La Bible en ses Traditions

Ecclésiaste 4,1–17

M G S
V

Et je me suis tourné, moi, j'ai vu toutes les exploitations qui se font sous le soleil, et voici :

les larmes des exploités, et ils n'ont pas de consolateur ;

entre les mains de leurs exploiteurs est la violence, et ils n'ont pas de consolateur

Sd'assistant !

 Je me suis tourné vers d’autres matières et j’ai vu les oppressions qui se commettent sous le soleil

et les larmes des innocents et personne pour les consoler

et j'ai vu qu'ils ne pouvaient pas s'opposer à leur violence, car ils sont privés de l'aide de tous ! 

1 Omniprésence du crime 3,16
M S
G
V

Alors moi de louer les morts qui déjà sont morts plutôt que les vivants qui, eux, sont vivants encore. 

Et j’ai proclamé les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore vivants et plus heureux que les uns et les autres.

Et j’ai loué les morts plus que les vivants.

2 Eloge de la mort et du néant Jb 3,11-23 ; 10,18-22

Mais plus heureux qu'eux deux celui qui n’est pas encore parce qu'il n’a pas vu l'œuvre mauvaise qui se fait sous le soleil.

...

et j'ai estimé plus heureux que les deux celui qui n’est pas encore né et qui n’a pas vu les maux qui se commettent sous le soleil.

3 L’avorton plus heureux que le vivant 6,3 ; Jr 20,17-18 Sous le soleil, partout le crime 3,16
M G
V
S

J’ai vu que tout travail et que toute habileté dans un ouvrage n’est que jalousie contre un homme de la part de son prochain : cela encore est vanité et poursuite du vent.

À nouveau j’ai examiné toutes les peines des hommes et je me suis rendu compte que leurs activités révèlent l’envie du prochain

et là encore se trouvent la vanité et le souci inutile.

M V
G S

L’insensé se croise les mains et mange sa propre chair.

Vses propres chairs en disant :

5 Le paresseux Pr 6,9-11

— Mieux vaut une main

Vle creux d'une main pleine de

Vavec le repos que les deux mains pleines de peine et de poursuite du vent

Vd'affliction de l'esprit.

Je me suis tourné et

VEn réfléchissant, j’ai vu

Vtrouvé encore une autre vanité sous le soleil :

M G S
V

Soit quelqu’un de seul, et qui n'a pas de successeur, même de fils ou de frère, il n’y en a pas pour lui

Gmême un fils et même un frère, il n’y en a pas pour lui ;

M G Sil n’y a pas de fin à toute sa peine ; M G Smême son œil ne se rassasie pas de richesses.

Alors, pour qui, moi, est-ce que je peine et prive mon être-de-désir de bonheur ?

Ceci aussi est absurdité et un souci mauvais cela.

Soit quelqu’un de seul, et qui n'a pas de successeur, ni fils, ni frère

et cependant il ne cesse de travailler et ses yeux ne se rassasient pas de richesses

et il ne réfléchit pas, disant : — Pour qui donc est-ce que je peine et prive mon âme de biens ?

En cela aussi il y a vanité et souffrance ultime.

M G
V
S

Mieux vaut être deux que seul, car il y a pour eux

Gpour eux, il y a un bon salaire dans leur peine. 

Il est donc meilleur d'être deux ensemble que [tout] seul, car ils tirent avantage de leur société.

...

M S
G
V

10 Oui, s’ils tombent, l’un relève son compagnon.

Mais malheur à celui qui est seul et qui tombe et qui n’a pas de second pour le relever !

10  ...

10 Si l'un tombe il sera soutenu par l'autre

Malheur au solitaire car, quand il sera tombé, il n'a personne pour le relever !

M G S
V

11  De même, s’ils couchent à deux, alors il fait chaud pour eux

Get il y a de la chaleur pour eux

Salors il ont chaud, mais pour celui qui est seul, comment aura-t-il chaud ? 

11 Et si deux dorment ensemble, ils se réchauffent l'un l'autre mais [l'homme] seul, comment aurait-il chaud ?

12  Et si un homme peut maîtriser celui qui est seul

GEt si celui qui est seul est dominé

SEt si est attaqué un seul, deux tiennent devant lui,

et la corde triplée ne se rompt pas avec rapidité. 

12  Et si quelqu'un s'impose contre l'un, les deux lui résisteront :

le fil triplé rompt difficilement.

M
G S
V

13  Mieux vaut un enfant indigent mais sage, qu’un roi vieux et insensé qui ne sait plus se laisser conseiller.

13 ...

13  Mieux vaut un jeune homme pauvre et sage qu’un roi vieux et insensé qui ne sait pas pourvoir à l'avenir

14  Même si de la maison des prisonniers il est sorti pour régner et bien qu’il soit né mendiant dans sa royauté, 

14 ...

14 car même de prison ou des chaînes l'un sort pour être roi, 

et l’autre, né roi, succombe à la pauvreté.

14 L’inconnu devenu roi Si 11,5
M G
V
S

15  j’ai vu tous les vivants qui marchent sous le soleil, avec l’enfant

Gle jeune homme, le second, qui se dressera à sa place. 

15  J’ai vu tous les vivants qui marchent sous le soleil avec le second jeune homme qui se lève à sa place. 

15 ...

16  Il n’y a pas de fin à tout le peuple

GIl n'y a pas de terme pour le peuple, à tous ceux devant qui il était,

mais ceux qui seront après ne se réjouiront pas en lui.

Oui cela aussi est absurdité et recherche de vent. 

16  Infini est le nombre de tous ceux qui furent avant lui

et ceux qui seront après lui ne se réjouiront pas à son sujet :

mais cela encore est vanité et affliction de l’esprit. 

16 ...

M S
G
V

17 Surveille ta démarche

quand tu vas à la maison de la Divinité :

s'approcher pour écouter, 

plutôt que pour donner un sacrifice comme les insensés,

car ils ne savent pas qu'ils font le mal.

17 ...

17  Prends garde [où tu mets] le pied en entrant dans la maison de Dieu :

bien meilleure est l’obéissance que les animaux sacrifiés des insensés qui ignorent ce  qu’ils font de mal. 

Réception

Liturgie

1,1–12,14 Liturgie synagogale : une des lectures principales de la fête de Sukkoth (Tentes)

CALENDRIER — LECTIONNAIRE

La lecture du Livre de Qohelet au cours de l'office du matin du sabbat de hol hamoëd (« [période] profane du temps fixé » : période de quelques jours mi-chômés entre le début et la fin de la fête de Pâque et de la fête ddes Tentes), ou du premier jour de la fête, si le 15 tishre est un sabbat, est une institution rabbinique tardive visant à maintenir les manifestations de joie à un seuil raisonnable. Les discussions sur la vanité de l'existence et le rappel que l'homme rendra compte de tous ses actes devant Dieu viennent tempérer l'allégresse. Arts visuels Qo 1,1–12,14 

Musique

1–17 J'ai vu toutes les oppressions

19e s.

Johannes Brahms (1833-1897), 4 Ernste Gesänge, Op.121 - 2. Ich wandte mich und sahe, 1896

Thomas Quasthoff (piano)

© Licence YouTube Standard→, Qo 4,1-17

Composition

Brahms composa ce deuxième des quatre chants sérieux sur la phrase de l'Ecclésiaste: « J'ai vu toutes les oppressions ». Ce lied romantique poursuit sa méditation musicale sur la mort et la vanité du temps, l'année de la mort de son amie Clara Schumann.

Tradition chrétienne

1,1–12,14 Questions sur l’inspiration du livre (Séminaire des Sources Chrétiennes — HiSoMA→)

Inspiration et caractère prophétique

Qo a fait l’objet d’un nombre appréciable de commentaires, d’homélies et de citations chez les auteurs patristiques, qui reconnaissaient généralement le caractère inspiré, et même prophétique, du livre.

  • Grégoire le Thaumaturge Metaphr. Eccl.1,1, à l’instar de la tradition juive, affirme que l’auteur du livre est non seulement un roi et un sage, mais aussi un prophète ; il est même « le roi le plus honoré et le prophète le plus sage des êtres humains » (SBLSCS 29,7).

Le mot rêmata, « paroles » (Qo 1,1), amène en particulier des réflexions sur l’inspiration de l’Esprit Saint et le caractère prophétique de l’Ecclésiaste, par exemple

  • Didyme d'Alexandrie Comm. Eccl. 7,9-14 : « À proprement parler, dans les Écritures inspirées, l’auteur, c’est l’Esprit qui souffle ce qui est à dire ; mais il est secondé par un sage. Car ce n’est pas l’Esprit qui grave invisiblement les lettres et qui met les mots, mais il les inspire à une âme. Ou bien c’est Salomon lui-même qui écrit cela, ou bien ce sont des sages qui ont écrit cela. C’est peut-être cette hypothèse que nous préférons, pour qu’on ne pense pas que celui qui parle, parle de lui-même. Donc ce sont donc des paroles (rêmata) au lieu de discours (logoi) de l’Ecclésiaste ; car de diverses manières, les paroles sont saisies à travers des discours » (PTA 25,16-18, trad. B. Meunier).

La question des locuteurs

Le caractère déroutant de certaines affirmations a de fait conduit certains exégètes à les interpréter comme dites au nom d’autres personnes.

  • Olympiodore le Diacre Comm. Eccl. « Il faut savoir aussi que le sage Ecclésiaste parle tantôt en son propre nom, tantôt en celui d’une personne que ce monde déconcerte » (éd. Boli, 1).

Selon plusieurs, Salomon aurait donc rapporté dans son livre maintes doctrines impies ou hérétiques afin de les combattre. Par exemple :

Cela peut conduire à élargir le propos à toute l’Église, sans remettre en question le bien-fondé des affirmations :

  • Didyme d'Alexandrie Comm. Eccl. 9,30-32 : « Il ne faut pas attribuer à un seul et même personnage tout ce qui est annoncé dans ce livre, mais à toute la foule de l’Église dans son ensemble » (PTA 25,34).

Méfiances à l’égard de Qo

Les témoignages de rejet ou de prudence vis-à-vis du livre sont assez rares :

  • Philastre Haer.,134, évêque de Brescia, rappelle, dès la seconde moitié du 4e s., que certains hérétiques rejettent le livre de l’Ecclésiaste (PL 12,1265).
  • Théodore de Mopsueste Actes du 5e concile œcuménique, cité dans les Actes du 5e concile œcuménique, de l’Église syriaque, dont l’œuvre a presque entièrement disparu à cause de sa condamnation au Concile de Constantinople en 553, attribue une inspiration de degré inférieur au livre de Qo, mais sans proposer pour autant son exclusion formelle du canon (Zaharopoulos 1989, 33).
  • Giannozzo Manetti De dignitate et excellentia hominis (1452), grand humaniste chrétien, cite Qo dans sa liste noire au 15e s. et seul le respect du canon des Écritures le retient de condamner ce livre au feu (de Lubac 1974, 236).

Liturgie

1,1–14,14 SYNAGOGUE Lecture juive à Sûkkôt De nos jours, à la synagogue, de nombreux Juifs lisent Qohélet (l'Ecclésiaste) à la fête des Huttes (Sûkkôt).  Le choix de ce livre vient de ce que cette fête célèbre dans la joie (Musique) le souvenir des huttes où Dieu avait fait habiter son peuple après la sortie d’Égypte et du fait que Qo est censé faire la promotion de la joie (Qo 2,24ss ; 3,12.22 ; 5,17ss ; etc.).

  • L’habitude de lire Qo à Sûkkôt est toutefois tardive (10-11e s.), puisqu’elle n’est même pas signalée dans la liste que dresse le traité post-talmudique intitulé Mas. sôperîm 14,3 qui énumère les lectures des différents rouleaux lors des fêtes juives (254-255).

Peut-être peut-on aussi voir dans les tentes, les Sûkkôt que construisent les Juifs pour cette fête, et dans laquelle ils vivent durant plusieurs jours, un vivant symbole et un rappel liturgique de la fragilité du séjour de l'homme sur la terre, thème si central dans le livre de Qohélet ? 

Simon Mannweiler, « Sukkah in Mea Shearim, Jewish ultra-othordox neighbourhood, Jerusalem », (photographie numérique, 2008)

© CC BY-SA 4.0→

Le temps de la fête, pieds des immeubles et balcons se transforment, avec des planches, en résidences plus frêles, où revivre l'expérience de la liberté et de la joie des nomades au désert ...

Simon Mannweiler, « Sukkah near Western Wall in Jewish Quarter, Jerusalem », (photographie numérique, 2008)

© CC BY-SA 4.0→

La proximité des éphémères constructions de Sukkot et du mur occidental, vestige du Temple résidence du Nom sur la terre, donne à méditer, dans l'esprit de l'Ecclésiaste, sur ce qui est stable et sur ce qui passe, dans la relation entre l'homme et Dieu...

Arts visuels

2s plus grand éloge des morts que des vivants Désespoirs bibliques La plus illustre figure du désespéré biblique évoqué ici par Qohelet est certainement Job qui finit lui aussi par maudire le jour de sa conception (cf.  Jb 3,11-23)

Bible illustrée, 19e s.

William Blake (1757-1827), Le désespoir de Job (aquarelle préparatoire à Blake Job, 1805-1806), série Butts, Londres

Morgan Library and Museum, New-York (États-Unis) © Domaine public→

Composition

Les Illustrations du Livre de Job est un livre d'artiste de William Blake, publié en 1826, composé d'une série de vingt-deux gravures en taille-douce, qui illustrent le Livre de Job. Cette série, éditée à 315 exemplaires, est complétée par deux séries d’aquarelles préparatoires sur le même sujet (en 1805-1806 et en 1821), et par plusieurs autres œuvres. Considérée comme une des plus hautes réalisations de Blake dans le domaine du livre d'art et l'un des chefs-d'œuvre de la gravure, cette série a été aussi un des rares succès commercial et critique pour Blake.