La Bible en ses Traditions

Exode 34,33–35

M G
V
Sam S

33 Moïse acheva de parler avec eux et

GEt lorsqu'il s'arrêta de parler avec eux, il  mit un voile sur son visage.

33 Ensuite, toutes les paroles achevées, il se mit sur la face un voile 

33 ...

34 Et quand Moïse entrait devant  YHWH, pour parler

GMais chaque fois que Moïse entrait devant le  Seigneur pour parler avec lui, il ôtait le voile, jusqu’à ce qu’il sortît 

et il sortait et disait

Gaprès être sorti il disait aux

Gà tous les  fils d’Israël tout ce qui lui avait été commandé.

Gque lui avait commandé le Seigneur.

34 qu'une fois introduit auprès du Seigneur et parlant avec lui, il retirait jusqu'à ce qu'il ressortît,

et alors il disait aux fils d'Israël tout ce qui lui avait été commandé ...

34 ...

M G V
S Sam

35 Et les fils d’Israël virent que 

VEux voyaient la peau du visage de Moïse

Gle visage de Moïse

Vqu'à sa sortie, la face de Moïse rayonnait

Gétait rayonnant

Vétait cornue

et Moïse se remettait le voile sur le visage

Vmais lui se couvrait la face derechef jusqu’à ce qu’il entre pour parler avec Lui.

Vs'il avait à leur parler.

35 ...

Contexte

Repères historiques et géographiques

19,1–34,35 Emplacement du mont Sinaï

Le mont Sinaï, (numérique, 2022)

M.R. Fournier © BEST AISBL, Lv 1-27 ; Nb 9 ; Ex 3 ; Ex 19-34 

Le mont Sinaï sur cette carte est associé au djebel Musa au sud de la péninsule du Sinaï, où se trouve le monastère Sainte-Catherine. D'autres localisations ont été proposées au nord de la pénisule ou encore au Negeb par ceux qui adoptent un autre itinéraire pour les Hébreux. Toponymie Sinaï, Horeb.

Mohammed Moussa, Vue du sommet du Mont Sinaï (Jabal Musa , جَبَل مُوسَىٰ), (photographie, 2013)

© CC-BY-SA-3.0→,

Réception

Tradition juive

29–35 Comment comprendre la transformation du visage de Moïse ?

Entre lumière et cornes

Rachi développe le même rapprochement en comparant cornes et rayons, mais pour lui les cornes sont venues à Moïse avant même Ex 34 (anticipation que l'on retrouve dans les « Bibles » françaises en forme de romans de chevalerie des 12e-13es. (cf. J. R. Smeets, « Les cornes de Moïse »,  Romania, tome 11/4453-454 (1996), 235-246. DOI : )

  • Rachi Comm. Tora  [Le mot qāran] est apparenté au terme « cornes », puisque « la lumière rayonnait et se projetait en forme de corne. Et depuis quand Moïse a-t-il été favorisé des rayons de la Gloire ? Nos maîtres ont dit que c'est depuis qu'il a été dans la caverne, où le Saint Béni soit-Il, avait mis Sa main sur son visage, ainsi qu'il est dit : "Et Je te couvrirai de ma main" (Ex 33,22). » 

Il rapproche ainsi qāran, « cornu », et qāran, « brillant » et rejoint p.ê. un archétype de la représentation du divin au Proche-Orient Antique : Milieux de vie Ex 34,29–35.

  • Cf.Exod. Rab. 47,6 qui évoque des  קרני ההוד, « cornes de gloire ».

Rien que de la lumière !

Peut-être motivée par le désir de lutter contre l'anti-judaïsme que les cornes ont fini par alimenter dans la chrétienté médiévale (Arts visuels Ex 34,29–35), la  polémique contre les cornes de la Vulgate s'appuie sur des explication philologiques ad hoc, moins convaincantes que celle d'Aquila (Vocabulaire Ex 34,29–35) :

  • Rashbam (ca 1085-1158) polémique : [Le mot קרן est] lié à l’idée de הוד – grandeur. Il est comme le mot קרנים dans l'expression « qui émet des rayons (קרנים) de tous côtés » (Ha 3,4). Quiconque associe קרן, dans ce verset, au sens de corne, comme dans la phrase  « Il a de cornes comme les cornes du buffle (קרני ראם קרניו) » (Dt 33,17), est un insensé. Car de nombreux mots dans la Tora ont [au moins] deux catégories [séparées, distinctes] [de signification]. (cf. Sefaria→)

Un signe de la divinisation de Moïse ? 

Le dramaturge juif d'Alexandrie au 2e s. av. J.-C. raconte un rêve de Moïse dans lequel celui-ci assume le trône de Dieu, en brandit le sceptre de Dieu et en porte la couronne, et dont Moïse se réveille terrifié :

  • Ézéchiel le Tragédien (Alexandrie) Exagōgē [L'Exode], l.73-81 : Je [Moïse] m'approchai et me tins devant le trône. Il [Dieu] me tendit le sceptre, me fit monter sur le trône et me donna la couronne ; puis il se retira lui-même du trône. Je contemplai toute la terre alentour, les choses qui se trouvaient au-dessous et celles qui se trouvaient au-dessus des cieux. Alors une multitude d'étoiles tombèrent à mes pieds, et je comptai leur nombre. Elles passèrent à côté de moi comme des rangs d'hommes armés (cf. R.G. Robertson, « Ezekiel the Tragedian », dans  J.H. Charlesworth ed., The Old Testament Pseudepigrapha, New York : Doubleday, 1985, 2:803–819). 

Au 1er s. ap. J.-C. Moïse a atteint un statut très élevé, dont témoignent un texte apocalyptique comme Asc. Moïse ou le récit de la lapidation d'Étienne pour avoir blasphémé « contre Moïse et contre Dieu » mis en parallèle (Ac 6,11)... 

Liturgie

29–35 cornes RITUEL Paramentique : des cornes de Moïse aux mitres épiscopales... 

... en passant par les romans de chevalerie.

Le Moïse cornu apparaît dans les romans de chevaleries et les versifications françaises de la Bible des 12e-13e s. Dans ces romans, l’adjectif cornus revêt le sens de riche, puissant, fort (cf. J. R. Smeets, « Les cornes de Moïse », Romania, tome 114453-454 (1996) pp. 235-246). La réalité de l’excroissance pointue n’y est cependant pas oubliée : elle se retrouve plus ou moins identifiée à ... la mitre des évêques.

  • Reclus de Moiliens, Li romans de Carité et Miserere (ca 1173-1180/90) , § 116-117 « Eveskes, sages iés moustrés | Quant tu ies en ton hiaume entrés | Car par le double encornement | Le mitre dont tu ies mitres | Moustre ke tu ies bien letrés | Et ke tu ses Pacordement | Dou vies, dou nouvel testament | Por chou ies cornus doublement » (éd. A.G. Van Hamel, Paris, 1885, p.62).

  • Herman de Valenciennes (chanoine et prêtre, 12e s.) Li romanz de Dieu et de sa Mere (ap. 1169 ou 1189?), 6, str. 286 v. 2100ss [il s'agit de Moïse] : « Cist homn estoit cornuz, signor, vos nel savez. | Tornees sont les cornes, com vos veü avez | Les coifes c'ont es chiés li evesque sacrez : | Por ce que il n'ont cornes — ce lor est destinez —| Si ont coifes cornues, sachiez par veritez » (cf. Ina Spiele, éd., Li romanz de Dieu et de sa mere d'—, Leiden, 1975 p. 287).

  • Geufroi de Paris, Bible des .vij. estaz du monde(1243) « Celui [Moïse] fist nostre sires Diex | Premier evesque des Ebrex | Et en leu de mit[r]e porter | Li fist cornes u chief lever » (BNF fr 1526, fol. 23d. 1.4ss).

Les mitres cornues  

Alexandra Makin, évolution de la mitre cornue aux 11e et 12e siècle, (montage photographique numérique)

D.R. Blog Alexandra Makin→ © Fair use

La mitre en forme de bonnet est apparue pour la première fois dans la seconde moitié du 11e s., se portant latéralement sur la tête et continua à être portée de cette façon jusqu'à la fin du 12e s. Vers 1125 et certainement vers 1140, cette mitre latérale a fait un virage très progressif de 90 degrés et a commencé à être portée d'avant en arrière. Les cornes étaient désormais situées directement au-dessus du visage et de l'arrière de la tête au lieu d'être au-dessus des oreilles. La première mitre qui montre ce changement d'orientation est tirée d'un manuscrit français daté de 1120-1146.

Cet usage est confirmé dans la mystagogie allégorique de Durand de Mende :

  • Durand de Mende Rationale  (I, p. 75 v) : « Mitra autem scientiam utriusque testamenti designat. Duo namque illius cornua duo sunt testamenta : anterius novum posterius vetus, quæ duo Episcopus memoriter debet scire ». 

Aaron premier évêque ?

Une explication à cette identification de la mitre épiscopale et des cornes de Moïse pourrait bien se trouver dans les représentations de la coiffe d'Aaron, frère de Moïse, premier grand prêtre et à ce titre sorte de prorotype de l'évêque tel qu'il est considéré dans la hiérarchie ecclésiastique chrétienne : 

Anonyme, Moïse et Aaron instruits par Dieu de la discipline des sacrifices, (détrempe sur parchemin, 12e-13e s. ?), enluminure d'incipit du livre du Lévitique traduit en français

British Library, Londres © Domaine public→

Un Dieu jeune (le Christ?) explique depuis la nuée la discipline du sacrifice à un jeune Moïse cornu et à son frère Aaron paré comme un évêque avec mitre cornue et crosse, et à un serviteur.

Anonyme, Moïse recevant les tables de la Loi pendant qu'Aaron organise l'adoration du veau d'or, (détrempe sur parchemin, 1175-1300), Initiale historiée dans Leviticus cum glossa ordinaria, Latin 184, incipit, f. 2v

Département des Manuscrits, Bibliothèque nationale de France, Paris © Domaine public→

Aux cornes symboliques de Moïse recevant du Dieu-Christ les tables de la Loi, correspondent les deux cornes de la mitre d'Aaron, qui a tout d'un évêque, et dont le cœur semble partagé entre contemplation du dialogue entre le Verbe et son image, et pouvoir à exercer sur le petit peuple adorant son veau comme un seul homme...

Tradition chrétienne

29–35 Comment comprendre la transformation du visage de Moïse ? 1 : les cornes

Une couronne originelle ?

L'attribut très surprenant a choqué, et certains imaginent qu'avant le 8e s., la bible latine (saint Jérôme) eût proposé coronatus « couronné », le cornatus « cornu » actuel  étant au départ une erreur de copiste. 

Une simple image pour la lumière ?

Thomas d'Aquin s'efforce d'éviter les cornes qu'il reproche aux imagiers de montrer (Arts visuels Ex 34,29). Il le dit en commentant 2Co 3,13-16, où saint Paul explique que la lecture christique de l'Écriture consiste à retirer le voile dont Moïse cachait la métamorphose glorieuse de son visage, que ses auditeurs, puis ses lecteurs, ne pouvaient comprendre : 

  • Thomas d’Aquin Super 2 ad Cor., lectio 2 : « [...] l’Apôtre argumente d’après le récit de l’Exode (Ex 34,30-35) où notre texte porte que "le visage de Moïse avait des cornes" [ubi littera nostra habet, quod Moyses habebat faciem cornutam] de telle sorte que les fils d’Israël ne pouvaient tenir leurs regards fixés sur la face de Moïse. Un autre texte porte "le visage resplendissant [faciem splendidam] de Moïse", ce qui est meilleur. Il ne faut pas comprendre qu’il portait des cornes à la lettre, comme certains le peignent, mais que son visage émettait des rayons qui semblaient des espèces de cornes [Alia littera habet faciem splendidam, quod melius dicitur. Non enim intelligendum est eum habuisse cornua ad litteram, sicut quidam eum pingunt; sed dicitur cornuta propter radios, qui videbantur esse quasi quaedam cornua] » (éd. Vivès→ § 93).

Dans sa réticence, Thomas, qui a un amour certain pour les juifs, s'avère peut-être marqué par l'exégèse juive (Tradition juive Ex 34,29–35), en particulier celle de Rachi ou de Rashbam. Ceux-ci cherchaient peut-être bien à lutter contre l'antijudaïsme que la représentation des cornes pouvait susciter ou catalyser.  

Attribut diabolique ? Antijudaïsme

Les cornes de Moïse ont reçu une connotation négative avec le développement du sentiment antijuif à la fin de la période médiévale (Ruth Mellinkoff, The Horned Moses in Medieval Art and Thought, « California Studies in the History of Art » 14, Presses universitaires de Californie, 1970, 133-137).

  • Les chapeaux juifs imposés en France et ailleurs étaient connus sous le nom de pileus cornutus (chapeau à cornes) et les insignes imposés par Philippe III de France semblent avoir incorporé une corne.

Sur la miniature suivante, Moïse est affublé non seulement de ses cornes mais encore du pileus cornutus

Anonyme, Portrait de Moïse, (après 1323), enluminure dans Paulin de Venise, Compendium gestarum rerum 

Egerton 1500, f° 5v., British Library, Londres (Royaume-Uni)

© CC-BY-SA-4.0→

Ici, cependant, Moïse conserve un visage noble et doux... Est-il certain qu'on soit devant un témoignage formel d'antijudaïsme ? 

  • Finalement l'association entre les Juifs, Moïse cornu et les diables dans l'imagerie antisémite chrétienne aboutit parfois à des représentations des Juifs avec des cornes (Melinkoff 135-6) ; Stephen Bertman, « The Antisemitic Origin of Michelangelo's Horned Moses ». Shofar 27/4 (2009), Purdue University Press : 95–106). 

Intertextualité biblique

29–35 TYPOLOGIE  christique : Moïse type du Verbe incarné ?

  • La gloire descend en un homme (Ex 34,29-35) – la gloire descend dans la Tente (Ex 40,34-36). 
  • Les deux sont messagers de Dieu, Sauveur, Face et Messager (cf. Is 63 : nostalgie de la geste de  Moïse en Is 63,11-14). 
  • 2Co 3,7-4,6 interprète la scène en termes d’ancienne et nouvelle alliance et prolonge l’analogie : voile sur le visage de Moïse, voile devant le Sanctuaire, voile sur la Tora. Jésus dévoile tout.

Texte

Procédés littéraires

29–35 cornes + « voile » : Indices théophaniques ?  La métamorphose de Moïse rapportée par la lettre de l'Écriture (Vocabulaire Ex 34,30) peut avoir plusieurs valeurs. 

Connotation théophanique

Amplification visuelle (leur longueur  évoquant celle de rayons lumineux émis par le visage de Moïse irradié de Présence divine), et armes d'attaque et de défense, les cornes sont des attributs divins bien attestés dans l'art du Proche-Orient ancien (cf. Milieux de vie Ex 34,30).

Connotation rituelle : Moïse comme sanctuaire de la présence divine ?

Les cornes apparaissent sur le visage de Moïse dans un contexte fortement liturgique : 

Moïse apparaît ainsi, tel le Temple,  médiateur du divin à l'instar de l'autel muni de cornes, du saint, séparé du peuple par un voile, non sans risque : 

  • Les cornes étaient sur l'idole du « veau d’or » (ou  plus exactement du « jeune taureau ») ; Moïse, ayant détruit l’idole et refusant la représentation de Dieu, remonte sur le Sinaï, quand il redescend, il devient le représentant de Dieu, et « prend, d’une certaine façon, la place du veau d’or » (Thomas Römer, Les cornes de Moïse→).

Typologie christique ?

Dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ sera décrit comme le Temple et plus que le Temple, et l'autel et la victime et le Dieu même du sacrifice ultime entre Dieu et son peuple, si bien que Moïse apparaît ici comme un type du Verbe incarné (Intertextualité biblique Ex 34,29–35).

Vocabulaire

33ss voile LEXICOGRAPHIE Terme rare

  • M : le mot 3 fois employé ici est maswê (מַסְוֶֽה) : c'est un hapax, il n'apparaît nulle part ailleurs dans les Écritures. Le mot lui-même est énigmatique, on n'en connaît guère la racine : il imite verbalement, en quelque sorte, le mystère qui recouvre la métamorphose de Moïse au contact de la parole divine. 
  • G : présente kalumma (κάλυμμα). Les autres occurrences de ce mot dans la Bible grecque désignent toutes le rideau du Temple le Saint du Saint des Saints (Ex 27,16 ; 34,33-35 ; 35,11 ; 39,20 ; 40,5; Nb 3,25 ; 4,8.10-12.14.25 ; cf.  2Co 3,13-16). Les traducteurs ont ibien nterprété la métamorphose dans son contexte cultuel : Procédés littéraires Ex 34,29–35.

Propositions de lecture

29–35 Moïse avait-il des cornes ? Toute l'histoire de l'art occidental depuis le 12e s., suivant la version latine des Écritures, affuble Moïse d'appendices cornus : Arts visuels Ex 34,29. Ils  ne doivent cependant pas faire naître chez l'aimable lecteur de doutes sur la fidélité de Séphora : personne n’a jamais soupçonné l’épouse du prophète ! Ils posent, en revanche, une passionnante question biblique. En l'approfondissant, on confirmera une fois encore que la trace écrite du Verbe de Dieu est une partition polyphonique, dont il faut entendre toutes les voix, et qu'en particulier la voix latine du génial saint Jérôme mérite bien le regain d'intérêt que lui portent des éxégètes, en particulier à l'Ecole biblique et achéologique française de Jérusalem.

NON

Moïse ne pouvait porter de ridicules cornes, disent de grandes autorités :

  • Plusieurs pères de l'Église (Clément d'Alexandrie, Origène, Cyrille d'Alexandrie, Grégoire de Nysse...) préfèrent insister sur la lumière de la révélation et de l'Esprit, qui l'avaient rendu éblouissant pour son peuple (Tradition chrétienne Ex 34,29–32).
  • Certains ont imaginé qu'en fait il s'agit d'une bête erreur scribale: avant le 8e s., la bible latine (de saint Jérôme) aurait proposé coronatus « couronné », le cornatus « cornu » actuel  étant dû à l'inattention d'un copiste sur une voyelle... Cependant les commentaires de Jérôme sur le passage, et sur d'autres passages évoquant des cornes, eux-mêmes démentent cette hypothèse (ex : Jérôme Comm. Isa. 17,61.8). 
  • À l'âge d'or de la scolastique, Thomas d'Aquin lui-même, cherche à euphémiser sinon à supprimer le symbole :  Tradition chrétienne Ex 34,29–35. Il le fait en s'appuyant sur deux litteræ différentes dont il dispose pour le texte de l'Exode, mais peut-être aussi par sympathie pour les Juifs : 
  • C'est tout simplement un contresens sur le texte, finissent par trancher des autorités juives : Tradition juive Ex 34,29–35.

Et pourtant, il n'est pas sûr que le procès en antijudaïsme voire en antisémitisme fait aux imagiers médiévaux soit entièrement justifié.

  • En effet, à la même époque, ce n'est pas seulement Moïse ou les Juifs, ce sont les évêques catholiques qui portent des cornes : Liturgie Ex 34,29–35 !

En outre, il y aurait beaucoup à dire sur la connotation négative, voire diabolique des cornes.

  • Les cornes symbolisent souvent une puissance positive, voire celle de Dieu en 2S 22,3. Leur diabolisation n'a pas beaucoup de justifications bibliques : par exemple il faut à saint Jérôme un petit développement herpétologique pour doter de cornes le serpent tentateur : Milieux de vie Gn 3,1. (Quant à savoir comment les cornes ont poussé au diable et à ses sbires, c'est un sujet pour une autre note). 

OUI

De fait, l'interprétation diabolisante ou antijuive qui a été faite parfois des cornes de Moïse apparaît comme un parfait contresens : 

  • pour des raisons historiques : les cornes, dans le milieu où s'élaborèrent les traditions consignées dans la geste mosaïque de l'Exode, ont une connotation très positive. Certes, il ne les place pas sur la tête de Moïse, mais évoque la peau (עור) de son visage, cependant certaines représentations égyptiennes aussi placent les cornes aux tempes, aux joues ou à la mâchoire du pharaon ; en Mésopotamie, et en Canaan aussi, la corne marque la force d’un dieu, les Hébreux y voyaient un signe de puissance divine : Milieux de vie Ex 34,30.
  • pour des raisons littéraires : dans la logique du récit de l’Exode, ses cornes confèrent au personnage de Moïse une caractérisation quasi divine : Procédés littéraires Ex 34,29 ; Procédés littéraires Ex 34,29–35
  • pour des raisons théologiques enfin : Intertextualité biblique Ex 34,29–35Intertextualité biblique Ex 34,29–35. Même dans la tradition juive, le statut de Moïse dans l'antiquité était très élevé : Tradition juive Ex 34,29–35.

QUE DIT LE TEXTE ?

Il y a de bonnes raisons philologiques de penser

  • que le texte lui-même évoque des cornes : Vocabulaire Ex 34,30 ;
  • que dès l'époque où les juifs d'Alexandrie traduisirent le texte, ils s'efforcèrent d'adoucir l'image (Comparaison des versions Ex 34,29 : G et Aquila) pour éviter le risque d'une association trop intime à la divinité ; 
  • mais que Jérôme n'en fut pas effrayé, parce que dans la tradition latine, l'association de la corne avec la lune plutôt qu'avec le soleil diminuait le risque d'idolâtrie (Comparaison des versions Ex 34,29 : V): la lune ne rayonne pas par elle-même, mais seulement en reflétant, par participation, une lumière qu'elle reçoit du soleil.  

Plus généralement concluons avec un très grand savant, ancien élève de l'Ecole biblique et précurseur de nos travaux en exégèse différentielle : 

  • Julio Trebolle, The Jewish Bible and the Christian Bible. An introduction to the history of the Bible, trad. Wilfred G.E. Watson, Leiden-New York : Grand Rapids, Mich. : Brill Eerdmanns, 1998, p.356) : « L’un des aspects intéressants de la Vulgate réside dans les lectures d’Aquila et de Symmaque, que le texte latin permet de retracer. Tout cela confère à la Vulgate une valeur critique inestimable, bien que l’intention de Jérôme n’ait pas été précisément d’établir un texte critique. »