La Bible en ses Traditions

Cantique des cantiques 7,12–14

M V
G S

12 Viens, mon bien-aimé

Vpréféré, sortons dans les champs, passons la nuit

Vla campagne, attardons-nous dans les villages !

12 

M
G S
V

13 De bonne heure levons-nous ! et allons aux vignobles, nous verrons si le cep bourgeonne

si le bouton s'ouvre, si les grenadiers fleurissent.

Là je t'offrirai mes amours.

13 

13 Au matin levons-nous ! aux vignes allons voir si la vigne a fleuri

si les fleurs donnent des fruits, si fleurissent les grenadiers :

là je te donnerai le sein ! 

14 Les mandragores donnent leur senteur

et à nos portes sont toutes sortes de fruits de choix

nouveaux comme anciens, mon chéri, je les réserve pour toi !

14 

14 Les mandragores ont répandu leur odeur en nos portes :

tous les fruits, nouveaux et anciens, mon préféré, je te les ai réservés !

14 Les mandragores Gn 30,14

Réception

Tradition chrétienne

13 V traduit ubera, d’où dans les traductions sur V : « c’est là que je vous offrirai mes mammelles » (Port-Royal). Sur le TM, Rabbinat (1898) : « Là je te prodiguerai mes caresses »

Philosophie

1,1–8,15 Le Cantique comme symbole de la révélation Rosenzweig Stern (p. 235-242) interprète le caractère dialogal du Ct comme une instance de la structure dialogale de la révélation elle-même.  

  • Une première partie, intitulée « création », décrit une relation non personnelle, en 3e pers. et au passé, entre Dieu et le monde.
  • Au cœur de l'ouvrage, Rosenzweig fait de son commentaire du Ct le fil conducteur de la présentation de ce qu'il appelle « La révélation », c'est-à-dire le passage au « tu » et au présent et ainsi à l'avènement d'une relation personnelle entre Dieu et l'homme. Tout le Ct est un dialogue (à l'exception de Ct 8,6) : il ne dit pas que la révélation est dialogale, il le montre en étant lui-même dialogue et étant presque uniquement cela.

Révélation performée : importance du dialogue

La révélation n'est donc pas pour Rosenzweig la communication d'un ensemble d'informations sur Dieu, mais la naissance d'une relation entre Dieu et l'homme. Le Ct est pur dialogue — sans jamais de passage à la 3e pers. — et histoire au présent. Ces deux caractéristiques sont le fondement de la révélation : le dialogue et le présent.

Il ne s'agit donc plus de parler de la relation entre Dieu et l'homme, comme les prophètes qui décrivaient cette relation à l'aide de la métaphore des noces, mais de faire parler cette relation elle-même.

Révélation lyrique : importance de la subjectivité

Le discours du Ct est donc tout entier porté par la subjectivité.

  • Cela se manifeste par l'importance du « je » sous la forme du je-marqué (’ănî en héb.). Le Ct est le texte biblique qui utilise, proportionnellement à sa taille, le plus ce « je », après le livre du Qo (fréquence de 6,03 emplois pour 1000 mots en Ct, et de 6,50 en Qo).
  • Cela se remarque aussi au fait que les premiers mots du Ct expriment une comparaison : « tes amours sont meilleures que le vin » (Ct 1,2b), c'est-à-dire une appréciation subjective et non un simple constat, auquel cas un comparatif n'eût pas été nécessaire.

Dès le début du texte, la focalisation n'est pas celle d'une narration objective mais celle d'une subjectivité : les choses ne sont pas décrites pour elles-mêmes, l'enjeu est d'emblée perspectiviste. 

Critique de la réception moderne du Cantique

Rosenzweig critique les analyses modernes du Ct (à partir des 18e et 19e s.) qui ont cherché à effacer cette dimension dialogale du texte.

  • Il vise d'abord Herder et Goethe, qui ont fait du Ct un chant d'amour purement humain, prisonniers qu'ils étaient du préjugé que ce qui est humain ne peut être divin et que Dieu ne peut pas aimer. Cependant, leur tentative eut au moins le mérite de conserver cet aspect essentiel du Ct : le fait qu'il s'agisse d'un chant lyrique, de l'expression de deux subjectivités.
  • D'autres tentatives ont suivi, plus condamnables parce qu'elles ont réduit le Ct à un simple récit, narration entre plusieurs personnages : un roi, un berger, une paysanne. Dans ce dernier type d'interprétation le cœur du Ct, à savoir son caractère lyrique, est perdu et l'œuvre demeure incompréhensible.

Musique

4–12 Que tu es belle

15e s.

John Dunstable (1390-1453), Quam pulchra es

Trio Triumvirum

© Licence YouTube standard→, Ct 7,4-12

Paroles

Quam pulchra es et quam decora carissima in deliciis (Ct 7,6) / Statura tua assimilata est palmæ, et ubera tua botris (Ct 7,7) / Caput tuum ut carmelus… (Ct 7,5) / Collum tuum sicut turris eburnea… (Ct7,4) / Veni dilecte mi; egrediamur in agrum… (Ct 7,11) …et videamus… si flores fructus parturiunt, si floruerunt mala punica. Ibi dabo tibi ubera mea. (Ct 7,12)

Compositeur

John Dunstable (né vers 1390, mort le 24 décembre 1453 à Londres) est un compositeur (principalement de musique vocale sacrée), mathématicien et astronome anglais, dont les innovations harmoniques ont exercé une influence profonde sur certains compositeurs du début de la Renaissance. Parmi les compositions de Dunstable qui nous sont parvenues, on trouve des exemples de tous les principaux types et styles de polyphonies qui existaient de son temps : des motets isorythmiques, des sections de l’ordinaire de la messe, des chants profanes et divers textes liturgiques mis en musique à trois voix.

Tradition juive

14 Pour Dieu seul

  • Buber Récits « Le Baal-Shem, dans la prière, ayant une fois prononcé les paroles du Cantique : "Je t'ai gardé, mon bien-aimé, les fruits nouveaux et les anciens", s'interrompit alors pour dire : "Tout ce qui est en moi, tout, le nouveau et l'ancien, c'est pour Toi seul : pour Toi !" Et comme quelqu'un observait : "Mais pourtant le Rabbi, c'est bien pour nous aussi qu'il donne les Paroles de l'Enseignement. — C'est comme quand le tonneau déborde !" répondit-il » (100-101).

Arts visuels

1–16 Le Cantique des cantiques

19e s.

Gustave Moreau (1826-1898), Le Cantique des cantiques (huile sur toile, 1853), 300 x 319 cm

conservé au Musée des beaux-arts de Dijon (France) © Domaine public→

Musique

2,10–13 ; 6,10ss ; 7,10ss Cantique des Cantiques

20e s.

Ivan Moody (1964-), Canticum Canticorum I, 1987

David Fallis (dir.), Quire Cleveland

© Licence YouTube standard→, Ct 2,10-13.6,2.11

Composition

Ivan Moody est un compositeur britannique contemporain. Ses œuvres montrent les influences de l'est du chant liturgique et de l'Église orthodoxe, dont il est membre et archiprêtre (Patriarcat Œcuménique de Constantinople). Son Canticum Canticorum I, écrit pour le Hilliard Ensemble, est créé en 1987 et obtient un énorme succès. Cette pièce reste l'œuvre la plus fréquemment jouée de son répertoire. Elle est constituée de trois mouvements : « Surge propera amica mea » (Lève-toi, hâte-toi, mon amie), « Descendi in hortum meum » (Je suis descendu dans mon jardin) et « Ego dilecti meo » (Je suis à mon bien-aimé).

4–12 O quam pulchra

17e s.

Claudio Monteverdi (1567-1643), O Quam Pulchra SV 317, 1625

Jordi Savall, Montserrat Figueras

© Licence YouTube Standard→, Sg 4,1-20

Contexte

Milieux de vie

14 FLORE Mandragore

 La mandragore, mai 2022, Réserve de Neot Kedumim (Israël)

D.R. M.R. Fournier © BEST AISBL

Gn 30,14-16

Identification

Deux textes bibliques seulement font mention d’une plante mystérieuse appelée  dûdāîm. La racine de ce mot est dûd  qui signifie « aimer » ou « être troublé ». Dûdāîm est donc parfois traduit par « pomme d’amour ». Dans Ct 7,14, il apparait que cette plante dégage une forte odeur et dans Gn 30,14-16, on comprend qu’il s’agit d’une fleur sauvage rare et précieuse. La Septante, la Vulgate et les versions syriaque et arabe ont traduit dûdāîm par « mandragore ». L’identification n’est pas certaine et d’autres hypothèses ont été émises (des champignons tels que Agaricus campestris ou des truffes comme les terfez).

Classification
  • Famille : solanaceae
  • Genre : mandragora
  • Espèce : officinarum
Localisation

Originaire du bassin méditerranéen et du Proche-Orient, cette plante pousse dans des sols riches et profonds. Elle est devenue très rare aujourd'hui.

Description
  • Herbacée qui n’a pas vraiment de tige et se présente en touffe d’une hauteur d’environ 30 cm.
  • Plante toxique riche en alcaloïdes psychotropes qui peuvent provoquer des hallucinations et une narcose.
  • Sa racine brune peut atteindre des dimensions importantes (80 cm). Elle a une forme anthropomorphe qui est à l’origine de bien des légendes. Il est difficile de la sortir de terre.
  • Ses feuilles sont longues, molles et de formes variables.
  • Sa fleur de couleur blanche, bleue ou violette possède 5 pétales soudés et 5 étamines. La floraison a lieu entre septembre et avril. Cette fleur est inodore.
  • Ses baies d’environ 5 cm de diamètre sont jaunes ou rouges et dégagent un fort parfum. Elles sont comestibles à condition d’en consommer en faible quantité. Pline Nat.25,94 : « L’odeur seule porte à la tête. En quelques contrées, on en mange les fruits. Cependant la violence de cette odeur étourdit ceux qui n’y sont pas habitués ; et une dose trop forte de suc donne la mort. À une dose variable suivant les forces du sujet il est soporifique ».

Illustration botanique de la mandragore

Herbier général de l’amateur, vol. 8 [P. Bessa], 1817-1827 © Domaine public→

Gn 30,14-16 ; Ct 7,13

Usage
Alimentation 
  • Les fruits peuvent être consommés séchés et en petite quantité.
Médical
  • Cette plante a des propriétés sédatives (Platon Symp. 2,22) narcotiques, antispasmodiques, anti-inflammatoires, hypnotiques et hallucinogènes.
  • Ses propriétés aphrodisiaques (Théophraste Hist. plant.) lui donnent des vertus fertilisantes bénéfiques pour les femmes stériles (Gn 30,14-16).
  • Elle était utilisée par les guérisseuses pour faciliter les accouchements et mélangée au miel et à l’huile, elle soignait les morsures de serpent (Pline Nat. 25,94).
  • On utilisait la racine comme somnifère (Théophraste Hist. plant. 9, 9,1). Elle faisait partie des ingrédients déposés sur l’éponge soporifique destinée à endormir les patients lors d’opérations chirurgicales ( Dioscoride Mat. med. 4,75, Pline Nat. 21, 94).
  • Elle était prescrite contre la mélancolie (Hippocrate Acut. 6, 329, n°39).
  • Mélangée au vinaigre, elle guérit les inflamations de la peau.
  • Pline Nat. 25, 110 : « on efface les marques du visage en se frottant avec la mandragore ».
Cultuel
  • Les sorcières au Moyen-Âge s’enduisaient la peau d’un onguent à base de mandragore pour entrer en transe.
  • L’apparence humaine de sa racine, et ses propriétés chimiques rendent cette plante mystérieuse et dès l’Antiquité elle fut associée à des rituels magiques. 
  • Elle était utilisée comme philtre magique (Théophraste Hist. plant. 9, 9,1).
Histoire

Dans l’Antiquité des méthodes étranges étaient utilisées pour cueillir la mandragore :

  • Théophraste Hist. plant. 9, 9, 8 : « On recommande de circonscrire la mandragore par trois fois avec une épée et de la couper en regardant le couchant ; d’autre part, que le second opérateur danse en rond autour d’elle et prononce le plus possible de paroles grivoises ».
  • Au Moyen-Âge la tradition pour cueillir ce fruit change : Après s’être bouché les oreilles avec de la cire pour ne pas entendre le cri de la mandragore, puisque l’entendre serait s’exposer à la mort, le cueilleur attache la plante au collier d’un chien pour que cet animal le déterre, en y laissant la vie. Josèphe B.J. 7,6,183 rapporte la même anecdote au sujet d’une plante qu’il appelle « baaras » et qui pousse dans la vallée au nord de Machéronte.   

    Manuscrit enluminé sur la cueillette de la mandragore, 1350

    Bibliothèque nationale de France © Domaine public→

  • En Égypte ancienne, la légende de Sekhmet raconte que cette déesse voulant exterminer tous les hommes, les dieux répandirent de la mandragore dans des milliers de jarres de bière teintées de rouge afin que la déesse assoiffée de sang la boive. La plante faisant son effet, la déesse s’endormit, épargnant l’humanité.
  • Au Moyen-Âge apparurent des mandragores « fétiches », sortes de petites statuettes à formes humaines qui étaient censées procurer richesse et pouvoir à son possesseur. Jeanne d’Arc fut accusée d’en posséder une.
  • La mandragore inspira des œuvres littéraires : La fée aux miettes, C. Nodier ; Eine Geschichte vom Galgenmännlein, F. de la Motte-Fouqué ; La Mandragore, J.-L. Lorrain ; Alraune, HH Ewers ; Harry Potter et la chambre des secrets, J.K. Rowling.
Symbolique
Sorcellerie
  • En Allemagne, le mot « alraun » signifie à la fois « mandragore » et « sorcière ».
  • Les sorcières employaient la mandragore.
Le peuple d’Israël
  • La mandragore est comparée par certains commentateurs de la Bible à un corps sans tête (Bède le Vénérable In Gen.  PL91, col. 257c ). Pour Anselme de Laon  PL 169, col. 1222D, la mandragore est l’image du peuple juif qui n’a pas encore reçu l’imposition de sa tête, le Christ, puisque sa conversion n’a pas encore eu lieu (Philippe de Harvengt PL 203, col. 473 CD).
L’Antéchrist et les infidèles
  • Dans certaines représentations iconographiques de l’histoire du Salut, la mandragore est représentée sous la forme d’un corps décapité dont la tête gît à ses pieds. La mandragore décapitée est alors l’image de l’Antéchrist vaincu ou des infidèles dans la première étape de leur conversion. L’étape suivante sera l’imposition sur la mandragore de la tête du Christ grâce à l’Eucharistie qui réalise l’unité entre la tête et le corps. (cf. Manuscrits enluminés du commentaire d’Honorius Augustodunensis, 12e s.).