Planche B, f.2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,
Pour l’imagier médiéval, l’oracle d’Habacuc est lu comme une annonce de la Nativité. Pourtant, le lien entre les paroles du prophète : « Seigneur, j’ai entendu ce que tu as dit et j’ai craint » et la naissance du Christ semble obscur. Il s’éclaire si l’on revient au texte de la Septante, où ce verset appartient à une péricope à tonalité messianique :
Ainsi, l’imagerie médiévale représente souvent la scène où deux animaux, évoqués par la Septante, contemplent l’Enfant dans la crèche.
(continuant ), Scène centrale : La Nativité, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,
Planche B, f. 2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,
Dans la première Alliance, Dieu demeure invisible et transcendant mais donne rendez-vous aux hommes avec le signe de l'arche de l'Alliance. Dans l’Alliance nouvelle et éternelle, il se rend visible : il s’incarne et souffre par amour pour l'humanité. Les paires d'« animaux » qui l'encadrent en toutes ces phases sont les témoins constants de la Miséricorde divine.
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