La Bible en ses Traditions

Apocalypse 12,1

Byz V S TR Nes

Et voici qu’un grand signe

Vmiracle apparut dans le ciel :

une femme revêtue du soleil, et la lune sous ses pieds

et sur sa tête une couronne de douze étoiles.

Sune couronne de douze étoiles sur sa tête. 

1bc soleil, lune et étoiles Gn 37,9 1b revêtue du soleil Ps 104,2 ; Ct 6,10 une femme Gn 3,15 1a signe Ap 12,3 ; 13,13-14 ; 15,1 ; 16,14 ; 19,20 ; Ex 7,11-12.22 ; Dt 13,1-3 ; Is 7,11-14 ; Mt 24,24 ; Mc 13,22 ; Ac 8,9-11 ; 2Th 2,9

Texte

Procédés littéraires

1a.3a.7a dans le ciel Anaphore Le recours à l’anaphore confère au récit sa force incantatoire (voir l’emploi des conjonctions kai « et »). À la vertu expressive de cette figure s’ajoute son effet amplificateur, caractéristique du style prophétique.

1a signe Anastrophe Mise en relief du sujet (ordre des mots marqué SVO) que l’on ne trouve plus au début du v.3 (ordre non marqué VSO).

Grammaire

1a apparut Passif divin Gr : ôphthê, litt. : « fut vu/rendu visible ». Le terme se retrouve dans le kérygme primitif (1Co 15,5-8) et les récits d’apparition du NT. Le grand signe ne fait pas qu’apparaître ; il est solennellement montré, rendu présent.

Procédés littéraires

1a.3b.9a.10a.12b.14a grand + forte — Polyptote Les six occurrences de l’adjectif megas (« grand », « fort ») soulignent la violence de l’opposition entre la puissance des forces du mal et la toute-puissance de Dieu.

1c douze Symbolisme du 12 dans Ap La valeur numérique 12 est récurrente dans la description de la nouvelle Jérusalem en Ap 21. Dans Ap le nombre 12 est aussi associé :

Réception

Liturgie

11,19–12,17 Liturgie latine : liturgie des Heures Texte lu à l’office des Lectures du commun de la Vierge Marie durant le Temps pascal.

11,19–12,10 Liturgie latine : lectionnaire Texte lu en première lecture lors de la messe de l'Assomption de la Vierge Marie, le 15 août.

1–17 Liturgie latine : liturgie des Heures Texte lu à l’office des Lectures de la fête des saints archanges Michel, Gabriel et Raphaël (29 septembre). Liturgie Ap 12,7–12

Tradition chrétienne

1b revêtue du soleil

= l'éclat de la vie éternelle

= l’éclat du Verbe

= l’infinie clémence de Marie

  • Bernard de Clairvaux Serm. sanct. (Sermon pour le dimanche dans l'octave de l'assomption de la Vierge Marie) « [...] de même que le soleil se lève indifféremment sur les bons et sur les méchants, ainsi Marie ne fait point une question de nos mérites passés ; elle se montre pour tous [...] très clémente ; elle enveloppe d’un immense sentiment de commisération les misères de tous les hommes. »

= l’âme contemplative

  • Bonaventure Coll. Hex. 20 « L’âme contemplative est “revêtue du soleil” par la considération de la Monarchie céleste qui est la principale [part de la contemplation]». Demeure de Dieu, l’âme contemplative est « pleine de lumières », et « ne détourne jamais son regard de la lumière. »

1c douze étoiles

= les patriarches

= les douze tribus

D’autres commentateurs dispensationalistes, comme McArthur, voient plutôt dans ces étoiles une allusion aux douze tribus d’Israël.

= les douze apôtres

= douze mystères

  • Bonaventure Coll. Hex. 2 « Après, [quand elle descend à] la considération des illuminations hiérarchiques, l’âme [contemplative] est comme “possédant douze étoiles”. Ces étoiles sont les douze mystères qui doivent être dévoilés, signifiés par douze signes à venir, lesquels sont les signes des élus. » Le récit de vision johannique montre l’âme contemplative s’ouvrant aux signes prophétiques.

= l'éclat de l'Église

  • Méthode d'Olympe Symp. 185-186 : Les étoiles qui ceignent le front de l'Église comme une « parure » signifient son élection.

= douze fruits de l’Esprit

  • Hugues de Saint-Cher Post. (d’après V-Ga 5,22-23) « la charité, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté, la longanimité, la mansuétude, la foi, la modestie, la continence, la chasteté ».

1b la lune sous ses pieds

= le baptême

  • Méthode d'Olympe Symp. 186-188 : La lune est placée sous les pieds de la femme car l’Église « doit nécessairement présider au bain (baptismal) comme étant la mère de ceux qui y sont baignés». Purifiés et renouvelés dans ce bain, ces derniers brillent désormais, à l’instar de la lune, «d’une lumière neuve» (cf. André de Césarée Comm. Ap.).

= la Loi de Moïse

  • Ps.-Oecumenius Comm. Ap. : L’incarnation marque le déclin de la Loi, symbolisée précisément par la lune parce qu’elle reçoit sa lumière du soleil, le Christ.
  • Hammond Annot. NT : Le soleil représente la religion chrétienne et la lune la Loi mosaïque.

= l’instabilité des choses terrestres

  • Primase d'Hadrumète Comm. Ap. : La lune est le symbole de la corruption, de l’instabilité et de la fragilité que foule aux pieds l’Église.
  • Bruno de Segni Exp. Ap. : La lune est le symbole de la faiblesse, de l’inconstance et du monde, que l’Église piétine, elle qui « désire ardemment les seules choses célestes ».
  • Denys le Chartreux Enarr. Ap. « Par la lune, à cause de sa variation continuelle, on désigne l’instabilité des affaires du monde, ou les richesses terrestres, ou bien le monde lui-même, trompeur et glissant».
  • Bossuet Ap. : Les lumières douteuses et changeantes de la sagesse humaine.

= la gloire du monde

  • Bède le Vénérable Exp. Ap. « L’Église du Christ revêtue du soleil foule aux pieds la gloire du monde. » À partir du Ps 72,7, Bède souligne que ce signe marque l’avènement du règne messianique, règne de justice et de paix : « [...] en ses jours, est-il dit, s’élèvera la justice et une abondance de paix, jusqu’à ce que la lune disparaisse entièrement. C’est-à-dire l’abondance de la paix s’élèvera à tel point qu’elle dissipera toute la fragilité liée à notre condition mortelle, “lorsque le dernier ennemi détruit sera la mort” (1Co 15,26). »

= les Écritures

  • S’il admet l’interprétation selon laquelle la lune désigne le monde, Bérangaud Exp. vis. en avance une autre, qui lui semble meilleure : « Comme la lune éclaire la nuit, il me semble préférable que, par la lune, nous comprenions l’Écriture sainte, sans la lumière de laquelle, dans la nuit de ce monde, nous n’avons pas la force d’avancer par les chemins de la justice. Au sujet de cette lumière, le psalmiste déclare : “Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière dans mes sentiers” (Ps 119,105). »

= l’Église militante

  • Bonaventure Coll. Hex. 20 « Quand l’âme descend à la considération de l’Église militante, elle “a la lune sous les pieds”, non en la foulant, mais parce qu’elle se fonde et s’appuie sur l’Église. De fait, il n’y a pas d’âme contemplative sans le soutien de l’Église comme base. »

= Israël

  • Pour Darby, le soleil représente la gloire souveraine, la lune l’ancien système symbolique d’Israël (1Ch 23,31 ; 2Ch 2,3 ; Esd 3,5) et les douze étoiles la puissance de l’homme parfaitement développé.

= le monde musulman

  • Wesley Expl. NT : Le soleil représente le monde chrétien, tandis que la lune représente le monde musulman et la couronne de douze étoiles les douze tribus d’Israël.

Littérature

1–18

Moyen Âge

La femme

Au Moyen Âge l’image de la Femme revêtue du soleil se réfère à la Vierge Marie, à l’Église, ou encore à l’âme chrétienne.

  • Marie. Dante (Comédie : Le Paradis 31,118-129) décrit Marie comme une reine qui, comme le soleil, est plus brillante que toutes les autres ; de même, le poème sacré Quia amore langueo.
  • L’Église. La figure de la Dame Sainte Église dans le poème moyen-anglais Piers Plowman.
  • L’Âme. La demoiselle au centre du poème moyen-anglais Pearl.
Le dragon

Les deux grandes tendances de l’interprétation du dragon jusqu’à l’époque moderne sont d’y voir la force du mal en général ou bien de l’identifier — avec chacune de ses sept têtes — à des personnages historiques ou contemporains, souvent à des fins polémiques. La victoire sur le dragon est normalement attribuée à l’archange Michel, à saint Georges ou à un autre saint.

Renaissance

À l’époque de la Réforme, Ap 12 est sollicité dans la littérature polémique confessionnelle, où l’on prend des options tranchées pour l’une ou l’autre des interprétations traditionnelles de la Femme : les protestants l’interprètent comme la vraie Église (réformée), tandis que les catholiques y voient Marie conçue sans le péché originel et transportée dans les cieux où elle règne. Quant au dragon, il est régulièrement pris par les protestants pour une allégorie de l’Église catholique, de la papauté ou des puissances catholiques d’Europe.

  • La vraie Église. Agrippa d’Aubigné (1552-1630) voit dans la Femme qui s’enfuit dans le désert l’Église des vrais témoins (réformés) que le dragon de la Rome pontificale tourmente (Les Tragiques ; Petites œuvres meslées). À l’inverse, Étienne Jodelle (1532-1573) considère que les anges rebelles sont les réformés. Dans le premier livre du Faërie Queene par Edmund Spenser (ca. 1552-1599) la figure d’Una représente la vraie Église (réformée) et celle de Duessa la fausse catholique. Le royaume de ses parents est assiégé d’un « énorme grand Dragon horrible à voir ». Le combat entre saint Georges et le dragon est évoqué à plusieurs reprises dans le poème.
  • Marie. La poésie d’inspiration liturgique de la poétesse Anne de Marquets (1533-1588) convoque le récit de la vision de la Femme pour célébrer le « Jour de l’Assumption Nostre Dame ».
  • La Guerre dans le ciel. Elle est racontée par John Milton (1608-1674) dans le livre 6 de son Paradise Lost, où la victoire finale est attribuée au Fils de Dieu. Lazare de Selve (†1622) chante le chef des armées célestes lors de la fête de la Saint-Michel.

Époque moderne

  • La femme. L’interprétation polémique confessionnelle continue d’être appliquée jusqu’au début du 19e s. : Jonathan Swift (1667-1745) l’identifie avec l’Église anglicane menacée par les «Dissenters » (Examiner, no. 21) ; William Blake (1757-1827) y voit l’Église non pas seulement chrétienne mais vraiment universelle (Vision of the Last Judgment).
  • Depuis, il y a un retour à une vision révélatrice de la Femme, pas toujours orthodoxe. On pense surtout à la Mater gloriosa à la fin de la deuxième partie du Faust de Goethe (1749-1832) : « L’Éternel Féminin nous attire là-haut. »
  • La Guerre dans le ciel. Le récit de la grande vision céleste d’Ap 12 hante encore les œuvres de Joseph Freiherr von Eichendorff (1788-1857).

Époque contemporaine

  • La femme. David Herbert Lawrence interprète le « prodige féminin » dans une perspective antichrétienne, comme la représentation de la « grande déesse de l’Orient, la grande Mère, celle qui devint la Magna Mater des Romains » (Apocalypse, 1929).
  • La Guerre dans le ciel. Carlo Levi (1902-1975), Le Christ s’est arrêté à Eboli. Le dragon apocalyptique et la Bataille cosmique entre êtres sur-humains apparaissent sous des formes diverses dans la littérature de fantaisie, notamment de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) et dans les œuvres de science-fiction.

Musique

1–18 Interprétations du combat céleste

  • Marc-Antoine Charpentier, Proelium Michaelis Archangeli H 410 (fin 17e siècle).
  • Johann Sebastian Bach, Es erhub sich ein Streit (Cantate BWV 19 pour la fête de Saint-Michel).
  • Franz Schmidt, Das Buch mit sieben Siegeln (oratorio 1937 : un passage au centre).
  • Jean Françaix, L’Apocalypse selon saint Jean (oratorio 1939 : 3e partie, début).
  • Hilding Rosenberg, Johannes Uppenbarelse (oratorio suédois 1940, scène 2).
  • Lucien Deiss, Voici qu’apparut dans le ciel (chant liturgique polyphonique, cote V73, 1960).

Cinéma

1,1–22,21 Allusions à l'Apocalypse

  • Ingmar Bergman, Det sjunde inseglet [« le septième sceau »] (1957).
  • Vincente Minnelli, The Four Horsemen of the Apocalypse (1961).
  • Andrei Tarkovski, Offret [« le sacrifice »] (1985).
  • Peter Jackson, The Lord of the Rings (en particulier le 3e film, 2003).

Arts visuels

1–18 Depuis le Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, on n’a cessé de représenter des épisodes d’Ap 12. Les sujets principaux sont la femme revêtue du soleil (avec ou sans son enfant [avec ou sans assimilation à la Vierge et à l’Enfant Jésus] et avec ou sans le dragon), et le combat entre l’archange Michel et le dragon (avec ou sans accompagnement d’autres anges rebelles et avec ou sans représentation de la chute en enfer, autre thème iconographique : Arts visuels Is 14,12–15). Vu le très grand nombre d’œuvres qui traitent d’Ap 12, on ne peut donner ici qu’une présentation des plus célèbres, par sujet et par période, en évoquant les grands moments de la réception d’Ap dans les arts visuels.

La femme revêtue du soleil et le dragon

Moyen Âge

Aux approches de l’an mille, beaucoup crurent en une prochaine fin du monde, et l’on se tourna vers l’Apocalypse pour essayer de déchiffrer les signes des temps. La création artistique autour du texte atteint une première apogée, dont témoignent plusieurs chefs-d’œuvre de l’enluminure.

  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Valenciennes (Allemagne, premier quart du 9e s.), « Vision de la femme et du dragon » et « Le dragon poursuivant la femme qui reçoit les ailes » (miniature en pleine page, Abbaye de Saint-Amand, Bibliothèque municipale de Valenciennes, ms. 0099, f. 024). Cette Apocalypse figurée présente trente-neuf peintures, exécutées avant la transcription du texte. Le dessin et le coloriage un peu primitifs mais très expressifs sont encadrés de grecques et d’entrelacs, et accompagnés d’une légende empruntée au texte de l’Apocalypse.
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Bamberg, « L’arche de l’alliance, la femme (et l’enfant) et le dragon » et « Le dragon poursuit la femme dans le désert » (miniatures, ca. 1000-1020, Reichenau, Staatsbibliothek, Bamberg). Cette Apocalypse est l’un des manuscrits à peintures les plus somptueux du Moyen Âge, probablement commandé par Otton III (†1002) et offert à l’abbaye collégiale de Saint-Étienne de Bamberg en 1020 par l’empereur Henri II. Les 106 feuillets du codex présentent tout un cycle de 57 miniatures sur fond d’or et 100 initiales dorées.

Les enluminures des 10e et 11e s. illustrant le Commentaire de l’Apocalypse écrit quelques décennies après l’invasion musulmane de l’Espagne (fin du 8e s.) par Beatus, moine du monastère de Saint-Martin de Liébana (Asturies) sont particulièrement célèbres. Alors qu’Ap est désormais le livre de la résistance chrétienne à l’Islam, l’enluminure mozarabe déploie ses trésors de couleurs et de formes pour l’actualiser. On connaît une trentaine de manuscrits enluminés dont le Beatus de Facundus, le Beatus de Valcavado (vers 970, 97 enluminures peintes par Oveco pour l’abbé Semporius : Valladolid, Biblioteca de la Universidad, ms. 433 ex ms. 390), le Beatus d’Osma (71 enluminures dues au peintre Martinus, cathédrale de El Burgo d’Osma, Beatus 1086, Cod. 1), le Beatus de Piermont Morgan (Beatus de San Miguel de Escalada, près de León, vers 960, 89 enluminures peintes par Magius, archipictor, ms. 644, Pierpont Morgan Library, New York).

  • Facundus, Beatus de León (11e s., commandé par Ferdinand Ier et la reine Sanche, 98 enluminures, ms. Vit. 14.2, Biblioteca Nacional de Madrid) : « Combat apocalyptique » (miniature sur une double-page). Un immense serpent polycéphale envahit l’espace central, quatre de ses têtes menacent la femme qui enfante, une autre vomit le fleuve destiné à l’engloutir, deux autres encore affrontent en vain les anges. Balayant le ciel, la queue du monstre fait tomber le tiers des étoiles, figures des séides que des anges précipitent dans l’abîme, où Satan poursuit son œuvre au noir, mais enferré dans une cage de torture, étranglé par la corde rouge de ses crimes, et prisonnier à jamais des ténèbres. Le soleil est placé sur le ventre de la femme céleste, figure de l’Église, dont « l’enfant mâle » est aussitôt transporté auprès de Dieu.
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Silos (ca. 1091-1109, San Sebastián de Silos, ms. add. 11695, British Library, Londres), « L’arche de l’alliance, la femme (et l’enfant) et le dragon » et « Le dragon poursuit la femme dans le désert ».

Au cours du Moyen Âge, l’Apocalypse s’échappe du livre pour envahir l’espace visuel sur d’autres supports, par exemple :

  • la sculpture monumentale : Anonyme, bas-relief de la femme et du dragon (demi-médaillon provenant de l’église Saint-Rieul de Senlis, fin du 12e s., Musée du Louvre) : le dragon a déjà les jambes de l’enfant entre ses crocs.
  • le vitrail, par exemple le grand vitrail de l’Apocalypse de la cathédrale de Bourges (entre 1215 et 1225).
  • la peinture à fresque : Giusto de Menabuoi (italien, ca. 1320-1397), « Le dragon cherche à dévorer l’enfant » (fresque, 1376-1378, baptistère de la cathédrale de Padoue).
  • la tapisserie : Nicolas Bataille (lissier), Robert Poisson (fabricant), d’après des cartons de Hennequin (ou Jean) de Bruges (peintre du roi de France Charles V, Tapisserie de l’Apocalypse (tapisserie de lisse en laine, 14e s., Château d’Angers). L’une des œuvres les plus célèbres consacrées à Ap, c’est la plus grande tapisserie d’art médiévale connue (103 m de long, 4,5 m de large). Commandée par Louis Ier d’Anjou et achevée en 1382 elle fut offerte par le roi René à la cathédrale d’Angers au 15e s. Six des sept pièces nous sont parvenues, chaque pièce comprenait originalement 14 tableaux répartis sur deux registres, avec en tête de chaque pièce un personnage sous un baldaquin qui introduit le spectateur à la lecture allégorique des visions. Ap 12 est illustrée dans la troisième pièce. Registre supérieur : « La femme revêtue du soleil ». La femme et le dragon sont dans deux espaces chromatiques bien séparés, seule la tête principale du dragon sort de son espace rouge pour faire irruption dans le bleu céleste de la femme et de son enfant, mais les anges ont déjà saisi les mains de l’enfant. Registre inférieur : « Saint Michel combat le dragon » ; « La femme reçoit des ailes » ; « Le dragon poursuit la femme ».
Renaissance
  • Albrecht Dürer (Allemand, 1471-1528), « La femme et le dragon » ; « Dieu le Père préside sur la scène et bénit la femme » (gravure sur bois, dans la série Apocalypsis cum figuris, ca. 1496-1498). Ces gravures marquent un profond renouvellement dans le traitement du motif. La planche inaugurale représente le voyant en extase contemplant la femme céleste couronnée, qui porte son enfant dans ses bras. Sa silhouette n’est pas entière et la lune en souligne la partie inférieure. D’emblée est ainsi signifiée la vision centrale du livre : l’Église-mère qui, triomphante, victorieuse de l’ennemi — absent de cette gravure —, apporte l’espérance et réaffirme la réalisation de la promesse de salut faite par Dieu aux fidèles témoins. Sur la planche d’Ap 12, on découvre une femme ailée sereine, que touchent pourtant l’une des gueules du dragon menaçant ainsi qu’une de ses couronnes et de ses cornes. Le monstre rampant sort de l’abîme en feu, qui figure à la fois sa nature infernale et sa geôle éternelle, tandis que sa queue s’élève dans le ciel pour en balayer le tiers des étoiles. L’« enfant mâle » est porté par deux anges vers le Père, qui le bénit.

L’œuvre de Dürer est la première Apocalypse imprimée. L’image y tient la première place, le texte n’apparaissant qu’au verso de chacune des gravures. L’artiste imprime lui-même ses planches sans répondre à une commande, prenant un risque financier qui témoigne de son engagement personnel. À l’époque où il grave son Apocalypsis cum figuris, Dürer n’a que 27 ans, mais il est habité par la foi tourmentée qui précède la Réforme. Il appose son monogramme au bas de chacune de ses images. L’œuvre le rend célèbre : Érasme et Alberti la commentent, et Cranach s’en inspire pour illustrer l’Apocalypse du Nouveau Testament de Luther. En France, Jean Duvet s’en inspire aussi pour une Apocalypse gravée en 1556.

  • Anonyme, illustrateur des écrits de l’époque de la Réforme protestante, série d’illustrations de plusieurs épisodes d’Ap 12 montrant la femme et le dragon (gravure sur bois dans Martin Luther, Das Newe Testament Deutzsch, 1522).
Période moderne
  • Pierre-Paul Rubens (Flamand, 1577-1640), « La Vierge comme la femme de l’Apocalypse » (huile sur panneau, ca. 1623-1624, Musée J. Paul Getty, Los Angeles). Esquisse pour un autel commandé par le prince-évêque Veit Adam Gepeckh von Arnsbach pour la cathédrale de Freising, c’est un bel exemple de lecture théologique du passage, mis en rapport avec le « Protévangile » de V-Gn 3,15. La Vierge Marie au centre tient l’enfant Jésus et écrase du pied le serpent enroulé autour de la lune, tandis que Michel et ses anges repoussent dans l’abîme le démon et ses anges. Tout en haut, Dieu le Père donne aux anges l’ordre de donner à la Vierge une paire d’ailes.
  • Matthias Scheits (Allemand, ca. 1630-1700) combine trois scènes de l’Apocalypse : « Un ange donne à Jean le petit rouleau (devant) » ; « L’enfant de la femme sauvé du dragon » (centre) ; « Les témoins enlevés dans le ciel » (fond) (gravure sur bois, dans Martin Luther, Biblia, das ist: Die gantze H. Schrifft Alten und Newen Testaments, Deutsch, Lünenburg, 1672).
  • William Blake (Anglais, 1757-1827), « Le grand dragon rouge menaçant la femme revêtue du soleil » (aquarelle, ca. 1803-1805, Musée de Brooklyn, New York) ; « La femme ailée s’enfuit du dragon » (aquarelle, ca. 1805, National Gallery of Art, Washington).
  • Joseph Severn (Anglais, 1793-1879), « L’enfant sauvé du dragon » (huile sur toile, ca. 1827-1831/1843, Tate Collections, Londres).
  • Gustave Doré (Français, 1832-83), « La Vierge couronnée, une vision de Jean» (gravure dans La Sainte Bible, Paris : Mame, 1866).
  • Odilon Redon (Français, 1840-1916), Apocalypse de saint Jean (album de 12 planches et frontispice, tir. 100 exemplaires, publié par Ambroise Vollard, Paris, 1899), témoigne d’une inspiration à la fois orientale (femme enveloppée de soleil) et médiévale (l’ange, la chaine à la main).
Période contemporaine

Les grands massacres et les profondes interrogations sur l’avenir du monde qui ont endeuillé le siècle de la bombe atomique ont été propices à la reprise du thème de l’Apocalypse. Au tournant du siècle, l’avant-garde expressionniste allemande mêle attente apocalyptique et expressivité artistique : des peintres comme Franz Marc, Vassili Kandinsky, Max Beckmann et Ludwig Meidner se réfèrent explicitement au livre biblique. S’ils ne représentent pas de visions d’Ap 12 en particulier, ils orientent toutefois la réception picturale d’Ap dans deux directions. (1) Chez Kandinsky, le thème de l’Apocalypse s’accompagne d’une recherche spirituelle et esthétique. Selon lui, seule une « purification cataclysmique » pourrait libérer le spirituel enfermé dans le réel. Le passage par la thématique tourmentée d’Ap lui permet d’évoluer à travers l’explosion des couleurs et des formes, vers l’abstraction. (2) Chez d’autres, comme Beckmann et Meidner, Ap suscite un mode de pensée mêlant provocation et révolution, annonçant une ère nouvelle de la pensée et de l’action. Influencés par des catastrophes contemporaines (comme le tremblement de terre sicilien de 1908), à partir de 1909 et 1912, ils composent des toiles inspirées d’Ap, de plus en plus violentes à la veille du conflit mondial.

Parmi les artistes revenus de la Seconde Guerre mondiale :

  • Jean Lurçat (Français, 1892-1966), « La femme et le dragon » (1947, tapisserie d’Aubusson, 4,50m x 12,40m, chœur de l’église du plateau d’Assy, Haute-Savoie), très inspiré par la Tapisserie d’Angers, mais aussi par les peintures romanes, l’artiste présente une vision tourbillonnant dans un flamboiement de formes en noir et blanc, avec des couleurs alternées.

À notre époque, Ap ne cesse d’inspirer les artistes visuels. Dans un registre expressionniste, on peut citer :

  • Louis Caillaud d’Angers (Français, 1911-2007, co-fondateur du groupe Figure et Synthèse), L’Apocalypse, 40 aquarelles et tableaux, 1983-1984, représentant tous les motifs d’Ap 12 dans un registre expressionniste et lyrique.
  • Macha Chmakoff (Française, 1952-), « Le dragon se posta devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance » (du Retable de l’Apocalypse en 13 tableaux, s.d.), plus symboliste.
  • Pat Marvenko-Smith (Américaine, s.d.), Apocalypse Art Gallery, 35 images→ (1982-1992) alliant les esthétiques de la bande dessinée et du surréalisme dans un but didactique de prédication.

Les techniques digitales permettent de maximaliser à la fois le réalisme et l’onirisme des visions de Jean :

  • Ted Larson (°1961), « L'enfant emporté dans le ciel » (image digitale).
  • David Miles (°1944), « La femme menacée par le dragon » (image de la série Apocalyptic Images→ — Digitally Created Figurative Interpretation of the Word Images Presented in the Book of Revelation, Birmingham Institute of Art and Design, Birmingham).

Dans le registre abstrait :

  • Jacques Gassman (Allemand, 1963-), Apocalypse, 1989-1992, 32 peintures en noir et blanc, et encres de couleur (Hanns-Lilje Foundation, Hanovre, Allemagne, avec le Sprengel Museum de Hanovre).

La femme seule ou avec l’enfant

Moyen Âge
  • Beatus de Piermont Morgan.
  • Anonyme maître anglais, Dyson Perrins Apocalypse (détrempe et or sur parchemin, ca. 1255-1260, J. Paul Getty Museum, Los Angeles).
  • Anonyme ùaître polonais, « Vierge et enfant revêtus du soleil » (détrempe sur panneau, ca. 1450-1460, église paroissiale, Przydonica).
Renaissance
  • Matthias Grünewald (Allemand, ca. 1470-1528), « Marie avec le soleil sous ses pieds » (craie noire, ca. 1520, Musée Boymans-van Beuningen, Rotterdam).
  • Le Greco (Domenikos Theotokopoulos, Grec-Espagnol, 1541-1583), «La Vierge de l’Immaculée Conception et S. Jean » (huile sur toile, ca. 1585, Musée de Santa Cruz, Tolède).
Période contemporaine
  • Salvador Dalí (Espagnol, 1904-1989), Mulier amicta sole (lavis), parmi les 105 lithographies des lavis originels de 1964-1967 illustrant Biblia Sacra, Rome : Rizzoli, 1969.
  • Ted Larson, « La femme en travail » (image digitale).
  • Abbé Bernard Chardon (Apocalypse, Laval : Siloe, 1990) : 54 lavis plus poèmes et commentaires (p. 64-65 : la femme couronnée d’étoiles).

La femme et l’enfant dans la vision de Jean sur Patmos

Ce sujet semble avoir intéressé surtout les artistes de la Renaissance.

  • Giotto di Bondone (Italien, 1267-1337), Scènes de la vie de saint Jean l’Évangéliste, fresque, 1320, Santa Croce (Chapelle Peruzzi), Florence.
  • Donatello (Italien, 1386-1466), stuc polychrome, 1428-1443, San Lorenzo, Florence.
  • Jérôme Bosch (Hollandais, ca. 1450-1516), huile sur chêne, 1504-1505, Staatliche Museen, Berlin.
  • Albrecht Dürer, gravure sur bois (page de garde de la 2e éd. latine de L’Apocalypse, 1511).
  • Anonyme illustrateur d’écrits de l’époque de la Réforme protestante, gravure sur bois dans Johann Eck, Tomus Tertius Homiliarium, 1533-1540.
  • Tobias Verhaecht (Flamand, 1561-1631).
  • Gillis Congnet (Flamand, ca. 1538-1599), huile sur panneau, 1598, Musée de l’Hermitage, Saint-Pétersbourg.

Le dragon seul

Moyen Âge
  • Enluminure dans le Beatus de Saint-Sever, 1060-1070, Paris, Bibliothèque nationale, ms. lat. 8878.
Renaissance
  • Claes Brouwer (Hollandais), miniature d’une Bible d’Utrecht, ca. 1430, Bibliothèque royale, La Haye.
Période moderne
  • William Blake (Anglais, 1757-1827), aquarelle illustrant John Milton's « On the morning of Christ’s nativity », 1809, Whitworth Art Gallery, Université de Manchester.

Le combat entre l’archange Michel et le dragon

Moyen Âge
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Trêves, du Nord de la France, « La guerre dans le ciel » (enluminure, ca. 800, Stadtbibliothek, Trêves).
  • Anonyme illustrateur de L’Apocalypse de Bamberg, Reichenau.
  • Le Maître d’Hildesheim a laissé un Saint Michel terrasse le dragon, miniature du missel de Stammheim (12e s.).
  • Anonyme maître français, « Saint Michel blesse le diable » (miniature sur vélin d’un livre d’Heures à l’usage de Paris, ca. 1400-1410, Bibliothèque royale, La Haye).
  • Pacino di Bonaguida, L’Apparition de saint Michel (Italien, ca. 1280-1340) oppose trois anges, dont Michel revêtu d’une armure, au Dragon et à sa cohorte de monstres. La scène se déroule sous un triple bandeau représentant symboliquement le ciel, surmonté de Dieu, entouré de ses séraphins, de ses chérubins et de ses autres anges ; apparaît également la Jérusalem céleste. La queue du monstre atteint le ciel et les anges, mais l’armée du dragon est confinée dans la partie droite de la miniature, repoussée par les anges vers l’abîme.
Renaissance
  • Albrecht Dürer, « Combat entre S. Michel et le dragon » (gravure sur bois, ca. 1496-1498).
  • Raphaël (Italien, 1483-1520), « L’Archange Michel et le dragon » (1505) ; « S. Michel foule aux pieds Satan » (huile sur toile, 1518, Musée du Louvre, Paris).
  • Annibale Carracci (Italien, 1560-1609), « S. Michel l’Archange » (huile sur panneau, volet gauche extérieur d’un triptyque, 1604-1605, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome).
  • Pieter Bruegel l’Ancien (Flamand, 1525-1569), La Chute des anges rebelles (huile sur panneau, 1562, Musée royal des beaux-arts, Anvers).
  • Luca Giordano (Italien, 1632-1705), « La chute des anges rebelles » (huile sur toile, 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienne).
Période moderne
  • Julius Schnorr von Carolsfelds (Allemand, 1794-1872), « Combat de Michel et des anges contre le dragon » (1851-1860, gravure dans Bibel in Bildern, réimpr. Leipzig : Wigand, 1906).
  • William Blake, Bataille des anges : Michel contre Satan (esquisse, ca. 1780, Musée et galerie Bolton, Lancashire).
  • Eugène Delacroix (Français, 1798-1867), « S. Michel vainc le diable » (huile et cire vierge sur plâtre, 1854-1861, église Saint-Sulpice, Paris).
Période contemporaine
  • Louis Caillaud d’Angers, « Il maîtrisa le dragon et l’enchaîna » : deux anges entourant le démon comme une main rouge mise derrière des barreaux.
  • Macha Chmakoff, retable de la série L’Apocalypse.
  • Ted Larson, « La guerre dans le ciel » (image digitale).

Contexte

Littérature péritestamentaire

1b une femme Autres femmes symboliques des visions apocalyptiques

Symbole de l'Église à la fois antique et toujours jeune

Symbole de Jérusalem et du peuple élu

Texte

Genres littéraires

1–18 Genre apocalyptique Littérature de résistance, la littérature apocalyptique doit nourrir la solidarité de la communauté contre une culture hostile ; ici c'est l'espérance de la communauté qui est relevée par l’hymne de louange (Ap 12,10-12) et le récit de la chute de Satan et de ses coreligionnaires. En conséquence, le recours à un langage symbolique est aux antipodes d’un discours abscons réservé à quelques initiés.

Innutrition scripturaire

Nourris aux Écritures juives, lecteurs et auditeurs du 1er s. savent interpréter le septénaire (v.3bc) ou l’indication concernant la durée du temps de la persécution (v.6b.14c ; Tradition chrétienne passim ; Procédés littéraires Ap 12,6b).

Symbolisme familier

Les figures et représentations symboliques qui animent ce tableau céleste leur sont également familières, qu’il s’agisse du dragon comme symbole du Mal (Intertextualité biblique Ap 12,3b dragon), des contrastes chromatiques entre l’enveloppe solaire de la femme et la robe rouge du monstre polycéphale, ou de l’opposition entre le ciel et la terre. Un tel langage symbolique souligne l’intensité et la gravité du combat spirituel engagé et éveille le destinataire aux réalités d’en haut.

Propositions de lecture

1–18 Grand signe et combats au ciel La vision de la femme se présente comme un présage (semeion), un symbole à comprendre plus que comme la manifestation d'un être céleste spécifique.

Disposition

La vision se divise en deux mouvements :

  • d’abord deux tableaux : (1) apparition des deux « signes », révélant l’hostilité du dragon à l’égard de l’enfant et de la Femme (v.1-6), et (2) guerre dans le ciel entraînant la chute du dragon et de ses anges (v.7-12),
  • puis évocation du combat du dragon sur terre contre la femme (v.13-17a) et contre sa descendance (v.17bc).

Une séquence d’épisodes aussi grandioses ne pouvait que retenir l’attention des artistes, qui n’ont jamais cessé de les représenter dans des œuvres souvent spectaculaires témoignant à la fois de la riche imagerie du texte et des interprétations qu’en faisaient leurs époques. Arts visuels Ap 12,1–18

Sens

Dans la réception chrétienne, ce passage hautement symbolique (Genres littéraires Ap 12,1–18) a donné lieu à deux grands types d’interprétation :

  • spiritualiste : on appréhende le « signe grandiose » comme (1) la figure de l’Église, à laquelle se joint (2) une explication mariale. On peut aussi éclaircir le sens de cette vision en la rapportant (3) à l’âme contemplative. Littérature Ap 12,1–18 : Moyen Âge
  • historico-chronologique : on cherche à établir une correspondance systématique entre le contenu des récits de vision johanniques et les événements de l’histoire. Le principe de la « récapitulation » et, plus généralement, l’approche patristique qui considère le livre dans son ensemble comme une révélation sur la lutte que doit soutenir l’Église face au monde sont en grande partie délaissés au profit d’une lecture chronologique continue d’Ap, lue comme une prophétie livrant au commentateur inspiré le scénario précis des temps futurs. Tradition chrétienne passim ; Littérature Ap 12,1–18 : Renaissance

1b une femme L'Église et la Vierge Marie La Femme enveloppée du soleil est, au sens littéral, non seulement Israël-l’Église mais aussi Marie (Tradition chrétienne Ap 12,1b une femme). À l’échelle de l’ensemble du corpus johannique, la mère de Jésus est à la fois un personnage historique et un symbole de la communauté (non seulement d’Israël mais aussi de l’Église), et ce dès le commencement.

Dans Jean

L’Évangile selon Jean ne mentionne jamais Marie par son nom, comme pour suggérer que son statut est plus qu’historique (usage analogue à celui de l’expression « le disciple que Jésus aime » pour donner à celui-ci une valeur d’exemple ou de modèle plus général). Elle suscite le premier des « signes » de Jésus, l’amenant à manifester sa gloire et à faire naître la foi chez ses disciples (Jn 2,1-5). Elle reçoit le disciple que Jésus aime comme son fils et elle lui est donnée comme sa mère (Jn 19,25-27). Cette adoption fait des serviteurs et amis de Jésus (Jn 15,15) ses frères (Jn 20,17).

Dans l'Apocalypse

Réciproquement, en Ap 12, la Femme, qui symbolise la communauté (Israël-l’Église), met au monde l’enfant messianique (v.2.5). Si l’enfant peut être identifié à Jésus, sa mère peut aussitôt être identifiée à Marie. De plus, les disciples de Jésus sont également les enfants de la Femme (v.17).

Mais les traits qui décrivent cette « Femme » gardent toute leur dimension figurative : « les supplice pour accoucher » (v.2b), par exemple, ne saurait s’appliquer ni à Marie, ni à l’Église, de façon littéraliste.

Procédés littéraires

1–18 Hypotypose, métonymie, synecdoque pour faire entrer au cœur de l’action surnaturelle Les deux occurrences du verbe « apparaître » (v.1a.3a) soulignent combien le voyant entre dans le cœur du mystère divin, des causes de l’histoire du monde : la femme et son enfantement messianique ; le dragon et son hostilité ; l’enfant, Christ vainqueur. L’amplification est rendue plus sensible grâce au cadre céleste de la vision et à sa dimension cosmique (la queue du dragon traîne le tiers des étoiles, v.4a). Les oppositions aspectuelles entre procès non limités (v.2 « crie », v.4a « traînait », v.4b « nourisse », …) et événements (v.1a « apparut », v.4b « jeta », v.5a « enfanta », …) ; le contraste chromatique entre l’éclat solaire de la femme et la robe rouge du dragon ; la métonymie à valeur méliorative désignant la femme grâce à sa couronne, à sa domination sur la lune et à son manteau ; la synecdoque dépréciative à propos du dragon, avec la monstruosité des sept têtes, soulignent le drame qui se joue.

1–18 Contrastes La dimension visionnaire du passage contraste avec l'accent placé par l'évangile de Jean sur l'écoute plutôt que sur la vision, cependant que l'emboîtement symbolique des personnages dans la femme en rappelle une constante littéraire. 

PROCÉDÉS VISUELS Hypotypose pour faire entrer au cœur de l’action surnaturelle

Les deux occurrences du verbe « apparaître » (v.1a.3a) soulignent combien le voyant entre dans le cœur du mystère divin, des causes de l’histoire du monde : la femme et son enfantement messianique ; le dragon et son hostilité ; l’enfant, Christ vainqueur.

  • L’amplification est rendue plus sensible grâce au cadre céleste de la vision et à sa dimension cosmique (la queue du dragon traîne le tiers des étoiles, v.4a).
  • Les oppositions aspectuelles entre procès non limités (v.2 « crie », v.4a « traînait », v.4b « nourrisse », …) et événements (v.1a « apparut », v.4b « jeta », v.5a « enfanta » …) ;
  • le contraste chromatique entre l’éclat solaire de la femme et la robe rouge du dragon ;
  • la métonymie à valeur méliorative désignant la femme grâce à sa couronne, à sa domination sur la lune et à son manteau ; la synecdoque dépréciative à propos du dragon, avec la monstruosité des sept têtes, soulignent le drame qui se joue.

IDIOLECTE JOHANNIQUE Emboîtement actantiel. La femme = Israël/Marie/l’Église

L'emboitement des personnages ou actants symbolisés par la Femme ressemble à celui qu'on trouve dans l'évangile de Jean : le prophète/le baptiste/l’évangéliste...

Contexte

Intertextualité biblique

1bc soleil + lune + étoiles TYPLOGIE : motifs

La Jérusalem céleste

La parure astrale peut renvoyer à Ct 6,10 ; Is 60,19-20, et orienter l’identification du côté de Jérusalem (cf. Littérature péritestamentaire Ap 12,1b).

Les tribus d'Israël

Dans le songe de Joseph (Gn 37,9), les étoiles représentent les tribus d’Israël.

Réception

Théologie

1–5 Cohérence symbolique et dogmatique de l'interprétation mariale

La compassion de Marie

Outre le « sensus fidei » consulté via une enquête auprès des évêques du monde entier (Pie XII Munificentissimus Deus, 8-16) et l’unanimité des Pères et des auteurs ecclésiastiques (Ibid. 20-37), Pie XII s’appuie sur le lien intime qui unit les destinées de la Mère et du Fils, si lui est mort et ressuscité, elle aussi meurt et ressuscite :

  • Pie XII Munificentissimus Deus, 40. De là la vénérée Mère de Dieu, de toute éternité unie de manière cachée à Jésus-Christ dans un seul et même décret de prédestination,(47) immaculée dans sa conception, une vierge très parfaite dans sa divine maternité, la noble associée de le divin Rédempteur qui a remporté un triomphe complet sur le péché et ses conséquences, a finalement obtenu, comme l'aboutissement suprême de ses privilèges, qu'elle soit préservée de la corruption du tombeau et que, comme son propre Fils, ayant vaincu la mort, elle pourrait être élevée corps et âme à la gloire du ciel où, en tant que reine, elle siège dans la splendeur à la droite de son Fils, le Roi immortel des âges. 

Quid de ses soufrances ? 

Une objection à l’interprétation mariale traditionnelle (Tradition chrétienne Ap 12,1b une femme, Haymon d’Auxerre) estime que les souffrances de parturiente de la femme seraient incompatibles avec la foi en l’immaculée conception et la virginité perpétuelle et de Marie, avant, pendant et après son accouchement. L’objection est cependant dissipée si l’on interprète ces douleurs comme des figures de la compassion de Marie, annoncée par la prophétie de Siméon (Lc 2,35) et accomplie lors de la passion (cf. Jn 19,25-27). Appelée « femme » au pied de la croix (Jn 19,26), elle est ici désignée comme mère de tous les disciples qu’elle enfante dans la douleur (Ap 12,2).

La richesse du langage symbolique de l’Apocalypse ne s'oppose pas au réalisme de l'incarnation, ni l’interprétation ecclésiologique aux interprétations christologique et mariales, fondées dans la relation personnelle et organique entre le Christ-tête et l’Église, son corps, synthétisée dans la notion augustinienne de « Christ total » (cf. CEC 795-796).

Tradition chrétienne

1b une femme

= Marie
  • Épiphane de Salamine Pan. 78,11,1-6 « Nous lisons dans l’Apocalypse de Jean : “Le dragon se rua vers la femme qui avait eu l’enfant mâle, et les ailes de l’aigle lui furent données, et elle fut emportée au désert, afin que le dragon ne pût l’attraper.” Sans doute ce dernier passage peut-il trouver son accomplissement en Marie. Mais je ne saurais l’affirmer catégoriquement, n’allant pas jusqu’à dire qu’elle serait demeurée immortelle. Mais je n’affirmerais pas pour autant qu’elle ait connu la mort. »
  • Ps.-Oecumenius Comm. Ap. : La Femme représente Marie, qui est céleste parce que pure d’âme et de corps.
  • Bernard de Clairvaux Serm. sanct. (Sermon pour le dimanche dans l'octave de l'assomption de la Vierge Marie) : La femme, qui figure aussi Marie, est la médiatrice entre l’Église et le Christ ; en effet, si la lune sous ses pieds est cet astre qui ne brille pas par lui-même, il faut s’attacher « aux pas de Marie », et, dans « la plus dévote des supplications », car « la femme entre le soleil et la lune, c’est Marie entre Jésus-Christ et son Église ».
= l’Église
= l’Église et Marie

L’interprétation mariologique n’entame en rien l’importance de l’approche ecclésiologique aux yeux des auteurs médiévaux.

  • Ambroise Autpert Exp. Ap. déclare que le premier signe céleste désigne la Vierge Marie en tant qu’« espèce » (species) ou partie de l’Église, qui, à ce titre, enfante le Christ. Il considère également cette femme comme un « tout » (genus), symbole de l’Église qui enfante le Christ.
  • Haymon d’Auxerre Exp. Ap., s’inspirant d’Autpert et de Bède, considère la lecture ecclésiologique comme prééminente, la femme figurant l’Église qui « ne cesse d’engendrer chaque jour des fils spirituels par la prédication et le baptême ». Mais en tant que Mère de Dieu (Theotokos), Marie est ici encore une partie de l’Église. Si le commentateur rappelle que l’allusion aux douleurs de l’enfantement ne peut s’appliquer à Marie, qui n’a pas connu la corruption du péché, il hérite finalement à son tour de la double explication, mariale et ecclésiale.
  • Rupert de Deutz In Ap. reprend l’arrière-plan de Gn 3 en soulignant combien l’hostilité du serpent à l’égard d’Ève préfigure celle du dragon face à la femme, « figure de l’Église tout entière », dont la Vierge Marie est « la part la plus importante », parfaite, « en raison de la fécondité de son sein ».
  • Bernard de Clairvaux Serm. sanct. (Sermon pour le dimanche dans l'octave de l'assomption de la Vierge Marie) ouvre son enseignement sur le puissant renversement qui s’opère de l’incipit à la clôture de la Bible : « Mes bien chers frères, il est un homme et une femme qui nous font bien du mal ; mais grâce à Dieu, il y eut aussi un homme et une femme pour tout réparer ». Ainsi s’éclaire la mission éminente de Marie, antithèse d’Ève et médiatrice entre l’homme et le Christ : « Nous avons eu une cruelle médiatrice dans Ève, par qui l’antique serpent a fait pénétrer jusqu’à l’homme son virus empesté, mais Marie est fidèle, et est venue verser l’antidote du salut à l’homme et à la femme en même temps ». La lecture mariologique ne s’affirme pas au détriment de l’approche ecclésiologique mais vient en quelque sorte déployer le potentiel interprétatif et révéler la richesse du texte sacré : « Je veux bien que la suite de la prophétie montre qu’on doit entendre ces mots de l’état présent de l’Église, mais on peut aussi fort bien les appliquer à Marie ».
= l’« Église des moines »
  • Bonaventure Coll. Hex. 20 interprète la figure de la femme comme le symbole de « l’ordre des contemplatifs » qui apparaît avec la naissance du monachisme.
= l’Église des origines, persécutée
  • Gill Exp. NT : Il s’agit de l’Église aux temps apostoliques et sous les persécutions des païens et des ariens.

Il s’agit de plus que d’une analogie formelle : non seulement la destinée de Marie ressemble à celle d'Israël et de l’Église, mais elle en est une partie intégrante (Marie est « fille de Sion » et « mère de l’Église ») en même temps que l’exemple même (Marie est « mère de Dieu »).

= Le peuple juif
  • En rupture avec la tradition chrétienne antérieure, Darby (Notes Ap.) et les commentateurs →dispensationalistes après lui identifient la femme avec Israël « selon la chair », c’est-à-dire le peuple juif. Cette interprétation peut être considérée comme un des signes distinctifs du dispensationalisme.

Liturgie

1 Liturgie latine : TEXTE

Liturgie des Heures

Capitule de 

  • l’office de Laudes de la mémoire de la Vierge Marie le samedi.
  • l’office de Sexte de la solennité de l’Assomption (15 août) ; il est remarquable qu'en cette même solennité, le texte du Ct 6,10 serve d'antienne aux premières et secondes Vêpres. (Intertextualité biblique Ap 12,1)

Lectionnaire

  • Pour l'Assomption, Ap 12 inspire l'Introït et constitue la première lecture de la messe.

Arts visuels

1,11 ; 12,1 ; 15,1 ; 19,13 — Ce que tu vois, écris-le dans un livre + je vis dans le ciel un autre signe + son nom est « Verbe de Dieu » ... Contempler et transmettre le contemplé

Voir les symboles

Hans Memling (ca. 1433-1494), Jean l’Évangéliste à Patmos et les visions de l’Apocalypse (huile sur panneau de bois, ca. 1479), 172 x 79 cm, volet droit d'un retable d’autel (Tryptique des noces mystiques de sainte Catherine d’Alexandrie)

Vieil hôpital Saint-Jean, Bruges, Memlingmuseum (Belgique) © Domaine public→

À Patmos, Jean compose un étourdissant concentré de symboles bibliques. Il tire sa scénographie de la littérature juive, depuis ses adaptations de cosmogonies archaïques jusqu'à l’épopée nationale reconstruite en temps d’Exil et aux attentes messianiques déçues au temps du retour…

Mais il la tire tout autant du lieu où il se trouve. Les scribes juifs, à partir du 5e s. av. J.-C., ont affirmé toujours plus fortement la souveraine domination de leur Dieu comme Dieu unique et transcendant et son ultraproximité comme créateur de tout à partir de rien. Au premier siècle de notre ère, le 1 Hén. (43,4) établit une correspondance entre les deux et dans l’énigmatique Asc. Is. (7,10) ce qui advient au firmament des cieux advient aussi sur la terre. Pour le juif qu’est Jean de Patmos, parce qu'elle est pensée et parlée par le Créateur avant même que l’homme ne lui prête ses mots, la nature est gorgée de signification qu’il appartient au poète et au prophète de découvrir.

Sur la formidable composition de Memling, on repère facilement la liturgie céleste (Ap 1,12-16 ) autour de l'Agneau (Ap 15,1-4) ; la vision de la Femme (Ap 12,1-17), les quatre cavaliers dans l'ordre...

Le Verbe à Patmos

Nicolas Poussin (1594-1665), Paysage avec saint Jean à Patmos (huile sur toile, Rome, 1640), 100,3 x 136,4 cm, en diptyque avec le Paysage avec saint Matthieu et l'ange

Art Institute, Chicago (États-Unis) © Domaine public→

Sur l’une des toiles de son célèbre diptyque de 1640, l’amoureux de l’art antique que fut Nicolas Poussin place avec raison saint Jean — écritoire en main — face à un piédestal de section cruciforme, au cœur d’un paysage avec mer, montagne et vestiges antiques intacts, en un contraste subtil avec le Paysage avec saint Matthieu et l'ange, où les eaux d'un Jourdain symbolique semblent aussi séparer l'évangéliste du Temple grandement ruiné à l'arrière-plan. 

Poussin a génialement compris le rapport intime qui lie les écrits de l’évangéliste du Logos incarné et l'inscription de ce même Logos dans le cosmos de Patmos où il séjournait...

1 une femme revêtue du soleil Iconographie dogmatique : Dormition et/ou Assomption La tradition voit dans ce passage la figure de la Vierge, élevée au ciel dans la gloire. À partir de ce passage et des textes apocryphes, l’iconographie de l’Assomption se répand à partir du Moyen Âge. Trois traditions se dégagent. Au Moyen Âge on privilégie le moment de la Dormition où le Christ vient chercher l’âme de sa mère. Les peintres peuvent aussi faire le choix de représenter la Vierge s’élèvant toute seule au ciel, ou encore portée par des Anges : c’est cette dernière iconographie qui sera retenue par les artistes de la Renaissance. Le thème de la Vierge en gloire revêt bien sûr une importance particulière aux yeux de l’Église dans le contexte de la Contre-Réforme.

15e s.

Hugo van der Goes (ca. 1440-1482), La Mort de la Vierge (huile sur panneau, 1475), 122,5 × 147,8 cm

Musée Groeninge, Bruges (Belgique) © Domaine public→

16e s.

Une vision glorieuse ...

Tiziano Vecellio dit Le Titien (1490-1576), L'Assomption de la Vierge (huile sur toile, 1516-1518)

basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venise (Italie) © Domaine public→

... ou douloureuse.

Michelangelo Merisi, dit Le Caravage (1571-1610), La mort de la Vierge (huile sur toile, 1601-1606), 369 × 245 cm — INV 54

Musée du Louvre, Paris (France) © Domaine public→

17e s.

Nicolas Poussin (1594–1665), L'Assomption de la Vierge (huile sur toile, ca. 1630-1632), 134,4 × 98,1 cm

National Gallery of Art, Washington D.C. (États-Unis) © Domaine public→

Nicolas Poussin (1594–1665), L'Assomption de la Vierge (huile sur toile, 1650), 57 × 40 cm

Musée du Louvre, Paris (France) © Domaine public→

La lune est sous ses pas ...

Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682), L'Immaculée de l'Escorial (huile sur toile, 1660-1665)

Musée du Prado, Madrid (Espagne) © Domaine public→

18e s.

Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770), L'Immaculée Conception (huile sur toile, 1767-1768), 281 x 155 cm

Musée du Prado, Madrid (Espagne) © Domaine public→

1 Un grand signe dans le ciel Ce signe dans le ciel est non seulement marial, mais aussi christique.

L'étoile du matin

George Desvallières (1861-1950), Étoile du matin (illustration, 1928), 18,2 x 13,5 cm, Première page hors-texte non numérotée

© Succession Desvallières→.

La Vierge, toute de blanc vêtue, illumine la nuit au milieu des astres colorés qu’elle domine.

  • « Marie apparaît marchant sur les mondes dont elle est la reine de toute éternité ; blanche lumière se détachant sur la masse sombre des globes célestes, elle prend de sa main gauche la terre sous sa protection, et tient dans sa main droite des fleurs. » (Girod de l’Ain)

La croix cosmique

Puisque la vision montre aussi les souffrances du Messie, on peut la rapprocher de ces autres « signes » que furent des apparitions de la Croix dans l'histoire du christianisme.

 Anonyme, La Croix cosmique (mosaïque, 5e siècle), voûte du mausolée de Galla Placidia

Ravenne (Italie) © CC BY-SA 4.0→

« Un grand signe apparut dans le ciel… ». Au cœur de l'obscurité  on est comme entraîné par une myriade d’étoiles autour de la croix. Elle est accompagnée des symboles des évangélistes, les quatre vivants répartis dans les angles. Leurs paroles conduisent au centre de la voûte, où un monde nouveau se manifeste, unifié par la croix victorieuse au milieu d’une constellation de luminaires qui chantent l’hymne de Venance Fortunat : « Fulget crucis mysterium ». Le « mystère de la croix qui resplendit » est qu’elle devient l’axe du monde, l’unique source d’un salut universel qui en rayonne. La nuit étoilée laisse poindre un jour nouveau où la croix transperce une obscurité qui semblait absolue pour venir illuminer la ténèbre. En ce ciel apparaît « le signe du Fils de l’Homme… » : en nos nuits souvent privées d’étoiles, que la croix ouvre les cieux de nos cœurs pour révéler l’éternelle présence du Christ en nos vies… (cf. P. J-M. Nicolas)