3ssDois-je pleurer au cinquième mois ?SYNAGOGUE Le jeûne de Tisha Be-Av Ces versets permettent peut-être de dater le début de l'observance de Tisha Be-Av (qui signifie littéralement « le 9 du mois de Av = juillet-août »), jour de jeûne et de deuil en mémoire de la première destruction du Temple de Jérusalem.
D’après Zacharie, quand le gouverneur Cyrus autorise les juifs à rentrer à Sion pour reconstruire le temple, une délégation est envoyée de Jérusalem pour consulter les prêtres et les prophètes sur une question de pratique rituelle : Faut-il ou non continuer d’observer le jeûne pour la destruction du premier temple, puisqu’on est en train de reconstruire le second ? (Za 7,3). Le prophète répond sans trancher leur question sinon en rappelant le sens du jeûne, mais en mentionnant le fait que ce jeûne est pratiqué depuis soixante dix ans, c’est-à-dire, vers l’an 588, date du siège de Jérusalem par les Babyloniens, plus précisément, de l’incendie de la ville, du palais du roi et du Temple au mois d’Av 586 ou 587.On peut en déduire qu’à l’époque perse et tant qu’il y eut un temple à Jérusalem, l’observance de ce jeûne pouvait constituer une marque de piété pour certains fidèles mais n’était pas obligatoire. Il n’est d’ailleurs plus mentionné dans les sources antiques pendant sept cent ans.
INSTITUTION
La source biblique qui mentionne ce jeûne semble être la prophétie de l'abolition des jeûnes au temps messianiques : Za 8,19. Zacharie ne donne cependant pas la date de ce « jeûne du cinquième mois ». Les Sages le placent au neuvième jour de mois pour commémorer à la fois cinq calamités tombées sur le peuple juif en ce jour, en particulier les destructions des deux temples (cf. infra MYSTAGOGIE).
CALENDRIER
L’association faite entre la destruction des deux temples (du premier par Nabuchodonosor, et du second par Titus) et le 9 Av pose un problème de datation. Même les passages bibliques ne s’accordent pas sur la date de la chute du premier temple :
→Josèphe A.J. 10,146 « Le Temple fut incendié quatre cent soixante-dix ans, six mois et dix jours après son édification : il y avait alors mille soixante-deux ans, six mois, dix jours que le peuple était sorti d’Égypte. »
→Josèphe B.J. 6, 250 « Titus retourna à la tour Antonia ; il avait résolu de donner l'assaut avec toutes ses troupes le lendemain vers l'aurore et de cerner le Temple que Dieu, depuis longtemps, avait condamné au feu. La succession des temps amenait le jour fatal, qui fut le dixième du mois de Loos (29 août 70, le 10 Av). A cette même date le Temple avait autrefois été brûlé par le roi de Babylone. »
Les sources rabbiniques résolvent la difficulté ainsi :
→Meg. Ta‘an. 29a « Il est impossible de dire que le Temple (a été brûlé) le 7 Av, puisque Jérémie dit qu’il a été brûlé le 10. Et il est impossible de dire (qu’il a été brûlé) le 10, puisque le livre des Rois dit qu’il a été détruit le 7. Que s’est-il passé ? Le 7, les païens sont entrés dans le Sanctuaire, et le 7 et le 8, ils le profanèrent. Et le 9, à la tombée du jour, ils l’incendièrent, et il brûla un jour entier, comme il est dit : "— Élevez un étendard dans Sion ! Cherchez un abri, fortifiez-vous ! Ne vous arrêtez pas ! Car c'est le malheur que moi je fais venir du septentrion et un grand brisement"(Jr 4,6). »
LITURGIES rabbiniques
Rituel
Le 9 Av se distingue des autres jeûnes de l’année juive : il commence la veille au soir pour durer vingt-cinq heures comme le jour du Kippour, et on y observe les mêmes prescriptions : le fidèle doit s’abstenir de manger, de boire, de s’oindre, de porter des chaussures en cuir, de se laver, de se couper les cheveux et d’avoir des relations sexuelles (cf. Liturgie Lv 16,3–34).
Dans les synagogues, la Tora est dépouillée de ses ornements et l’éclairage diminué.
Lectures
On lit
le livre des Lamentations intégralement (dans certaines communautés, ce livre est lu sur un support en forme de rouleau),
les livres bibliques qui traitent de la disparition du royaume de Juda : →Meg. Ta‘an. 30a « On lira les Lamentations, le livre de Job, et les prophéties de malheur du livre de Jérémie. »
On étudie
les commentaires rabbiniques correspondants, notamment le Midrash Rabbah sur Lamentations.
De plus, dès la fin de l’Antiquité, on composa des poèmes liturgiques spécifiques méditant sur les calamités survenues lors de ce jour, nommés Qinot (« élégies »)
Ces deux élégies hébraïques — quinoth — anonymes, composées en Espagne au Moyen Âge, sont récitées traditionnellement lors de l’office matinal du 9 de la lune d’Ab, jour d’affliction et de jeûne lors duquel les Israélites rappellent la mémoire de la destruction des deux temples de Jérusalem ainsi que des expulsions des juifs de France (1394) et d’Espagne (1492) qui eurent lieu toutes deux en ce jour. Ces deux pièces, entonnées par le ministre officiant au moment de la sortie des rouleaux de la Loi
Paroles
« Ô Loi qui avez été donnée par Moïse, — pleurez et lamentez Et couvrez-vous d’un sac et de cilice pour la captivité des enfants de Jacob qui sont plongés dans le chagrin parmi les Iduméens et les Ismaélites ! Déplorez le massacre que l’on fait du peuple saint, du peuple de Dieu, car l’épée a dévoré le reste d’Israël ! Ô Loi sainte, — pleurez et lamentez la terre d’Israël qui, par nos grands crimes, a été subjuguée par les autres terres, dont elle était la principale ! Déplorez la sainte montagne et la désolation des sacrés Autels, car l’épée a dévoré le reste d’Israël Ô Loi parfaite, — pleurez et lamentez cette sainte maison que les ennemis ont envahie et réduite en cendre, avec colère et indignation Déplorez cette chute irrémédiable, et versez des larmes sans retenue, car l’épée a dévoré le reste d’Israël קומי וספדי Koumi vesifdi Levez-vous ô Loi, — lamentez Et en ce neuvième jour de la lune d’Ab, Adressez des complaintes lugubres en mémoire de tant de malheur ! Ô jour de tristesse, Ô jour de ruine, Ô jour d’indignation, Ô jour funeste, dans lequel la colère du Seigneur s’est enflammée contre moi et a détruit le Temple et tous ses portiques ! Poussez des cris pénétrants et amers, c’est là le statut de la Loi... » (Traduction de Mardochée Venture, Prières des jours des jeunes de Gedalya, de Tebeth, d’Esther, de Tamous et d’Ab, à l’usage des Juifs portugais ou espagnols, Paris, 1807, 562-565)
MYSTAGOGIE : un condensé des catastrophes
En plus de la destruction du Temple par les Babyloniens, la Mishna assigne à cette même journée la mémoire de quatre autres calamités :
→M. Ta‘an. 4,6 « Cinq calamités sont survenues pour nos ancêtres le 9ejour du mois d’Av. Le 9e jour du mois d’Av, il a été décrété que nos Pères n’entreraient pas en Terre promise le Temple a été détruit pour la première et la seconde fois, Bétar a été prise et la ville [de Jérusalem] a été labourée. »
La première, l'interdiction pour la génération de l'Exode de rentrer en terre d'Israël est une sorte de faute originelle : puisque les Israélites ont pleuré en vain un 9 av, Dieu leur promet de leur donner une raison valable de pleurer désormais à chaque année!
Trois d’entre elles sont des événements historiques du 1er et 2e s. de notre ère.
La deuxième destruction du Temple fut le fait du général romain et futur empereur Titus en 70 AD et le second exil
La capture de la ville de Bétar en 135 (et la mort de Bar Kokhba) consacra l’échec de la deuxième révolte des juifs de Judée contre les Romains et entraina peut-être une interdiction de résidence des juifs à Jérusalem, renommée Ælia Capitolina.
→Meg. Ta‘an. 29a « [Le 9 Av] la ville de Jérusalem fut labourée. On enseigne : Quand le malfaisant Turnus Rufus laboura le sanctuaire, un décret fut publié contre Rabban Gamaliel, pour le mettre à mort. »
À partir du moyen âge, le jeûne s’est enrichi de la mémoire de toute une série d’événements historiques successifs ayant eu de graves conséquences pour de nombreuses communautés juives et réputés avoir également eu lieu le 9 Av : l’appel à la première croisade (1095), l’autodafé du Talmud à Paris (1242), les expulsions successives des juifs d’Angleterre (1290), de France (1306) et d’Espagne (1492), le déclenchement de la Première guerre mondiale (1914) ou encore le début des déportations au ghetto de Varsovie (1942).
À travers les vicissitudes de l'histoire, la prière continue,
dans le trouble, lorsqu'en août 2022, des milliers de juifs religieux affluent dans la vieille ville de Jérusalem pour marquer le jour de deuil juif de Tisha BeAv, l'implication politique n'est pas loin : alors que la guerre fait des dizaines de victimes à Gaza, le politicien radical Itamar Ben Gvir et des centaines d'Israéliens pénètrent dans le quartier de « Bab Al-Qattanin », l'une des portes de la mosquée Al-Aqsa, pour revendiquer l'entrée sur le mont du Temple.
et dans l'espérance, dans la prière continue pour la libération des prisonniers :
La prière est grosse des espérances d'un peuple marqué par les servitudes : les Juifs demandent à Dieu de libérer tous ceux qui sont retenus captifs.
Paroles
« Nos frères, toute la maison d'Israël, qui sont en détresse et captifs, qui errent sur mer et sur terre – que Dieu ait pitié d'eux et les fasse passer de la détresse au réconfort, des ténèbres à la lumière, de l'esclavage à la rédemption, maintenant, vite et bientôt. »