La Via Dolorosa (« la voie douloureuse », ou plutôt « le chemin de la souffrance ») est le nom introduit par le franciscain Boniface de Raguse (2e moitié du 16e s.) pour la procession qui retrace le chemin suivi par Jésus de sa condamnation vers le Golgotha. Ce trajet est aussi appelé Via Crucis, « le chemin de croix ». Cette procession a lieu chaque vendredi et reparcourt les quatorze stations de l’Antonia jusqu’au Saint-Sépulcre. Les processions publiques à Jérusalem naissent au 4e s., quand — dans la nuit du jeudi au vendredi saint — des célébrations ont lieu à l’Imbomon sur le mont des Oliviers (actuellement la mosquée de l’ascension de Jésus) et à Gethsémani, suivies par l’office de l’aurore au Saint-Sépulcre. Néanmoins, cette cérémonie n’envisage pas encore de retracer les pas exacts de Jésus.
8e siècle
Cette procession du jeudi au vendredi saint suit un autre chemin, témoignant déjà d’un plus grand souci d’imiter le trajet de Jésus. Commençant à Gethsémani, on longe le mur au sud du Temple vers l’église actuelle de Saint-Pierre-en-Gallicante. De là, on se rend vers le →prétoire, localisé à l’église Sainte-Sophie. On termine au Saint-Sépulcre.
11e siècle
Les Fatimides interdisent les processions chrétiennes dans les rues. La dévotion envers la passion augmente en réaction, de sorte que, quand Constantin Monomaque restaure le Saint-Sépulcre entre 1042 et 1048, il ajoute les chapelles de la prison de Jésus, de la colonne de la flagellation, du couronnement d’épines et du partage des vêtements.
12e siècle (sous les croisés)
Les processions sont de nouveau possibles. Le moine allemand Théodoric, qui parcourt la Terre sainte entre 1169 et 1174, commence sa Via Dolorosa sur le mont Sion, en situant la condamnation de Pilate devant l’église de la Vierge Marie. Il place ensuite la rencontre de Jésus et sa mère près de l’église actuelle de la Rédemption. Bien que la condamnation soit circonscrite au mont Sion, Théodoric localise la maison de Pilate près de la piscine des Brebis, où l’on croyait que le bois de la sainte croix avait été pris. Ces deux lieux permettent aux templiers de développer au 12e s. une Via Dolorosa qui débute dans la partie orientale de Jérusalem. Ils localisent les palais d’Anne et de Caïphe près de l’Antonia (→La maison de Caïphe). Les dalles qui se trouvent au nord du Temple deviennent le lithostrôton de Jn 19,13. Jésus quitte ainsi l’esplanade du Temple par la porte de Douleur (la porte occidentale de l’esplanade, aujourd’hui Bab al-Nazir) et se rend en direction de l’ouest vers le Golgotha par l’Ala ed-Din et l’Aqabat et-Takiya actuels.
En 1187, les Arabes reconquièrent le mont du Temple. Les chrétiens ne peuvent plus se rendre sur l’esplanade, de sorte qu’on localise alors le tribunal de Pilate plus au nord, à l’Antonia. La Porte de Douleur est substituée par une rue parallèle, la même qu’aujourd’hui.
14e siècle
Quand les franciscains reçoivent la garde (« custodie ») des lieux saints, ils organisent un circuit pour les pèlerins. En partant du monastère franciscain sur le mont Sion, on se rend vers les maisons d’Anne et Caïphe, situées dans la ville occidentale. De là, on va au Saint-Sépulcre et on continue par la ville orientale jusqu’au mont des Oliviers. Ensuite, on visite la piscine de Siloam, pour retourner après au mont Sion. Sur la route du Saint-Sépulcre vers le mont des Oliviers, on montre plusieurs endroits :
- la dalle dans la cour du Saint-Sépulcre où Jésus est tombé ;
- la porte du Jugement à laquelle a été clouée la sentence de mort de Jésus et par laquelle Jésus a quitté la ville pour le Golgotha ;
- la taverne où le soldat a cherché le vin amer (Mt 27,34 ; Mc 15,23) ;
- la maison de Véronique ;
- la maison de l’homme riche (Lc 16,19-20) ;
- le lieu où Simon de Cyrène a été chargé (Mt 27,32 ; Mc 15,21 ; Lc 23,26) ;
- le lieu de la rencontre avec les femmes pleurantes (Lc 23,27-31) ;
- le lieu où la Vierge Marie s’est effondrée de douleur ;
- l’arche où Jésus a été condamné ;
- l’école de la Vierge Marie ;
- le prétoire (Mt 27,27 ; Mc 15,16 ; Jn 18,28.33) ;
- la maison d’Hérode Antipas (Lc 23,7) ;
- la maison de Simon où Marie-Madeleine a été pardonnée (Lc 7,36) ;
- la Belle Porte du Temple (Ac 3,2) ;
- le Temple ;
- la maison d’Anne où la Vierge Marie est née ; la piscine à la porte des Brebis (Jn 5,2) ;
- la porte conduisant à la vallée du Cédron.
15e siècle
On inverse la direction. Le circuit commence au prétoire et se termine au Saint-Sépulcre. Ce parcours est décrit par le franciscain espagnol Antonio d’Aranda en 1530. Il y a alors seulement trois stations entre le prétoire et le Saint-Sépulcre :
- (1) Jésus rencontre sa mère, qui s’effondre de douleur ;
- (2) Simon de Cyrène est chargé de porter la croix de Jésus, qui s’adresse aux femmes de Jérusalem ;
- (3) Véronique essuie le visage de Jésus.
En rentrant en Europe, les pèlerins érigent des copies du chemin de croix, en ajoutant des stations. Le dominicain espagnol Álvarez de Cordoue (décédé en 1420) construit huit chapelles pourvues de scènes de la passion. En 1472, l’allemand Martin Ketzel érige à Nuremberg une Via Dolorosa en plein air. Celle-ci commence avec le prétoire situé à une porte de la ville et se termine au cimetière de Saint-Jean, avec sept stations entre ces deux lieux :
- (1) Jésus rencontre sa mère ;
- (2) Simon de Cyrène porte la croix ;
- (3) Jésus s’adresse aux femmes de Jérusalem ;
- (4) Véronique essuie le visage de Jésus ;
- (5) Jésus est frappé par des spectateurs ;
- (6) Jésus tombe ;
- (7) la Vierge Marie tient le corps décédé de Jésus.
Dans chaque station, Jésus est sur le point de tomber sous le poids de la croix. C’est la raison pour laquelle les stations reçoivent le nom des « sept chutes ».
On imite ce chemin de croix à Romans en France, à Fribourg en Suisse, à Bamberg en Allemagne et en Belgique.
, Voyage Spirituel (1563, le premier à employer l’expression « chemin de croix ») et , Description de Jérusalem au temps de Jésus (1584) mentionnent les stations suivantes :- (1) le prétoire ;
- (2) Jésus reçoit la croix ;
- (3) Jésus tombe une première fois ;
- (4) Jésus rencontre sa mère, qui s’effondre de douleur ;
- (5) Simon de Cyrène porte la croix ;
- (6) Véronique essuie le visage de Jésus ;
- (7) Jésus tombe une deuxième fois ;
- (8) Jésus s’adresse aux femmes de Jérusalem ;
- (9) Jésus tombe une troisième fois ;
- (10) Jésus est dépouillé de ses vêtements ;
- (11) Jésus est cloué à la croix ;
- (12) Jésus meurt sur la croix ;
- (13) le corps de Jésus est descendu de la croix ;
- (14) Jésus est mis au tombeau
(les stations 3, 4, 6, 7 et 9 n’apparaissent pas dans les évangiles).
Cette liste deviendra le chemin de croix traditionnel. Les pèlerins habitués aux 14 stations d’Europe étaient déçus de ne pas trouver ces stations à Jérusalem.
17e siècle
Les franciscains commencent à adapter leur circuit aux attentes des pèlerins. Le franciscain Elzear Horn (administrateur de la Terre sainte de 1724 à 1744) adapte les 14 stations de van Adrichem au plan concret des rues de Jérusalem, donnant naissance à un chemin de croix presque identique à l'actuel :
- (1) la condamnation de Jésus par Ponce Pilate (Mt 27,26 ; Mc 15,15 ; Lc 23,25 ; Jn 19,16) : dans la cour de l’école Omariyya ;
- (2) Jésus est chargé de la croix (Jn 19,17) : dans la rue jouxtant l’école, à environ 75 m à l’ouest en sortant du couvent de la Flagellation ;
- (3) la première chute : au carrefour à l’est de l’arche de l’Ecce Homo, à l’actuelle jonction nord entre la Via Dolorosa et le Tariq al-Wad ;
- (4) Jésus rencontre sa mère : à la jonction avec la petite rue à l’est de l’église catholique arménienne, à environ 20 m au sud de cette église dans le Tariq al-Wad ;
- (5) Simon de Cyrène est chargé de porter la croix (Mt 27,32 ; Mc 15,21 ; Lc 23,26) : à la jonction nord entre la Via Dolorosa et le Tariq al-Wad ;
- (6) Véronique essuie le visage de Jésus : au milieu de la partie de la Via Dolorosa qui lie le Tariq al-Wad et le suq Khan ez-Zeit ;
- (7) la deuxième chute : à la jonction entre la Via Dolorosa et le suq Khan ez-Zeit ;
- (8) Jésus rencontre les femmes pleurantes (Lc 23,27-31) : sous l’espace voûté de Aqabat al-Khanqa (avant Horn, ce passage est relaté à la station de Simon de Cyrène) ;
- (9) la troisième chute : plus haut en Aqabat al-Khanqa, maintenant à l’entrée du patriarcat copte orthodoxe, au-dessus du Saint-Sépulcre ;
- (10) Jésus est dépouillé de ses vêtements (Mt 27,35 ; Mc 15,24 ; Lc 23,34 ; Jn 19,23-24) : au Saint-Sépulcre ;
- (11) Jésus est cloué sur la croix (Mt 27,35.38 ; Mc 15,24-25.27 ; Lc 23,33 ; Jn 19,18) : au Saint-Sépulcre ;
- (12) Jésus meurt (Mt 27,50 ; Mc 15,37 ; Lc 23,46 ; Jn 19,30) : au Saint-Sépulcre. Le petit autel de la Vierge des Douleurs représente le lieu où la Vierge Marie se serait tenue lors de la crucifixion ;
- (13) le corps de Jésus est descendu de la croix (Mt 27,59 ; Mc 15,46 ; Lc 23,53 ; Jn 19,38) : au Saint-Sépulcre ;
- (14) le corps de Jésus est mis au tombeau (Mt 27,60 ; Mc 15,46 ; Lc 23,53 ; Jn 19,41-42) : au Saint-Sépulcre.
Chemin de croix, (1980), Fr Olivier Catel, op
14 stations du chemin de croix réalisées par le Fr Andrea Martini, ofm. Eglise du Saint-Sépulcre, Jérusalem.