La Bible en ses Traditions

Psaumes 1,4–6

M
G S
V

Il n’en est pas ainsi des impies

 ils sont comme la paille que le vent emporte.

...

Ils ne seront pas comme ça, les impies ÷pas comme ça:

mais comme la poussière que projette le vent ÷à la face de la terre:

M S
G
V

Ainsi

SCar ceci : les méchants ne se relèveront pas au jugement

ni les pécheurs au rassemblement

Sà l'assemblée des justes

C’est pourquoi les impies ne se relèveront pas au jugement

ni les pécheurs au conseil des justes 

ainsi les impies ne ressusciteront pas au jugement

ni les pécheurs au conseil des justes 

M V
G S

car YHWH connaît

Vpuisque le Seigneur a reconnu la voie des justes

et le chemin pécheurs mène à la ruine.

Vla route des impies s'en est allée.      

...

6 Perte des impies Ps 112,10

Réception

Comparaison des versions

4 V—IUXTA HEBR.

  • Il n’en est pas ainsi des impies | ils sont comme la poussière que le vent emporte.

Arts visuels

1–6 L'homme juste et l'arbre. L'homme juste est comparé à un arbre dans ce psaume. Cette comparaison a été diversement interprétée dans les arts visuels.

... à l'ombre de l'arbre ? 

Peinture d'histoire, 19e s.

Georges Rouget (1783-1869), Saint Louis rendant justice sous le chêne de Vincennes, huile sur toile, 1826, 320 x 260 cm

Château de Versailles

Domaine public © Wikicommons→

Le chêne suffit ici à traduire la vertu du roi Louis IX : le corps du monarque prolonge visuellement le tronc de l'arbre. Le peintre souligne ainsi la vertu affermie du roi, gage d'une justice droite.

... l'arbre lui-même !

L'homme juste a aussi été représenté sous la forme d'un arbre : le comparé et le comparant ne forment plus qu'un !

Peinture contemporaine

Le peintre Roberto Mangú a lu Mc 8,24 et le rapprochement ne lui a pas échappé, pour un résultat saisissant :

Roberto Mangú Quesada (1948-), Grand Vivant, huile sur toile, 2019, 180 x 130 cm

Coll. de l'artiste, D.R. R.M.→ © BEST a.i.s.b.l., Ps 1 ; Mc 8,24

« Heureux l’Homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants... il est comme un arbre planté à la rupture des eaux ». Ps 1 « J’aperçois les hommes, mais j’en vois comme des arbres et qui marchent » (Mc 8,24)

  • « 'Ainsi l’Homme est-il cet arbre puissant aux deux sources de vie. Celui aussi dont témoigne le jeune aveugle guéri par le Christ dans les évangiles, et qui s’écrie : « Je vois un homme, il est comme un arbre qui marche' (A de Souzenelle). « Le monde n’est plus à posséder, il est la réalité splendide dans laquelle l’homme est admis à être vivant et à coopérer à la création avec tout ce qui vit » Éloi Leclerc. Ce titre, emprunté à François Cheng qui dans son livre Assise, Une Rencontre Inattendue évoque spirituellement sa rencontre avec François d’Assise. François Cheng explique ce grand écho du Cantique des créatures : 'Il lui suffit de dire frère Soleil ou sœur Eau, et subitement le rapport entre l’homme et la nature se révèle autre, confiant et fraternel. Du coup, l’univers prend une autre coloration, et l’homme une autre dignité.' » (R.M.Q., 2022)

Texte

Critique textuelle

4 ÷pas comme ça:  + « ÷à la face de la terre: » Bible latine : obèles (et astérisques) On appelle « obèle » le petit signe ÷ . Il a une grande importance dans l'histoire de la constitution et de la transmission des bibles que nous lisons aujourd'hui. En transmettant la bible latine (→Recensions), en effet, →Origène ou saint Jérôme ne voulurent pas livrer un texte prêt-à-lire. Ils choisirent de montrer les « coutures » de la Bible en cours d'élaboration, pour inviter les lecteurs à accueillir le texte sacré dans toute son effervescente interactivité.

Outre la division même du texte en →cola et commata et les →titres et didascalies qu’il interpole dans certains livres, Jérôme souligne cette effervescence du texte biblique d'une version à l'autre, par des signes typographiques devenus fameux : les « astérisques » et « obèles ».

Un obèle pointé

Dans les manuscrits anciens l'obèle simple  (—) signale une interpolation, une répétition ou une erreur dans un manuscrit ancien.

L’obèle pointé (÷) signale l'incertitude sur le fait de laisser ou retirer le passage qui suit.

Origines

Les mots eux-mêmes
  • Issu du grec obelos, « broche » (à rôtir ; en latin verus), l’obèle (nom masc. en français→ ) est le signe ÷, utilisé aujourd’hui pour la division. Jérôme appelle les obèles : « trait transversal » (transversa virga), « tirets » (virgulæ), « tirets horizontaux » (iacentem lineam), « tirets antéposés » (antepositis lineis).
  • Signifiant « petite étoile » (asteriskos en grec, de astêr, « étoile »), l’astérisque (masculin en français→lui aussi), est représenté par le symbole *. Jérôme est sensible à leur aspect graphique, il les nomme « étoiles » (stellæ), ou « signes rayonnants » (signa radiantia). 
Leur fonctions

Dans l’érudition alexandrine, ces signes furent d'abord utilisés pour l'édition critique des textes grecs. Ils revêtirent ensuite des formes et des fonctions diverses dans les papyri littéraires grecs et latins en Égypte, aux époques romaine et byzantine.

Anonyme, Papyrus d'Oxyrhynque III,445 (détail), (encre sur papyrus, 2e-3e s. présentant Homère, Iliade VI,121-148,173-199,445-529)  Brit.Libr. 1190, British Library, Londres © Domaine public

L’astérisque est l’un des sept signes critiques utilisés par Aristarque de Samothrace (ca 216-145) pour éditer Homère. Placé dans la marge, il signale un vers authentique incorrectement inséré ailleurs dans l’œuvre d’Homère. Les astérisques de ce papyrus illustrent cet usage : les vers 490-493 du chant z de l’Iliade y apparaisent placés à tort dans les chants α et θ de l’Odyssée. Sur le papyrus, manque le quatrième astérisque (pour Z 493).

Application à la transmission de la Bible

Origène

Quand il embrasse l'idéal d'une veritas hebraica à partir de 390, Jérôme s’inspire d’Origène : 

  • Jérôme de Stridon, Prol. Pent. 2  « Ce qui a provoqué mon audace, c'est le zèle d'Origène » (SC 592, p.304).

Origène lui-même s’en expliquait ainsi :

  • Origène Comm. Matt. 15,14 « [...] dans le cas des leçons qui sont douteuses dans la Septante à cause du désaccord des copies, nous avons fait notre choix à partir des autres versions, en retenant ce qui s'accordait avec elles ; nous en avons obélisé certains passages, puisqu'ils ne sont pas dans l'hébreu (n'osant pas les retrancher tout à fait) ; nous en avons ajouté d'autres en y mettant des astérisques afin qu'il soit évident qu'ils ne sont pas dans la Septante mais que nous les avons ajoutés d'après les autres versions en conformité avec l'hébreu » (cité dans SC 302, p.496, cf. Ep. Afr. 7 (SC 302, p.530-533)
Des instruments pour rechercher la « vérité hébraïque »

Pour Jérôme comme pour Origène, ces signes sont d’abord les instruments de la recherche d'une plus grande proximité avec le texte hébraïque dont ils disposent :

  • L' astérisque ※ signale un passage oublié par la version grecque courante, mais qui existe dans l’hébreu et les autres versions.

  • L'obèle ÷ signale un passage ajouté dans la version grecque, mais qui n’apparaît pas dans l'hébreu.

Quand c’est un verset, un colon ou un comma entiers qui sont concernés, l’astérisque ou l’obèle est simplement placé au début de la ligne ; lorsque le manque ou l’ajout concerne seulement un mot ou un groupe de mots, Jérôme marque la fin de ce groupe par les deux points : « : ». Cela peut prêter à confusion en langue française, où ce signe de ponctuation existe déjà — mais l'usage des deux points est suffisamment polysémique pour qu’on puisse lui ajouter aussi cette fonction, ont déterminé les auteurs de la présente traduction.

Jérôme lui-même explique le système dans sa préface à sa révision du Psautier de la Septante :

  • Jérôme de Stridon, Praef. in libr. Ps (LXX),3 « Chacun pour sa part doit repérer soit les tirets horizontaux, soit les signes rayonnants, c'est-à-dire les obèles et les astérisques; et partout où il verra un trait d'introduction, qu'il sache que, de là jusqu'aux deux points que nous avons marqués, c'est une addition chez les Soixante-dix traducteurs. Là où en revanche il verra le dessin d'une étoile, qu'il reconnaisse que c'est, également jusqu'aux deux points, une addition venant des rouleaux hébreux, mais d'après l'édition de Théodotion, qui ne s'éloigne pas de la simplicité de style des Soixante-dix traducteurs. » (SC 592,409)

Vers 386-389, saint Jérôme recommande à ses chères Paula et Eustochion, grandes matrones romaines devenues ses disciples, d’y être particulièrement attentives dans les livres de Salomon qu’il vient de restaurer : 

  • Jérôme, Praef. in libr. Salomonis (LXX),1 « Les trois livres à-dire les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques, je les ai restitués à l'autorité ancienne des Soixante-dix traducteurs, soit grâce à des tirets antéposés, pour indiquer tous les éléments adventices, soit grâce à des étoiles placées en tête d'un passage pour insérer tout ce qui manquait, afin que vous sachiez parfaitement, Paula et Eustochium, ce qui manque et ce qui est en plus dans nos livres. Et même les passages que des traducteurs inexpérimentés avaient mal rendus à partir du grec dans notre langue, je les ai corrigés en biffant et en supprimant selon la vérité la plus stricte : là où l'inversion et le désordre des phrases avaient fait disparaitre la clarté, j'ai tout remis en place et j'ai rendu compréhensible ce qui était abscons » (SC 592,423).

On a le droit de ne pas trouver ce système très facile à comprendre. Le grand saint Augustin lui-même s’est attiré des sarcasmes de saint Jérôme à cause de ses questions « idiotes » à ce sujet. Le moine de Bethléem reproche à l’évêque d’Hippone, qui ne l’encourageait pas suffisamment dans son travail, de … « sembler ne pas comprendre sa propre question » :

  • Jérôme Ep. 112 (à Augustin d'Hippone) « Quant à la demande que vous me faites dans vos autres lettres, à savoir pourquoi je n'ai pas fait usage, dans ma dernière traduction, d'astérisques et de petites virgules en tête de chaque ligne, comme je l'avais fait dans la première, permettez-moi de vous dire que vous semblez ne pas comprendre votre propre question. Car la première traduction que vous mentionnez est celle des Septante, où ils ont marqué par des obeli, c'est-à-dire par des petites virgules, ce que leur version contient en plus du texte hébreu, et par des astérisques ou des petites étoiles ce qu'Origène a pris dans la version de Théodotion et a ajouté à celle des Septante. C'est cette version que j'ai traduite du grec en latin ; mais pour l'autre, je l'ai faite sur le texte hébreu, en m'attachant plus au vrai sens de l'Écriture qu'à l'arrangement des mots. Je m'étonne d'ailleurs que vous refusiez de vous servir de la traduction d'un chrétien, tandis que vous ne faites aucune difficulté de lire celle de la Septante, quoiqu'elle ne soit pas dans sa pureté originelle et qu'Origène l'ait corrigée, ou plutôt altérée par ses obélisques et ses astérisques, et surtout par ce qu'il y a ajouté et pris d'une version faite depuis la Passion du Sauveur par un interprète juif et blasphémateur du nom de Jésus-Christ. Voulez-vous vous en tenir uniquement à la partie de la Septante conforme aux interprétations des anciens ? Passez outre, ou plutôt effacez de vos copies tout ce que vous trouverez marqué d'astérisques. Si vous le faites, vous condamnez implicitement les exemplaires utilisés par toutes les autres Églises, car il n'y en a guère qu'un ou deux où l'on ne trouve pas les additions que je viens d'indiquer » (trad. Matougues, vol. 2). 

Conclusion

de la codicologie, au « neuvième art »... 

Des millions d’amateurs de bande dessine connaissent ces mots par les célébrissimes héros de Goscinny. Remplacez la terminaison isque par ix, en hommage rimé au chef gaulois Vercingétorix, et vous obtenez « Astérix » ; faites opération semblable avec l’obèle et vous obtenez « Obélix ».

Babylon-sticks, Astérix et Obélix (et Idéfix), (Image numérique, 2009, Vecteur créé pour un article célébrant le 50e anniversaire de la création des héros (Pilote 1, 29 octobre 1959, p.20) © CC→ 

Quand on prend l’hébreu comme point de référence, dans la version grecque l’astérisque signale un moins, et l’obèle un plus. On comprend donc que leurs noms, « gallicisés », désignent respectivement un petit et un grand (non, on ne dit pas gros !) personnages.

« Obélix » vient d’abord de cet obélisque typographique, mais cela n’empêche pas de remarquer que l'imposant monument égyptien qu’on appelle obélisque aussi (il y en a un place de la Concorde), ainsi que le menhir, son avatar gaulois dont Obélix fait justement commerce, conviennent à la carrure du Gaulois roux !

… en passant par la typographie

Loin d’être une coïncidence, le choix de ces noms constituerait un hommage à la mémoire du grand-père de Goscinny, imprimeur-typographe. Tout comme les deux amis Astérix et Obélix, l’astérisque et l’obèle sont étroitement liés par leur usage jusqu’à aujourd’hui :

  • L’obèle a pris la forme d’une croix latine, simple † ou double ‡, pour marquer les passages modifiés ou ajoutés dans les manuscrits anciens. On utilise encore l’obèle après le nom d’une personne, avant la date qui signale son décès, et parfois comme appel de note, à l’instar de l’astérisque.
  • La petite étoile * placée à la suite d’un mot renvoie à une note de bas de page ; placée devant un mot, elle en signale une forme particulière.

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Pour aller plus loin : Gabriel Nocchi Macedo et Maria Chiara Scappaticcio (dir.), Signes dans les textes, textes sur les signes,  « Papyrologica Leodiensia  6 », Liège : Presses universitaires de Liège, 2017 —  Frederick FieldOrigenis Hexaplorum, Oxford : Clarendon Press, 1875,  t.1, LXI-LXIII  — Robert DevreesseIntroduction à l'étude des manuscrits grecs, Paris : Klincksieck, 1954, 73-75.