La Bible en ses Traditions

Habaquq 3,2

M V
G
S

YHWH,

VSeigneur, j’ai entendu ce que tu as fait entendre, et j'ai été saisi de crainte

YHWH,

VSeigneur, donne vie à ton œuvre dans le cours des années

dans le cours des années fais

Vtu la feras connaître ;

dans la colère, souviens-toi d’avoir pitié.

Vlorsque tu seras en colère, tu te souviendras d'avoir miséricorde.

Seigneur, j’ai entendu ce que tu as fait entendre, et j'ai été saisi de crainte

j'ai considéré tes œuvres et j'ai été hors de moi-même,

au milieu de deux êtres vivants tu seras connu,

quand seront proches les années tu seras reconnu,

quand sera venu le temps tu seras révélé,

quand mon âme sera troublée de colère, tu te souviendras de ta miséricorde.

...

Réception

Comparaison des versions

2 Divergences entre le texte hébreu et la Septante : originalité des versions grecques Le texte grec de ce verset est si différent du texte hébreu, lui-même très énigmatique, qu'il faut y voir un effort de reconstruction et de clarification. 

M et V
  • Le texte de M est bien attesté dans les mss de la mer Morte (cf. le Rouleau des Douze Prophètes : Les grottes de Murabba‘ât (DJD) Oxford, 1961,181-205 et planches LVI-LXX) et par Jérôme : Legimus site in hebræo ADONAI, id est domine, PHALACH : opus tuum, BACEREB: in medio, SANIM : annorum, HEIEHU : vivifica illud (cf. Tradition chrétienne Ha 3,2).
  • Le yod dans M—ḥayyéhû [donne vie / fais revivre] est attesté par la traduction ζῴων de G. Le verbe ḥyh au piel est bien attesté : Grammaire Ha 3,2
  • V offre : Domine audivi auditionem tuam et timui / Domine opus tuum in medio annorum vivifica illud / in medio annorum notum facies. et Jérôme pousse l'interprétation jusqu'à la résurrection du Christ (cf. Tradition chrétienne Ha 3,2).
G

Le texte grec présente six stiques au lieu des cinq de M. Les traducteurs grecs semblent non seulement avoir lu (découpé et vocalisé) différemment les consonnes hébraïques à leur disposition, mais aussi y avoir fait des ajouts, à moins qu'ils n'aient traduit un texte hébreu différent de (proto-)M.

  • stique b, fin (reconstruction rhétorique) : exestēn (j'ai été hors de moi-même) redouble le verbe héb. yārēʾṯî (j'ai été saisi de crainte) du stique précédent, où le grec traduisait pas un autre verbe, mais de sens analogue (ephobēthēn, j'ai été saisi de crainte), créant un parallèle avec variation.
  • stique c (reconstruction) : duo (deux) reflète une lecture de l'hébreu comme šenayîm et non pas M—šanîm (années) ; zôiôn (êtres vivants) élabore sur la racine hébraïque ḥyh, (vivre) ;  et ajoute gnōsthēsē (tu seras connu). Le traducteur grec devait avoir un texte hébraïque semblable à : בְּקֶרֶב שְׁנֵי חַיּוֹת (beqérev shenéi ḥayyôt) . Avec cette variante de G (attestée aussi dans la traduction grecque du cantique d'Habaquq contenue dans le ms Barberini grec 549), on peut supposer que le traducteur grec pensait aux deux chérubins entourant l'arche d'alliance.
  • stique d (vocalisation) : vocalise l'hébreu beqaroḇ, autrement que M (bᵉqereḇ : au milieu de) : en toi eggizein, à l'approche de, et lit le verbe hébreu tôḏyaʿ qui est sans complément, comme un passif, gnōsthēsē, tu seras connu.
  • stique e (clarification) : semble une seconde traduction du stique d avec une triple variante lexicale, insistant sur la durée qu'il faudra pour que la révélation de Dieu. En grec, les trois verbes des stiques cde forment une gradation dans le dévoilement que Dieu fera de lui-même (connu < reconnu < révélé), là où l'hébreu massorétique annonce simplement que Dieu va manifester son action.
  • stique f (clarification) : Le début (« quand mon âme sera troublée de colère » semble commenter l'énigmatique premier mot du stique e de l'hébreu (« dans la colère »).
Un ajout devenu source d'inspiration dans la représentation de la Nativité dans l'iconographie ?

Si le texte hébreu souligne l'idée de vivifier l'œuvre de Dieu, la Septante présente pour sa part une phrase mystérieuse qui aura une influence non négligeable dans l'iconographie typologique : « Au milieu de deux animaux, tu seras connu. » Voir notamment : Arts visuels Lc 2,1–7.

——————————————————————

Pour aller plus loin

  • Dominique Barthélemy, Critique textuelle de l'Ancien Testament. Tome 3, Ezéchiel, Daniel et les 12 Prophètes, « Orbis Biblicus et Orientalis»,  Editions Universitaires de Fribourg (Suisse),1992, ca p. 862. Lu ICI→
  •  La Bible d'Alexandrie (LXX) T. 23, 4-9, Les douze Prophètes : Joël, Abdiou, Jonas, Naoum, Ambakoum, Sophonie. Traduction du texte grec de la Septante. Introduction et notes par Marguerite Harl, Cécile Dogniez, Laurence Brottier, Michel Casevitz, Pierre Sandevoir. Avec la collaboration de Roselyne Dupont-Roc, Thérèse Roqueplo et Félicien Roux, Paris: Cerf, 1999, p. 284-7.

Frontispice de la bible Polyglotte d’Alcalà (1514-1517), (gravure sur bois) © Domaine public→ 

Voici la traduction du décryptage allégorique imprimé au-dessus de ce frontispice, un écu à quinze carreaux surmontés de la croix et du chapeau cardinalice : « Les quinze carrés de cet écu représentent les quinze jours que passèrent ensemble à Jérusalem saint Pierre qui prêchait aux juifs ou à ceux de la synagogue et saint Paul, apôtre des nations. Le chiffre 7 (et en conséquence les 7 carrés de couleur de cet écu) signifie la loi antique ou Ancien Testament ; le chiffre 8 (ou les huit carrés de l'autre couleur) signifient la loi de grâce ou le Nouveau Testament. Le nombre 15 (donc les quinze carrés) les contient tous. »

Arts visuels

1s Seigneur, j'ai entendu ce que tu as dit et j'ai craint  Interprétation typologique et écho visuel du texte grec dans la Biblia Pauperum  Quoi qu'elle s'appuie sur le texte latin, la Biblia pauperum invite à relire le texte grec de notre verset, simplement en transmettant l'iconographie de la Nativité.

Citation

Dans la planche A de la →Biblia pauperum, consacrée à la Nativité, ce verset apparaît en latin sur le phylactère tenu par le prophète Habaquq, dans le registre inférieur gauche. 

Habaquq est représenté derrière une baie géminée séparée par un meneau en forme de pilier. Son œuvre éponyme est inscrite au début du phylactère, accompagnée du chapitre correspondant au verset. Un trait fin sépare ces inscriptions du verset en question, écrit dans une graphie gothique riche en abréviations et ligatures.

Anonyme (continuant Albrecht Pfister), Prophète inférieur gauche avec un phylactère, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,

Planche B, f.2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,

© Domaine public→

Pour l’imagier médiéval, l’oracle d’Habacuc est lu comme une annonce de la Nativité. Pourtant, le lien entre les paroles du prophète : « Seigneur, j’ai entendu ce que tu as dit et j’ai craint » et la naissance du Christ semble obscur. Il s’éclaire si l’on revient au texte de la Septante, où ce verset appartient à une péricope à tonalité messianique :

  • « Seigneur, j’ai entendu ce que tu as dit et j’ai craint ; j’ai considéré tes œuvres et je me suis extasié. Entre deux animaux tu te manifestes ; quand les années approcheront, on te connaîtra ; quand les temps viendront, tu apparaîtras ; quand mon âme sera troublée par ta colère, souviens-toi de ta miséricorde. »

Ainsi, l’imagerie médiévale représente souvent la scène où deux animaux, évoqués par la Septante, contemplent l’Enfant dans la crèche.

Anonyme (continuant Albrecht Pfister), Scène centrale : La Nativité, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,

Planche B, f. 2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti,  Bibliothèque nationale de France→,

© Domaine public→

 À ses côtés se tient le prophète Michée avec l'inscription et le verset correspondant (Arts visuels Mi 5,1). Tous deux soutiennent le triptyque placé au centre de la planche.

Anonyme (continuant Albrecht Pfister), « Moïse et le buisson ardent, La Nativité, Le rameau d'Aaron », (impression xylographique, 1460s, Pays-Bas ou Rhin inférieur), 27,5 x 20,5 cm

Planche B, f.2r de Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,

© Domaine public→

La prophétie d'Habaquq lue comme la préfiguration de la Nativité se reflète sur les autres phylactères de la planche.

Prophètes du registre supérieur
  • à g.  Daniel II : « La pierre d'angle, sans la main d'aucun homme, s'est détachée de la montagne. » (Dn 2,34-35)
  • à dr. Isaïe IX : « Un petit enfant nous est né, un fils nous a été donné. » (Is 9,5)
Prophètes du registre inférieur
  • à g. Habaquq III : « Seigneur, j'ai entendu ce que tu as dit et j'ai craint » (Ha 3,2)
  • à dr. Michée V : « Toi, Bethléem, terre de Juda, tu ne seras pas la moindre parmi les principales villes de Juda. » (Mi 5,1)

Pour une lecture complète de la planche, voir : Arts visuels Lc 2,1–7.

2 au milieu de deux être vivants (G) Quand une variante grecque inspire l'histoire de l'art Si le texte hébreu souligne l'idée d'une reviviscence de l'œuvre de Dieu terrible et miséricordieux, la Septante ajoute une phrase mystérieuse qui eut une influence non négligeable dans l'iconographie typologique : « Au milieu de deux être vivants, tu seras connu. » (cf. Arts visuels Lc 2,1–7). 

Les « animaux » ou « êtres vivants » entourant Dieu accompagnent ainsi la dialectique de la révélation divine : créatures angéliques autour du vide de la Présence dans l'arche, mammifères autour du nourrisson-Dieu, créatures angéliques de nouveau dans le paradoxe de sa passion et de sa résurrection.

Les vivants autour du Dieu transcendant 

Il est probable que l'inventif traducteur de G ait pensé aux deux « vivants » qui entourent la présence de Dieu dans la Tora. La célèbre mosaïque de la chapelle carolingienne de Germigny-les-Prés permet de les imaginer :

Anonyme (mosaïste byzantin ?, commande de Théodulf d'Orléans, 755-820), L'Arche de l'Alliance soutenue par des chérubins, (mosaïque ca. 803-806), ca 9 m2),

semi-coupole de l'abside est, Oratoire de Théodulphe, Germigny-des-Prés, France © Domaine public→, Ha 3,2

Le propitiatoire (Ex 25,17), escabeau sous les pieds du Seigneur et lieu de sa présence, est encadré par deux chérubins selon les prescriptions données à Moïse (Ex 25,17-20) ; le mouvement dans leurs vêtements suggère la présence du souffle de l’Esprit.

Eux-mêmes sont dominés par deux archanges gigantesques de style byzantin, qui désignent l’Arche de la main droite et l’adorent de la main gauche. Rédigé par Théodulfe, commanditaire de cette mosaïque, l'Opus Caroli 1,20 reprend une légende rapportée par Bède, De Templo Salomonis2,9 : aux deux chérubins placés par Moïse sur l’Arche, Salomon en aurait ajouté deux autres, immenses, dont les ailes s’étendaient pour couvrir l’Arche déposée au centre du sanctuaire. La mosaïque de Germigny reproduit précisément cette configuration : Dieu est connu dans l’arche d’alliance vénérée par quatre anges : deux chérubins solidaires de l’arche et deux archanges pointant l'index vers leurs homologues figurés sur l’arche.

L’archange de gauche figure le peuple chrétien (son nimbe est cruciforme), celui de droite la nation juive : l'arche renvoie évidemment à la Première Alliance, mais elle symbolise aussi le Christ, médiateur de la Nouvelle Alliance (He 9,3-5 ; Lc 22,20). 

Les vivants autour de Dieu aux jours de sa chair

Deux mamifères à sa naissance

Gentile da Fabriano (1370–1427), Nativité de Jésus, (tempera sur panneau de bois, 1423), 32 x 75 cm

Galerie des Offices, Florence (Italie) © Domaine public→ 

C'est bien entre deux animaux que se dévoile tout-à-fait l'ultime Présence de Dieu sur terre. 

Quand est venue pour lui l'heure de rentrer dans la Gloire originelle (Jn 17,1, cf. Jn 12,28), c'est entre les « êtres vivants » de l'arche que les artistes inspirés le donnent à voir.

Un chérubin et un séraphin dans sa Passion

Andrea Mantegna (1431–1506), Le Christ comme Rédempteur souffrant, (tempera sur bois, ca 1495-1500), 78 x 48 cm

Statens Museum for Kunst, Copenhague, Danemark © Domaine public→ , Ha 3,2 

Sur cette imago pietatis  (cf. Arts visuels Mt 8,17), Mantegna fait de la Passion du Christ une véritable théophanie paradoxale, en figurant le corps supplicié du Dieu-fait-homme encadré par deux anges des plus haut placés dans la hiérarchie céleste (Arts visuels Gn 3,24c) : un séraphin (en rouge) et un chérubin (en bleu, il aurait pu être aussi en jaune ou en or). Ici Dieu est non seulement connu, mais exhibé, en quelque sorte, entre les deux « vivants » mystérieusement prophétisés par quelque scribe juif hellénophone traduisant à sa façon Ha 3,2 (cf. Comparaison des versions Ha 3,2).

Propositions de lecture

2 être vivants (G) Des « être vivants » grecs aux animaux des crèches latines La version hébraïque de ce verset est fort énigmatique, tant est est laconique. Le traducteur grec a pu disposer d'une version différente, à moins qu'il ne se soit efforcé de clarifier celle-ci à sa manière (Comparaison des versions Ha 3,2). Toujours est-il qu'il y lut « deux êtres vivants » entre lesquels le Seigneur apparaîtrait. 

En retraduisant l’Écriture à partir de l’hébreu, saint Jérôme n’a pas retenu ces « deux être vivants » inventés par la Septante. Pourtant, ils ne furent pas oubliés ni lost in translation. Ils allèrent nicher dans l’histoire de l’art et la piété populaire, comme en témoigne la présence du verset dans la planche de la Nativité de la Biblia pauperum (Arts visuels Ha 3,1s). Ils ont passionné les artistes, tant du langage (Tradition chrétienne Ha 3,2) : que de l'image (Arts visuels Ha 3,2) et se sont même transmis à travers eux et la liturgie dans l'histoire de l'art chrétien.

Dans la planche A de la →Biblia pauperum, consacrée à la Nativité, ce verset apparaît en latin sur le phylactère tenu par le prophète Habaquq, dans le registre inférieur gauche. 

Habaquq est représenté derrière une baie géminée séparée par un meneau en forme de pilier. Son œuvre éponyme est inscrite au début du phylactère, accompagnée du chapitre correspondant au verset. Un trait fin sépare ces inscriptions du verset en question, écrit dans une graphie gothique riche en abréviations et ligatures.

Anonyme (continuant Albrecht Pfister), Prophète inférieur gauche avec un phylactère, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,

Planche B, f.2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti, Bibliothèque nationale de France→,

© Domaine public→

Pour l’imagier médiéval, l’oracle d’Habacuc est lu comme une annonce de la Nativité. Pourtant, le lien entre les paroles du prophète : « Seigneur, j’ai entendu ce que tu as dit et j’ai craint » et la naissance du Christ semble obscur. Il s’éclaire si l’on revient au texte de la Septante, où ce verset appartient à une péricope à tonalité messianique :

  • « Seigneur, j’ai entendu ce que tu as dit et j’ai craint ; j’ai considéré tes œuvres et je me suis extasié. Entre deux animaux tu te manifestes ; quand les années approcheront, on te connaîtra ; quand les temps viendront, tu apparaîtras ; quand mon âme sera troublée par ta colère, souviens-toi de ta miséricorde. »

Ainsi, l’imagerie médiévale représente souvent la scène où deux animaux, évoqués par la Septante, contemplent l’Enfant dans la crèche.

Anonyme (continuant Albrecht Pfister), Scène centrale : La Nativité, (impression xylographique, 1460s), 27,5 x 20,5 cm, détail,

Planche B, f. 2r de la Biblia pauperum seu historiæ Veteris et Novi Testamenti,  Bibliothèque nationale de France→,

© Domaine public→

Dans la première Alliance, Dieu demeure invisible et transcendant mais donne rendez-vous aux hommes avec le signe de l'arche de l'Alliance. Dans l’Alliance nouvelle et éternelle, il se rend visible : il s’incarne et souffre par amour pour l'humanité. Les paires d'« animaux » qui l'encadrent en toutes ces phases sont les témoins constants de la Miséricorde divine. 

Pistes de lecture