La Bible en ses Traditions

Apocalypse 12,2

Byz V TR Nes
S

Et elle est enceinte,  et

Byz V TR elle criait en accouchant

TR Nescrie en accouchant

Vcrie, en travail, et en étant au supplice

Velle est crucifiée pour V[pouvoir] accoucher ! 

Et [elle était] enceinte et elle criait en accouchant, étant aussi au supplice pour accoucher. 

2 elle est enceinte Is 7,14 ; 26,17 ; 66,7-8 Douleurs de l’enfantement Gn 3,16 ; Is 21,3 ; 26,17 ; Jr 4,31 ; 6,24 ; 13,21 ; Mi 4,9-10 ; Mt 24,8 ; Jn 16,21

Réception

Liturgie

11,19–12,17 Liturgie latine : liturgie des Heures Texte lu à l’office des Lectures du commun de la Vierge Marie durant le Temps pascal.

11,19–12,10 Liturgie latine : lectionnaire Texte lu en première lecture lors de la messe de l'Assomption de la Vierge Marie, le 15 août.

1–17 Liturgie latine : liturgie des Heures Texte lu à l’office des Lectures de la fête des saints archanges Michel, Gabriel et Raphaël (29 septembre). Liturgie Ap 12,7–12

Littérature

1–18

Moyen Âge

La femme

Au Moyen Âge l’image de la Femme revêtue du soleil se réfère à la Vierge Marie, à l’Église, ou encore à l’âme chrétienne.

  • Marie. Dante (Comédie : Le Paradis 31,118-129) décrit Marie comme une reine qui, comme le soleil, est plus brillante que toutes les autres ; de même, le poème sacré Quia amore langueo.
  • L’Église. La figure de la Dame Sainte Église dans le poème moyen-anglais Piers Plowman.
  • L’Âme. La demoiselle au centre du poème moyen-anglais Pearl.
Le dragon

Les deux grandes tendances de l’interprétation du dragon jusqu’à l’époque moderne sont d’y voir la force du mal en général ou bien de l’identifier — avec chacune de ses sept têtes — à des personnages historiques ou contemporains, souvent à des fins polémiques. La victoire sur le dragon est normalement attribuée à l’archange Michel, à saint Georges ou à un autre saint.

Renaissance

À l’époque de la Réforme, Ap 12 est sollicité dans la littérature polémique confessionnelle, où l’on prend des options tranchées pour l’une ou l’autre des interprétations traditionnelles de la Femme : les protestants l’interprètent comme la vraie Église (réformée), tandis que les catholiques y voient Marie conçue sans le péché originel et transportée dans les cieux où elle règne. Quant au dragon, il est régulièrement pris par les protestants pour une allégorie de l’Église catholique, de la papauté ou des puissances catholiques d’Europe.

  • La vraie Église. Agrippa d’Aubigné (1552-1630) voit dans la Femme qui s’enfuit dans le désert l’Église des vrais témoins (réformés) que le dragon de la Rome pontificale tourmente (Les Tragiques ; Petites œuvres meslées). À l’inverse, Étienne Jodelle (1532-1573) considère que les anges rebelles sont les réformés. Dans le premier livre du Faërie Queene par Edmund Spenser (ca. 1552-1599) la figure d’Una représente la vraie Église (réformée) et celle de Duessa la fausse catholique. Le royaume de ses parents est assiégé d’un « énorme grand Dragon horrible à voir ». Le combat entre saint Georges et le dragon est évoqué à plusieurs reprises dans le poème.
  • Marie. La poésie d’inspiration liturgique de la poétesse Anne de Marquets (1533-1588) convoque le récit de la vision de la Femme pour célébrer le « Jour de l’Assumption Nostre Dame ».
  • La Guerre dans le ciel. Elle est racontée par John Milton (1608-1674) dans le livre 6 de son Paradise Lost, où la victoire finale est attribuée au Fils de Dieu. Lazare de Selve (†1622) chante le chef des armées célestes lors de la fête de la Saint-Michel.

Époque moderne

  • La femme. L’interprétation polémique confessionnelle continue d’être appliquée jusqu’au début du 19e s. : Jonathan Swift (1667-1745) l’identifie avec l’Église anglicane menacée par les «Dissenters » (Examiner, no. 21) ; William Blake (1757-1827) y voit l’Église non pas seulement chrétienne mais vraiment universelle (Vision of the Last Judgment).
  • Depuis, il y a un retour à une vision révélatrice de la Femme, pas toujours orthodoxe. On pense surtout à la Mater gloriosa à la fin de la deuxième partie du Faust de Goethe (1749-1832) : « L’Éternel Féminin nous attire là-haut. »
  • La Guerre dans le ciel. Le récit de la grande vision céleste d’Ap 12 hante encore les œuvres de Joseph Freiherr von Eichendorff (1788-1857).

Époque contemporaine

  • La femme. David Herbert Lawrence interprète le « prodige féminin » dans une perspective antichrétienne, comme la représentation de la « grande déesse de l’Orient, la grande Mère, celle qui devint la Magna Mater des Romains » (Apocalypse, 1929).
  • La Guerre dans le ciel. Carlo Levi (1902-1975), Le Christ s’est arrêté à Eboli. Le dragon apocalyptique et la Bataille cosmique entre êtres sur-humains apparaissent sous des formes diverses dans la littérature de fantaisie, notamment de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) et dans les œuvres de science-fiction.

Musique

1–18 Interprétations du combat céleste

  • Marc-Antoine Charpentier, Proelium Michaelis Archangeli H 410 (fin 17e siècle).
  • Johann Sebastian Bach, Es erhub sich ein Streit (Cantate BWV 19 pour la fête de Saint-Michel).
  • Franz Schmidt, Das Buch mit sieben Siegeln (oratorio 1937 : un passage au centre).
  • Jean Françaix, L’Apocalypse selon saint Jean (oratorio 1939 : 3e partie, début).
  • Hilding Rosenberg, Johannes Uppenbarelse (oratorio suédois 1940, scène 2).
  • Lucien Deiss, Voici qu’apparut dans le ciel (chant liturgique polyphonique, cote V73, 1960).

Cinéma

1,1–22,21 Allusions à l'Apocalypse

  • Ingmar Bergman, Det sjunde inseglet [« le septième sceau »] (1957).
  • Vincente Minnelli, The Four Horsemen of the Apocalypse (1961).
  • Andrei Tarkovski, Offret [« le sacrifice »] (1985).
  • Peter Jackson, The Lord of the Rings (en particulier le 3e film, 2003).

Contexte

Littérature péritestamentaire

2ss Qumrân : l’enfantement simultané du messie et de son adversaire (l’aspic)

  • 1QHa 3,6-18 « (6) [Car je fus méprisé par eux], [et ils n’] avaient [nulle] estime pour moi. Et ils rendirent [mon] âme pareille à un bateau dans les profondeurs de la m[er] (7) et à une ville fortifiée en présence de [ceux qui l’assiègent]. [Et] je fus dans le désarroi ; telle la Femme qui va enfanter, au moment de ses premières couches. Car des transes (8) et des douleurs atroces ont déferlé sur ses flots afin que Celle qui est enceinte mît au monde (son) premier-né. Car les enfants sont parvenus jusqu’aux flots de la Mort ; (9) et Celle qui est enceinte de l’Homme de détresse est dans ses douleurs. Car dans les flots de la Mort elle va donner le jour à un enfant mâle, et dans les liens du Shéol va jaillir (10) du creuset de Celle qui est enceinte un Merveilleux Conseiller, avec sa puissance ; et il délivrera des flots un chacun grâce à Celle qui est enceinte de lui. Tous les seins éprouvent des souffrances, (11) et ils ressentent des douleurs atroces lors de l’accouchement des enfants, et l’épouvante saisit celles qui ont conçu ces enfants ; et lors de l’accouchement de son premier-né toutes les transes déferlent (12) dans le creuset de Celle qui est enceinte. Et Celle qui est enceinte de l’Aspic est en proie à des douleurs atroces ; et les flots de la Fosse (se déchaînent) pour toutes les œuvres d’épouvante. Et ils secouent (13) les fondations du rempart comme un bateau sur la face des eaux; et les nuages grondent dans un bruit de grondement. Et ceux qui habitent la poussière sont (14) comme ceux qui parcourent les mers, terrifiés à cause du grondement des eaux. Et leurs sages sont pour eux comme des marins dans les profondeurs ; car (15) toute leur sagesse est anéantie à cause du grondement des eaux, à cause du bouillonnement des abîmes sur les sources des eaux. [Et] les vagues [sont agi]tées, (soulevées) en l’air, (16) et les flots font retentir le grondement de leur voix. Et, parmi leur agitation, s’ouvrent le Sh[éo]l [et l’Abaddon], [et tou]tes les flèches de la Fosse (17) (volent) à leur poursuite ; à l’Abîme ils font entendre leur voix. Et les portes [du Shéol] s’ouvrent [pour toutes] les œuvres de l’Aspic ; (18) et les battants de la Fosse se referment sur Celle qui est enceinte de la Perversité, et les verrous éternels sur tous les esprits de l’Aspic. »

Réception

Tradition chrétienne

2 elle criait en accouchant Les douleurs de l'enfantement

= l'enfantement par l'Église

  • Bossuet Ap. : L’Église ressemble par son caractère à la Sainte Vierge, à la différence près que cette dernière a enfanté sans douleurs, alors que l’Église doit ressentir les douleurs de l’enfantement.

= les chrétiens persécutés

  • Gill Exp. NT : Ce sont les persécutions des chrétiens par les empereurs romains, en particulier celle de Dioclétien.

= l'attente de la parousie

  • Wesley Expl. NT : La femme est en travail jusqu’à ce que Christ apparaisse comme le berger de toutes les nations.
  • Scofield Bible : Les douleurs de l’enfantement sont les souffrances d’Israël avant la venue du Messie.

Arts visuels

1–18 Depuis le Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, on n’a cessé de représenter des épisodes d’Ap 12. Les sujets principaux sont la femme revêtue du soleil (avec ou sans son enfant [avec ou sans assimilation à la Vierge et à l’Enfant Jésus] et avec ou sans le dragon), et le combat entre l’archange Michel et le dragon (avec ou sans accompagnement d’autres anges rebelles et avec ou sans représentation de la chute en enfer, autre thème iconographique : Arts visuels Is 14,12–15). Vu le très grand nombre d’œuvres qui traitent d’Ap 12, on ne peut donner ici qu’une présentation des plus célèbres, par sujet et par période, en évoquant les grands moments de la réception d’Ap dans les arts visuels.

La femme revêtue du soleil et le dragon

Moyen Âge

Aux approches de l’an mille, beaucoup crurent en une prochaine fin du monde, et l’on se tourna vers l’Apocalypse pour essayer de déchiffrer les signes des temps. La création artistique autour du texte atteint une première apogée, dont témoignent plusieurs chefs-d’œuvre de l’enluminure.

  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Valenciennes (Allemagne, premier quart du 9e s.), « Vision de la femme et du dragon » et « Le dragon poursuivant la femme qui reçoit les ailes » (miniature en pleine page, Abbaye de Saint-Amand, Bibliothèque municipale de Valenciennes, ms. 0099, f. 024). Cette Apocalypse figurée présente trente-neuf peintures, exécutées avant la transcription du texte. Le dessin et le coloriage un peu primitifs mais très expressifs sont encadrés de grecques et d’entrelacs, et accompagnés d’une légende empruntée au texte de l’Apocalypse.
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Bamberg, « L’arche de l’alliance, la femme (et l’enfant) et le dragon » et « Le dragon poursuit la femme dans le désert » (miniatures, ca. 1000-1020, Reichenau, Staatsbibliothek, Bamberg). Cette Apocalypse est l’un des manuscrits à peintures les plus somptueux du Moyen Âge, probablement commandé par Otton III (†1002) et offert à l’abbaye collégiale de Saint-Étienne de Bamberg en 1020 par l’empereur Henri II. Les 106 feuillets du codex présentent tout un cycle de 57 miniatures sur fond d’or et 100 initiales dorées.

Les enluminures des 10e et 11e s. illustrant le Commentaire de l’Apocalypse écrit quelques décennies après l’invasion musulmane de l’Espagne (fin du 8e s.) par Beatus, moine du monastère de Saint-Martin de Liébana (Asturies) sont particulièrement célèbres. Alors qu’Ap est désormais le livre de la résistance chrétienne à l’Islam, l’enluminure mozarabe déploie ses trésors de couleurs et de formes pour l’actualiser. On connaît une trentaine de manuscrits enluminés dont le Beatus de Facundus, le Beatus de Valcavado (vers 970, 97 enluminures peintes par Oveco pour l’abbé Semporius : Valladolid, Biblioteca de la Universidad, ms. 433 ex ms. 390), le Beatus d’Osma (71 enluminures dues au peintre Martinus, cathédrale de El Burgo d’Osma, Beatus 1086, Cod. 1), le Beatus de Piermont Morgan (Beatus de San Miguel de Escalada, près de León, vers 960, 89 enluminures peintes par Magius, archipictor, ms. 644, Pierpont Morgan Library, New York).

  • Facundus, Beatus de León (11e s., commandé par Ferdinand Ier et la reine Sanche, 98 enluminures, ms. Vit. 14.2, Biblioteca Nacional de Madrid) : « Combat apocalyptique » (miniature sur une double-page). Un immense serpent polycéphale envahit l’espace central, quatre de ses têtes menacent la femme qui enfante, une autre vomit le fleuve destiné à l’engloutir, deux autres encore affrontent en vain les anges. Balayant le ciel, la queue du monstre fait tomber le tiers des étoiles, figures des séides que des anges précipitent dans l’abîme, où Satan poursuit son œuvre au noir, mais enferré dans une cage de torture, étranglé par la corde rouge de ses crimes, et prisonnier à jamais des ténèbres. Le soleil est placé sur le ventre de la femme céleste, figure de l’Église, dont « l’enfant mâle » est aussitôt transporté auprès de Dieu.
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Silos (ca. 1091-1109, San Sebastián de Silos, ms. add. 11695, British Library, Londres), « L’arche de l’alliance, la femme (et l’enfant) et le dragon » et « Le dragon poursuit la femme dans le désert ».

Au cours du Moyen Âge, l’Apocalypse s’échappe du livre pour envahir l’espace visuel sur d’autres supports, par exemple :

  • la sculpture monumentale : Anonyme, bas-relief de la femme et du dragon (demi-médaillon provenant de l’église Saint-Rieul de Senlis, fin du 12e s., Musée du Louvre) : le dragon a déjà les jambes de l’enfant entre ses crocs.
  • le vitrail, par exemple le grand vitrail de l’Apocalypse de la cathédrale de Bourges (entre 1215 et 1225).
  • la peinture à fresque : Giusto de Menabuoi (italien, ca. 1320-1397), « Le dragon cherche à dévorer l’enfant » (fresque, 1376-1378, baptistère de la cathédrale de Padoue).
  • la tapisserie : Nicolas Bataille (lissier), Robert Poisson (fabricant), d’après des cartons de Hennequin (ou Jean) de Bruges (peintre du roi de France Charles V, Tapisserie de l’Apocalypse (tapisserie de lisse en laine, 14e s., Château d’Angers). L’une des œuvres les plus célèbres consacrées à Ap, c’est la plus grande tapisserie d’art médiévale connue (103 m de long, 4,5 m de large). Commandée par Louis Ier d’Anjou et achevée en 1382 elle fut offerte par le roi René à la cathédrale d’Angers au 15e s. Six des sept pièces nous sont parvenues, chaque pièce comprenait originalement 14 tableaux répartis sur deux registres, avec en tête de chaque pièce un personnage sous un baldaquin qui introduit le spectateur à la lecture allégorique des visions. Ap 12 est illustrée dans la troisième pièce. Registre supérieur : « La femme revêtue du soleil ». La femme et le dragon sont dans deux espaces chromatiques bien séparés, seule la tête principale du dragon sort de son espace rouge pour faire irruption dans le bleu céleste de la femme et de son enfant, mais les anges ont déjà saisi les mains de l’enfant. Registre inférieur : « Saint Michel combat le dragon » ; « La femme reçoit des ailes » ; « Le dragon poursuit la femme ».
Renaissance
  • Albrecht Dürer (Allemand, 1471-1528), « La femme et le dragon » ; « Dieu le Père préside sur la scène et bénit la femme » (gravure sur bois, dans la série Apocalypsis cum figuris, ca. 1496-1498). Ces gravures marquent un profond renouvellement dans le traitement du motif. La planche inaugurale représente le voyant en extase contemplant la femme céleste couronnée, qui porte son enfant dans ses bras. Sa silhouette n’est pas entière et la lune en souligne la partie inférieure. D’emblée est ainsi signifiée la vision centrale du livre : l’Église-mère qui, triomphante, victorieuse de l’ennemi — absent de cette gravure —, apporte l’espérance et réaffirme la réalisation de la promesse de salut faite par Dieu aux fidèles témoins. Sur la planche d’Ap 12, on découvre une femme ailée sereine, que touchent pourtant l’une des gueules du dragon menaçant ainsi qu’une de ses couronnes et de ses cornes. Le monstre rampant sort de l’abîme en feu, qui figure à la fois sa nature infernale et sa geôle éternelle, tandis que sa queue s’élève dans le ciel pour en balayer le tiers des étoiles. L’« enfant mâle » est porté par deux anges vers le Père, qui le bénit.

L’œuvre de Dürer est la première Apocalypse imprimée. L’image y tient la première place, le texte n’apparaissant qu’au verso de chacune des gravures. L’artiste imprime lui-même ses planches sans répondre à une commande, prenant un risque financier qui témoigne de son engagement personnel. À l’époque où il grave son Apocalypsis cum figuris, Dürer n’a que 27 ans, mais il est habité par la foi tourmentée qui précède la Réforme. Il appose son monogramme au bas de chacune de ses images. L’œuvre le rend célèbre : Érasme et Alberti la commentent, et Cranach s’en inspire pour illustrer l’Apocalypse du Nouveau Testament de Luther. En France, Jean Duvet s’en inspire aussi pour une Apocalypse gravée en 1556.

  • Anonyme, illustrateur des écrits de l’époque de la Réforme protestante, série d’illustrations de plusieurs épisodes d’Ap 12 montrant la femme et le dragon (gravure sur bois dans Martin Luther, Das Newe Testament Deutzsch, 1522).
Période moderne
  • Pierre-Paul Rubens (Flamand, 1577-1640), « La Vierge comme la femme de l’Apocalypse » (huile sur panneau, ca. 1623-1624, Musée J. Paul Getty, Los Angeles). Esquisse pour un autel commandé par le prince-évêque Veit Adam Gepeckh von Arnsbach pour la cathédrale de Freising, c’est un bel exemple de lecture théologique du passage, mis en rapport avec le « Protévangile » de V-Gn 3,15. La Vierge Marie au centre tient l’enfant Jésus et écrase du pied le serpent enroulé autour de la lune, tandis que Michel et ses anges repoussent dans l’abîme le démon et ses anges. Tout en haut, Dieu le Père donne aux anges l’ordre de donner à la Vierge une paire d’ailes.
  • Matthias Scheits (Allemand, ca. 1630-1700) combine trois scènes de l’Apocalypse : « Un ange donne à Jean le petit rouleau (devant) » ; « L’enfant de la femme sauvé du dragon » (centre) ; « Les témoins enlevés dans le ciel » (fond) (gravure sur bois, dans Martin Luther, Biblia, das ist: Die gantze H. Schrifft Alten und Newen Testaments, Deutsch, Lünenburg, 1672).
  • William Blake (Anglais, 1757-1827), « Le grand dragon rouge menaçant la femme revêtue du soleil » (aquarelle, ca. 1803-1805, Musée de Brooklyn, New York) ; « La femme ailée s’enfuit du dragon » (aquarelle, ca. 1805, National Gallery of Art, Washington).
  • Joseph Severn (Anglais, 1793-1879), « L’enfant sauvé du dragon » (huile sur toile, ca. 1827-1831/1843, Tate Collections, Londres).
  • Gustave Doré (Français, 1832-83), « La Vierge couronnée, une vision de Jean» (gravure dans La Sainte Bible, Paris : Mame, 1866).
  • Odilon Redon (Français, 1840-1916), Apocalypse de saint Jean (album de 12 planches et frontispice, tir. 100 exemplaires, publié par Ambroise Vollard, Paris, 1899), témoigne d’une inspiration à la fois orientale (femme enveloppée de soleil) et médiévale (l’ange, la chaine à la main).
Période contemporaine

Les grands massacres et les profondes interrogations sur l’avenir du monde qui ont endeuillé le siècle de la bombe atomique ont été propices à la reprise du thème de l’Apocalypse. Au tournant du siècle, l’avant-garde expressionniste allemande mêle attente apocalyptique et expressivité artistique : des peintres comme Franz Marc, Vassili Kandinsky, Max Beckmann et Ludwig Meidner se réfèrent explicitement au livre biblique. S’ils ne représentent pas de visions d’Ap 12 en particulier, ils orientent toutefois la réception picturale d’Ap dans deux directions. (1) Chez Kandinsky, le thème de l’Apocalypse s’accompagne d’une recherche spirituelle et esthétique. Selon lui, seule une « purification cataclysmique » pourrait libérer le spirituel enfermé dans le réel. Le passage par la thématique tourmentée d’Ap lui permet d’évoluer à travers l’explosion des couleurs et des formes, vers l’abstraction. (2) Chez d’autres, comme Beckmann et Meidner, Ap suscite un mode de pensée mêlant provocation et révolution, annonçant une ère nouvelle de la pensée et de l’action. Influencés par des catastrophes contemporaines (comme le tremblement de terre sicilien de 1908), à partir de 1909 et 1912, ils composent des toiles inspirées d’Ap, de plus en plus violentes à la veille du conflit mondial.

Parmi les artistes revenus de la Seconde Guerre mondiale :

  • Jean Lurçat (Français, 1892-1966), « La femme et le dragon » (1947, tapisserie d’Aubusson, 4,50m x 12,40m, chœur de l’église du plateau d’Assy, Haute-Savoie), très inspiré par la Tapisserie d’Angers, mais aussi par les peintures romanes, l’artiste présente une vision tourbillonnant dans un flamboiement de formes en noir et blanc, avec des couleurs alternées.

À notre époque, Ap ne cesse d’inspirer les artistes visuels. Dans un registre expressionniste, on peut citer :

  • Louis Caillaud d’Angers (Français, 1911-2007, co-fondateur du groupe Figure et Synthèse), L’Apocalypse, 40 aquarelles et tableaux, 1983-1984, représentant tous les motifs d’Ap 12 dans un registre expressionniste et lyrique.
  • Macha Chmakoff (Française, 1952-), « Le dragon se posta devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance » (du Retable de l’Apocalypse en 13 tableaux, s.d.), plus symboliste.
  • Pat Marvenko-Smith (Américaine, s.d.), Apocalypse Art Gallery, 35 images→ (1982-1992) alliant les esthétiques de la bande dessinée et du surréalisme dans un but didactique de prédication.

Les techniques digitales permettent de maximaliser à la fois le réalisme et l’onirisme des visions de Jean :

  • Ted Larson (°1961), « L'enfant emporté dans le ciel » (image digitale).
  • David Miles (°1944), « La femme menacée par le dragon » (image de la série Apocalyptic Images→ — Digitally Created Figurative Interpretation of the Word Images Presented in the Book of Revelation, Birmingham Institute of Art and Design, Birmingham).

Dans le registre abstrait :

  • Jacques Gassman (Allemand, 1963-), Apocalypse, 1989-1992, 32 peintures en noir et blanc, et encres de couleur (Hanns-Lilje Foundation, Hanovre, Allemagne, avec le Sprengel Museum de Hanovre).

La femme seule ou avec l’enfant

Moyen Âge
  • Beatus de Piermont Morgan.
  • Anonyme maître anglais, Dyson Perrins Apocalypse (détrempe et or sur parchemin, ca. 1255-1260, J. Paul Getty Museum, Los Angeles).
  • Anonyme ùaître polonais, « Vierge et enfant revêtus du soleil » (détrempe sur panneau, ca. 1450-1460, église paroissiale, Przydonica).
Renaissance
  • Matthias Grünewald (Allemand, ca. 1470-1528), « Marie avec le soleil sous ses pieds » (craie noire, ca. 1520, Musée Boymans-van Beuningen, Rotterdam).
  • Le Greco (Domenikos Theotokopoulos, Grec-Espagnol, 1541-1583), «La Vierge de l’Immaculée Conception et S. Jean » (huile sur toile, ca. 1585, Musée de Santa Cruz, Tolède).
Période contemporaine
  • Salvador Dalí (Espagnol, 1904-1989), Mulier amicta sole (lavis), parmi les 105 lithographies des lavis originels de 1964-1967 illustrant Biblia Sacra, Rome : Rizzoli, 1969.
  • Ted Larson, « La femme en travail » (image digitale).
  • Abbé Bernard Chardon (Apocalypse, Laval : Siloe, 1990) : 54 lavis plus poèmes et commentaires (p. 64-65 : la femme couronnée d’étoiles).

La femme et l’enfant dans la vision de Jean sur Patmos

Ce sujet semble avoir intéressé surtout les artistes de la Renaissance.

  • Giotto di Bondone (Italien, 1267-1337), Scènes de la vie de saint Jean l’Évangéliste, fresque, 1320, Santa Croce (Chapelle Peruzzi), Florence.
  • Donatello (Italien, 1386-1466), stuc polychrome, 1428-1443, San Lorenzo, Florence.
  • Jérôme Bosch (Hollandais, ca. 1450-1516), huile sur chêne, 1504-1505, Staatliche Museen, Berlin.
  • Albrecht Dürer, gravure sur bois (page de garde de la 2e éd. latine de L’Apocalypse, 1511).
  • Anonyme illustrateur d’écrits de l’époque de la Réforme protestante, gravure sur bois dans Johann Eck, Tomus Tertius Homiliarium, 1533-1540.
  • Tobias Verhaecht (Flamand, 1561-1631).
  • Gillis Congnet (Flamand, ca. 1538-1599), huile sur panneau, 1598, Musée de l’Hermitage, Saint-Pétersbourg.

Le dragon seul

Moyen Âge
  • Enluminure dans le Beatus de Saint-Sever, 1060-1070, Paris, Bibliothèque nationale, ms. lat. 8878.
Renaissance
  • Claes Brouwer (Hollandais), miniature d’une Bible d’Utrecht, ca. 1430, Bibliothèque royale, La Haye.
Période moderne
  • William Blake (Anglais, 1757-1827), aquarelle illustrant John Milton's « On the morning of Christ’s nativity », 1809, Whitworth Art Gallery, Université de Manchester.

Le combat entre l’archange Michel et le dragon

Moyen Âge
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Trêves, du Nord de la France, « La guerre dans le ciel » (enluminure, ca. 800, Stadtbibliothek, Trêves).
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Bamberg, Reichenau.
  • Le Maître d’Hildesheim a laissé un Saint Michel terrasse le dragon, miniature du missel de Stammheim (12e s.).
  • Anonyme maître français, « Saint Michel blesse le diable » (miniature sur vélin d’un livre d’Heures à l’usage de Paris, ca. 1400-1410, Bibliothèque royale, La Haye).
  • Pacino di Bonaguida, L’Apparition de saint Michel (Italien, ca. 1280-1340) oppose trois anges, dont Michel revêtu d’une armure, au Dragon et à sa cohorte de monstres. La scène se déroule sous un triple bandeau représentant symboliquement le ciel, surmonté de Dieu, entouré de ses séraphins, de ses chérubins et de ses autres anges ; apparaît également la Jérusalem céleste. La queue du monstre atteint le ciel et les anges, mais l’armée du dragon est confinée dans la partie droite de la miniature, repoussée par les anges vers l’abîme.
Renaissance
  • Albrecht Dürer, « Combat entre S. Michel et le dragon » (gravure sur bois, ca. 1496-1498).
  • Raphaël (Italien, 1483-1520), « L’Archange Michel et le dragon » (1505) ; « S. Michel foule aux pieds Satan » (huile sur toile, 1518, Musée du Louvre, Paris).
  • Annibale Carracci (Italien, 1560-1609), « S. Michel l’Archange » (huile sur panneau, volet gauche extérieur d’un triptyque, 1604-1605, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome).
  • Pieter Bruegel l’Ancien (Flamand, 1525-1569), La Chute des anges rebelles (huile sur panneau, 1562, Musée royal des beaux-arts, Anvers).
  • Luca Giordano (Italien, 1632-1705), « La chute des anges rebelles » (huile sur toile, 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienne).
Période moderne
  • Julius Schnorr von Carolsfelds (Allemand, 1794-1872), « Combat de Michel et des anges contre le dragon » (1851-1860, gravure dans Bibel in Bildern, réimpr. Leipzig : Wigand, 1906).
  • William Blake, Bataille des anges : Michel contre Satan (esquisse, ca. 1780, Musée et galerie Bolton, Lancashire).
  • Eugène Delacroix (Français, 1798-1867), « S. Michel vainc le diable » (huile et cire vierge sur plâtre, 1854-1861, église Saint-Sulpice, Paris).
Période contemporaine
  • Louis Caillaud d’Angers, « Il maîtrisa le dragon et l’enchaîna » : deux anges entourant le démon comme une main rouge mise derrière des barreaux.
  • Macha Chmakoff, retable de la série L’Apocalypse.
  • Ted Larson, « La guerre dans le ciel » (image digitale).

Texte

Genres littéraires

1–18 Genre apocalyptique Littérature de résistance, la littérature apocalyptique doit nourrir la solidarité de la communauté contre une culture hostile ; ici c'est l'espérance de la communauté qui est relevée par l’hymne de louange (Ap 12,10-12) et le récit de la chute de Satan et de ses coreligionnaires. En conséquence, le recours à un langage symbolique est aux antipodes d’un discours abscons réservé à quelques initiés.

Innutrition scripturaire

Nourris aux Écritures juives, lecteurs et auditeurs du 1er s. savent interpréter le septénaire (v.3bc) ou l’indication concernant la durée du temps de la persécution (v.6b.14c ; Tradition chrétienne passim ; Procédés littéraires Ap 12,6b).

Symbolisme familier

Les figures et représentations symboliques qui animent ce tableau céleste leur sont également familières, qu’il s’agisse du dragon comme symbole du Mal (Intertextualité biblique Ap 12,3b dragon), des contrastes chromatiques entre l’enveloppe solaire de la femme et la robe rouge du monstre polycéphale, ou de l’opposition entre le ciel et la terre. Un tel langage symbolique souligne l’intensité et la gravité du combat spirituel engagé et éveille le destinataire aux réalités d’en haut.

Contexte

Intertextualité biblique

2 SYMBOLE Enfantement messianique et eschatologique Les douleurs de l’enfantement sont un symbole prophétique de l'avènement d'une nouvelle ère (Is 21,3 ; 26,17 ; 66,7 ; Jr 4,31 ; 6,24 ; 13,21). Elles sont sont évoquées en particulier dans des contextes messianiques :

  • la naissance d’un peuple nouveau enfanté par Sion (Is 66,7-8) ;
  • des périodes difficiles, notamment celles qui préluderont à l’avènement du Messie (Is 13,8 ; Os 13,13)

La tradition évangélique fait abondant usage de ce symbolisme (Mt 24,8 ; Références en marge Mt 28,2a) et le concentre sur la geste pascale de Jésus, en le mobilisant pour raconter :

Propositions de lecture

1–18 Grand signe et combats au ciel La vision de la femme se présente comme un présage (semeion), un symbole à comprendre plus que comme la manifestation d'un être céleste spécifique.

Disposition

La vision se divise en deux mouvements :

  • d’abord deux tableaux : (1) apparition des deux « signes », révélant l’hostilité du dragon à l’égard de l’enfant et de la Femme (v.1-6), et (2) guerre dans le ciel entraînant la chute du dragon et de ses anges (v.7-12),
  • puis évocation du combat du dragon sur terre contre la femme (v.13-17a) et contre sa descendance (v.17bc).

Une séquence d’épisodes aussi grandioses ne pouvait que retenir l’attention des artistes, qui n’ont jamais cessé de les représenter dans des œuvres souvent spectaculaires témoignant à la fois de la riche imagerie du texte et des interprétations qu’en faisaient leurs époques. Arts visuels Ap 12,1–18

Sens

Dans la réception chrétienne, ce passage hautement symbolique (Genres littéraires Ap 12,1–18) a donné lieu à deux grands types d’interprétation :

  • spiritualiste : on appréhende le « signe grandiose » comme (1) la figure de l’Église, à laquelle se joint (2) une explication mariale. On peut aussi éclaircir le sens de cette vision en la rapportant (3) à l’âme contemplative. Littérature Ap 12,1–18 : Moyen Âge
  • historico-chronologique : on cherche à établir une correspondance systématique entre le contenu des récits de vision johanniques et les événements de l’histoire. Le principe de la « récapitulation » et, plus généralement, l’approche patristique qui considère le livre dans son ensemble comme une révélation sur la lutte que doit soutenir l’Église face au monde sont en grande partie délaissés au profit d’une lecture chronologique continue d’Ap, lue comme une prophétie livrant au commentateur inspiré le scénario précis des temps futurs. Tradition chrétienne passim ; Littérature Ap 12,1–18 : Renaissance

Texte

Procédés littéraires

1–18 Hypotypose, métonymie, synecdoque pour faire entrer au cœur de l’action surnaturelle Les deux occurrences du verbe « apparaître » (v.1a.3a) soulignent combien le voyant entre dans le cœur du mystère divin, des causes de l’histoire du monde : la femme et son enfantement messianique ; le dragon et son hostilité ; l’enfant, Christ vainqueur. L’amplification est rendue plus sensible grâce au cadre céleste de la vision et à sa dimension cosmique (la queue du dragon traîne le tiers des étoiles, v.4a). Les oppositions aspectuelles entre procès non limités (v.2 « crie », v.4a « traînait », v.4b « nourisse », …) et événements (v.1a « apparut », v.4b « jeta », v.5a « enfanta », …) ; le contraste chromatique entre l’éclat solaire de la femme et la robe rouge du dragon ; la métonymie à valeur méliorative désignant la femme grâce à sa couronne, à sa domination sur la lune et à son manteau ; la synecdoque dépréciative à propos du dragon, avec la monstruosité des sept têtes, soulignent le drame qui se joue.

1–18 Contrastes La dimension visionnaire du passage contraste avec l'accent placé par l'évangile de Jean sur l'écoute plutôt que sur la vision, cependant que l'emboîtement symbolique des personnages dans la femme en rappelle une constante littéraire. 

PROCÉDÉS VISUELS Hypotypose pour faire entrer au cœur de l’action surnaturelle

Les deux occurrences du verbe « apparaître » (v.1a.3a) soulignent combien le voyant entre dans le cœur du mystère divin, des causes de l’histoire du monde : la femme et son enfantement messianique ; le dragon et son hostilité ; l’enfant, Christ vainqueur.

  • L’amplification est rendue plus sensible grâce au cadre céleste de la vision et à sa dimension cosmique (la queue du dragon traîne le tiers des étoiles, v.4a).
  • Les oppositions aspectuelles entre procès non limités (v.2 « crie », v.4a « traînait », v.4b « nourrisse », …) et événements (v.1a « apparut », v.4b « jeta », v.5a « enfanta » …) ;
  • le contraste chromatique entre l’éclat solaire de la femme et la robe rouge du dragon ;
  • la métonymie à valeur méliorative désignant la femme grâce à sa couronne, à sa domination sur la lune et à son manteau ; la synecdoque dépréciative à propos du dragon, avec la monstruosité des sept têtes, soulignent le drame qui se joue.

IDIOLECTE JOHANNIQUE Emboîtement actantiel. La femme = Israël/Marie/l’Église

L'emboitement des personnages ou actants symbolisés par la Femme ressemble à celui qu'on trouve dans l'évangile de Jean : le prophète/le baptiste/l’évangéliste...

2.5 IDIOLECTE JOHANNIQUE L'enlèvement comme métaphore du mystère pascal ? L’enlèvement de l’enfant peut être compris comme une allusion à l’ascension de Jésus, mais dans la littérature johannique l’exaltation n’est pas dissociée de la mort et de la résurrection du Christ. Il s’agit ici d’un langage symbolique décrivant à la fois

  • la mort (les douleurs de l’enfantement qui décrivent la Passion en Jn 16,19-22)
  • et la résurrection (métaphorisée comme engendrement selon la citation de Ps 2,7 en Ac 13,33).

Ces versets évoquent de manière métaphorique le cœur du mystère pascal.

Réception

Théologie

1–5 Cohérence symbolique et dogmatique de l'interprétation mariale

La compassion de Marie

Outre le « sensus fidei » consulté via une enquête auprès des évêques du monde entier (Pie XII Munificentissimus Deus, 8-16) et l’unanimité des Pères et des auteurs ecclésiastiques (Ibid. 20-37), Pie XII s’appuie sur le lien intime qui unit les destinées de la Mère et du Fils, si lui est mort et ressuscité, elle aussi meurt et ressuscite :

  • Pie XII Munificentissimus Deus, 40. De là la vénérée Mère de Dieu, de toute éternité unie de manière cachée à Jésus-Christ dans un seul et même décret de prédestination,(47) immaculée dans sa conception, une vierge très parfaite dans sa divine maternité, la noble associée de le divin Rédempteur qui a remporté un triomphe complet sur le péché et ses conséquences, a finalement obtenu, comme l'aboutissement suprême de ses privilèges, qu'elle soit préservée de la corruption du tombeau et que, comme son propre Fils, ayant vaincu la mort, elle pourrait être élevée corps et âme à la gloire du ciel où, en tant que reine, elle siège dans la splendeur à la droite de son Fils, le Roi immortel des âges. 

Quid de ses soufrances ? 

Une objection à l’interprétation mariale traditionnelle (Tradition chrétienne Ap 12,1b une femme, Haymon d’Auxerre) estime que les souffrances de parturiente de la femme seraient incompatibles avec la foi en l’immaculée conception et la virginité perpétuelle et de Marie, avant, pendant et après son accouchement. L’objection est cependant dissipée si l’on interprète ces douleurs comme des figures de la compassion de Marie, annoncée par la prophétie de Siméon (Lc 2,35) et accomplie lors de la passion (cf. Jn 19,25-27). Appelée « femme » au pied de la croix (Jn 19,26), elle est ici désignée comme mère de tous les disciples qu’elle enfante dans la douleur (Ap 12,2).

La richesse du langage symbolique de l’Apocalypse ne s'oppose pas au réalisme de l'incarnation, ni l’interprétation ecclésiologique aux interprétations christologique et mariales, fondées dans la relation personnelle et organique entre le Christ-tête et l’Église, son corps, synthétisée dans la notion augustinienne de « Christ total » (cf. CEC 795-796).

Arts visuels

2 et elle criait dans les douleurs de l’enfantement  La dévotion des Sept Douleurs Selon le dogme marial, certains traits de la vision n’ont pas d’équivalent direct dans la vie de Marie. Cependant, les douleurs de l’enfantement peuvent être comprises comme les souffrances morales de la Mère de Jésus commémorées dans la dévotion populaire des « Sept Douleurs ».

Contemplation : Notre Dame des Sept Douleurs

Antonio Tempesta et Le Pomarancio (Niccolo Circignani), Les sept douleurs de la Vierge (fresque, 16e s.), rotonde

église Saint-Étienne, Rome (Italie) © Domaine public→

Cette miniature de la Renaissance qui représente les sept douleurs de la Vierge fait écho à la parole de Siméon : « …et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée… » (Lc 2,35). Vers le cœur de Marie sont pointées sept épées symboliques dont les pommeaux s’ornent de médaillons où sont représentées ses souffrances de « Mater Dolorosa » : 1. La prophétie de Siméon lors de la Présentation au Temple. 2. La fuite en Égypte. 3. La disparition de l’enfant Jésus resté au Temple avec les docteurs de la Loi. 4. Le portement de croix. 5. La crucifixion. 6. La descente de la croix. 7. La mise au tombeau. Cette dévotion populaire apparaît au 14e s., instituée par l’ordre des Servites de Marie, avec la récitation du chapelet pour les souffrances du peuple ravagé par les épidémies et les guerres.

Car c’est elle, la Mère de Dieu, qui « méditait tout cela en son cœur » : elle a la tête légèrement inclinée, les yeux clos, non pour conférer à l’œuvre une vision doloriste mais révéler aux hommes la force de la prière au cœur des épreuves. En effet la dominante bleue, couleur à la fois mariale et céleste, représente dans cette miniature la puissance du salut : au plus profond de la souffrance, Marie est cette figure de foi, d’espérance et de compassion… Sur ce chemin du calvaire, où ses sept douleurs répondent aux cinq plaies du Christ (les deux mains, les pieds, la couronne d’épines et le côté), elle nous accompagne vers la Pâque de son Fils… (Cf. P. J.-M. Nicolas)

Le thème de la Mater Dolorosa

Simon Marmion (ca. 1425-1489), Mater dolorosa  (huile sur panneau de bois, ca. 1480-1490), 44 × 30,5 cm

Musée Groeninge, Bruges (Belgique) © Domaine public→Jn 19

Le thème est si profond qu'un même peintre y revient à plusieurs reprises, par exemple :

Le Greco (1541-1614), Mater dolorosa (huile sur toile, ca. 1587-1590), 62 x 42 cm

Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne) © Domaine public→

Le Greco (1541-1614), Mater dolorosa (huile sur toile, ca. 1590), 52 × 36 cm

Musée des Beaux-Arts de Strasbourg (France) © Domaine public→

Le Titien (1490-1576), Mater dolorosa  (huile sur toile, 1554), 68 × 61 cm

musée du Prado, Madrid (Espagne) © Domaine public→