La Bible en ses Traditions

Lévitique 12,4

M G V S Sam

Et trente-trois jours elle demeurera dans le sang de purification.

Vdans le sang de sa purification.

Gdans son sang impur.

Ssur le sang pur.

À rien de saint elle ne touchera

et elle n'entrera pas dans le sanctuire jusqu’à ce que soient accomplis les jours de sa purification.

4c Présentation de Jésus au Temple Lc 2,22

Réception

Tradition juive

4b À rien de saint elle ne touchera Interdit de consommation La majorité des rabbins comprennent cette défense de « toucher » comme un simple interdit de consommation (b. Yebam. 75a ; b. Mak. 14b ; Rachi Comm. Tora ; etc.).

Tradition chrétienne

2–8 Impureté du nouveau-né et nécessité du baptême Origène Hom. Lev. 8,3-4, cherchant prudemment à comprendre les raisons de l’impureté de la parturiente (« Pour moi, en de telles matières, je n’ose rien dire ») en vient à parler de l’impureté du nouveau-né et de la nécessité du baptême.

Texte

Vocabulaire

4a elle demeurera Nuance Racine yšb « s'asseoir » dans le sens de « rester, demeurer » (Gn 13,18 ; 24,55 ; Dt 1,46). Tradition juive Lv 12,4a

Réception

Théologie

1–8 THÉOLOGIE BIBLIQUE Pureté rituelle et sainteté L’impureté de la parturiente n’a aucun caractère moral : tout tourne autour des dichotomies pur/impur et saint/profane.

Pour les auteurs de Lv, le sang c’est la vie (Lv 17,10-12) et la vie appartient à Dieu. Toute perte de sang — ce qui est le cas pour l’accouchement comme pour les menstrues (Lv 15,19-30) — entraîne une perte de vitalité qui, non maîtrisée, conduit à la mort et, contredisant en quelque sorte le dynamisme de vie du Dieu créateur, provoque l’impureté. 

L’impureté s’oppose donc à la sainteté comme la mort à la vie. Et c’est ce conflit — compte tenu de l’exigence faite au peuple d’être saint (Lv 19,2) pour que le Dieu saint puisse résider en son sein — qui commande un processus de purification.

Texte

Procédés littéraires

2–8 Construction : double chiasme

  • v.2-5 : Durée de l’impureté de la mère pour une naissance : {A. un garçon (v.2-4a) [B. conséquences de l’état d’impureté dans le cas d’un garçon et d’une fille : interdiction d’approcher les sancta (v.4bc)] A’. une fille (v.5)} ;
  • v.6-8 : Rituel sacrificiel en fin de période d’impureté : {C. cas standard (v.6-7ab) [D. souscription récapitulative dans le cas d’un garçon comme d’une fille (v.7c)] C’. cas particulier du pauvre (v.8)}.

Propositions de lecture

1–8 Les rites entourant les naissances Lv 12 décrit les principaux rites de naissance considérés surtout du point de vue de la femme qui vient d’accoucher (mise en quarantaine plus ou moins prolongée selon le sexe du nouveau-né et offrande d’un sacrifice à la fin de la période). Le processus purificatoire de la parturiente s’accomplit en deux étapes.

  • Durant la première (7 ou 14 jours), assimilée à la période d’impureté menstruelle (v.2 et 5), la mère est interdite de tout contact direct ou indirect avec autrui sous peine de transmettre son impureté (cf. Lv 15,19-24).
  • Durant la seconde phase, plus longue (33 ou 66 jours), mais moins restrictive, elle ne peut s’approcher des choses saintes (sacrifice de communion, prébendes sacerdotales, …) et notamment du sanctuaire (v.4).

Structure

Malgré une apparence composite (Procédés littéraires Lv 12,8), le discours est soigneusement composé. Hors introduction, il est divisé en deux parties bien distinctes :

  • v.2-5 : durée de l’impureté de la mère pour une naissance ;
  • v.6-8 : rituel sacrificiel en fin de période d’impureté.

Chacune d’elles constitue un chiasme (Procédés littéraires Lv 12,2–8) :

  • v.2-5 : le calendrier de la purification (naissance d’un garçon ; naissance d’une fille) ;
  • v.6-8 : l’offrande d’un sacrifice (situation standard ; cas du pauvre).

Inégalité de traitement (littéraire) des naissances mâle et femelle : indices de compassion pour les femmes en contexte patriarcal(iste) ?

Si la structure du discours reflète une certaine cohérence conceptuelle, on peut supposer que l’ordre dans lequel les sujets sont traités et la manière dont ils sont introduits ne doivent rien au hasard, mais sont eux-mêmes significatifs.

  • En commençant par la fin du texte, il est clair que l’offrande réduite de deux oiseaux (introduite par « Et si », v.8a) est une mesure de compassion pour les plus pauvres,
  • tandis que le sacrifice d’une tête de bétail correspond à la situation normale et souhaitée.

Si cette logique prévaut aussi pour l’organisation de la première partie (v.2-5), on peut en conclure

  • que la naissance d’un garçon, dans une société où le fils transmet le nom et assure la continuité du clan, représente la situation normale et souhaitée,
  • tandis que le cas d’une fille (introduit par « Mais si », v.5a), jugée plus démunie ou moins appréciée, nécessite des mesures de protection et de compassion supplémentaires : d’où le double temps accordé à la mère pour assurer le processus de purification et nouer avec son nouveau-né des liens qui, sans cela, risqueraient de se défaire.

Réception chrétienne

Ce chapitre permet de comprendre les rites entourant la naissance de Jésus (cf. Lc 2,22-24 ; Milieux de vie Lv 12,1–8), et les Pères y découvrent même de prophétiques allusions à la conception virginale de Jésus (Tradition chrétienne Lv 12,2b) et à son mystère pascal (Tradition chrétienne Lv 12,3).

Contexte

Milieux de vie

1–8 Rites autour de la naissance dans l'Antiquité Les rituels autour de la naissance ont un fondement anthropologique et appartiennent au patrimoine commun à toutes les civilisations :

  • p. ex., l’amphidromie dans la Grèce antique, cérémonie marquant — cinq jours après la naissance — la reconnaissance du nouveau-né par son père ; celui-ci fait le tour du foyer, présentant l’enfant à Hestia.

De même, l’idée d’impureté de la parturiente et la disparité des périodes purificatoires pour la naissance d’un enfant sont universelles.

  • Pour l’Antiquité, la comparaison la plus féconde s’établit entre la culture israélite et la culture hittite. Le rituel hittite est cependant plus compliqué et intègre de forts éléments magiques absents de la législation israélite. La valeur conférée au sang qui motive et justifie la plupart des prescriptions bibliques est un bien propre d’Israël.

Textes anciens

1–8 Période d’impureté plus longue pour la naissance d’une fille Dans un rituel hittite de la cité de Kizzuwatna, intitulé Quand une femme conçoit, la période d’impureté est également plus longue pour la naissance d’une fille que pour celle d’un garçon :

  • KBo XVII 65 (= CTH 489.A) §26-29 « [Mais (quand) la femme donne naissance, et tan]dis que le septième jour (après la naissance) est arrivé, ils accomplissent l’offrande du nouveau-né en ce septième jour. De plus, [si un garçon est n]é, quel que soit le [mo]is où il est né — si un jour ou deux jours [reste]nt — alors [à partir de ce mo]is ils décomptent. Et quand le troisième mois a[rrive], alors le garçon avec kunziganna[ḫit] ils [pur]ifient. Car les voyants sont experts avec le kunzigannaḫit, et ceci [à… il]s offrent. Mais si une fille est née, [alors à partir de c]e mois ils décompt[ent]. Mais [qu]and le quatrième mois arrive, alors ils purifi[ent] la fille avec [kunzi]gannaḫit » (trad. de l'anglais de Beckman 1983, 143 ).

Réception

Liturgie

1–8

CALENDRIER — La fête de la présentation de Jésus au Temple et de la purification de la sainte Vierge

  • La fête de la présentation de Jésus au Temple, 40 jours après Noël (2 février), célèbre (depuis l'an 386 en Orient) ces événements et devient en Occident, à partir du 8e s., la fête de la présentation de Jésus et de la purification de sainte Marie.
  • Dans le calendrier du Livre de prière commune de l’Église anglicane, autorisée en 1662, la fête du 2 février est appelée « La purification de la B.V. Marie ».

RITUEL Célébration des relevailles

La pratique juive n’a pas été la seule à être influencée par la législation vétérotestamentaire (Tradition juive Lv 12,4a). L’idée que la parturiente était impure et devait se rendre au sanctuaire après la naissance pour sa purification est aussi passée dans l’Église orientale, puis dans celle d’Occident. Et cela d’autant plus que Marie accomplissant les préceptes de la Loi (Lc 2,22-24) offrait un modèle parfait à toutes les mères chrétiennes.

Dans le christianisme
  • Vers le 8e s., sous l'influence de la nouvelle fête de la présentation et de la purification, bien qu’aucune loi de l’Église n’ait jamais prescrit une telle démarche ou n’ait jamais interdit à une femme d’entrer dans une église aussitôt après l’accouchement, apparaissent les premiers formulaires de cérémonie de « relevailles » (Ordo ad purificandam mulierem ; Introductio mulieris post partum in ecclesiam).
  • Cependant, à partir de 1614 et du Rituale Romanum (tit. VIII, ch.6), publié par le pape Paul V, la dimension de purification a laissé la place, au moins dans les textes officiels, à celle d'une bénédiction (Benedictio mulieris post partum).
  • Le Livre de prière commune de l’Église anglicane propose un rite d’« Action de grâces d’une femme après son accouchement ».
  • Une mère catholique, surtout si elle n’a pu prendre part au baptême de son enfant, pourra s’associer à une cérémonie telle que le livre des bénédictions (1984) le propose (Ordo benedictionis mulieris post partum).
Dans le judaïsme

De nos jours une nouvelle accouchée juive, en plus des lois habituelles de niddâ (Procédés littéraires Lv 12,2d), se contentera de s’immerger dans un bain rituel à l’issue de la période d’impureté rituelle.

Texte

Vocabulaire

4ac.5c.6a purification Ou « pureté » : connotation opérative Deux formes différentes de la même racine hr avec des vocalisations légèrement différentes (Tradition juive Lv 12,4a) : ṭohŏrâ (en v.4a.5c) et ṭohŏrāh (ṭōhar + le suffixe 3e pers. fém. sg., v.4c.6a), signifiant ici la purification dans son aspect opératif (à la différence de la « pureté », qui en est le résultat).

Grammaire

4a.5c le sang Sens du pluriel Le pl. dāmîm (litt. « les sangs ») s’applique toujours en hébreu à l’idée du sang versé, qu’il s’agisse :

  • d’une blessure (cf. 2S 16,8 ’îš dāmîm « homme de sang », c.-à-d. « homme qui verse le sang, criminel ») ;
  • ou des règles de la femme.

Procédés littéraires

4a dans le sang de purification Idiomatisme M : bidmé ṭohŏrâ est une expression décrivant le nouvel état de la parturiente qui peut encore avoir des pertes de sang (lochia blanca opposée à lochia rubra des premiers jours) pendant plusieurs semaines, mais qui n’est plus impure comme lors de la période de sept (ou quatorze) jours suivant immédiatement l’accouchement. Dès lors, l’isolement total n’est plus requis (cf. Lv 15,19-20), mais seulement l’éloignement des choses consacrées.

Réception

Comparaison des versions

4a.5c dans le sang de purification + sur le sang de purification : M Sam  | S : sur le sang pur | V : dans le sang de sa purification | G : dans son sang impur

  • M : bidmé ṭohŏrâ et ‘al dᵉmé ṭohŏrâ ; Sam : bdm ṭhrh et ‘l dmy ṭhrh ;
  • S: ‘l dm’ dky’ ;
  • V : in sanguine purificationis suæ ;
  • G : en haimati akathartôᵢ autês.

Littérature péritestamentaire

2–5 Origine dans la protohistoire Fidèle à son principe de placer l’origine de certaines prescriptions mosaïques dans la protohistoire, le Livre des jubilés fonde les lois de la parturiente sur le récit de la création lui-même et sur la création d’Adam et Ève plus particulièrement (Gn 1-3) :

  • Jub. 3,8-14 « C’est pendant la première semaine qu’Adam fut créé ainsi que la côte, sa femme ; c’est la deuxième semaine qu’Il [= Dieu] la lui montra. C’est pourquoi il a été ordonné de garder (les femmes) dans leur impureté une semaine pour un garçon et deux semaines pour une fille. Après qu’Adam eut passé quarante jours sur la terre où il avait été créé, nous l’avons fait entrer dans le jardin d’Éden pour qu’il le cultive et le garde. Mais sa femme, on la fit entrer le quatre-vingtième jour […]. C’est pour cela qu’est inscrit sur les tables célestes le commandement concernant la parturiente : si elle a mis au monde un garçon […] ; pour une fille […]. Quand elle eut accompli ces quatre-vingt jours, nous l’avons fait entrer dans le jardin d’Éden, car il est plus sacré que toute terre, et tout arbre qui y est planté est sacré. C’est pourquoi a été instituée la règle de ces jours pour celle qui met au monde un garçon ou une fille : elle ne doit toucher à rien de sacré, ni entrer dans le sanctuaire jusqu’à ce que soit accompli le temps (prévu) pour un garçon ou pour une fille. Telles sont la loi et la prescription écrites pour Israël. Qu’on les observe tout le temps. »

Des échos de cette lecture se retrouvent en 4Q265 (frag. 7, col. 2, 11-17).

4 Endroits pour les impurs

  • 11QTa XLVIII,10-11.14-17 « Vous ne souillerez pas votre terre […]. Dans chaque ville vous aménagerez des endroits pour ceux qui sont atteints de lèpre, d’une affection (semblable) ou de teigne, et ceux-là ne pénétreront pas dans vos villes pour les souiller. Et aussi pour ceux qui sont atteints d’écoulement et pour les femmes qui sont rendues impures par leur indisposition ou par leurs couches ».

Tradition juive

4a elle demeurera Sens du verbe yšb

4a dans le sang de purification

Pureté

Contre la position rigoureuse des karaïtes, des samaritains et des falashas, la plupart des rabbins (e.g. Rachi Comm. Tora ; Nahmanide Comm. Tora sur Lv 12,4) interprètent l'héb. bidmé ṭohŏrâ comme « dans le sang de pureté » plutôt que comme « dans le sang de purification »(Vocabulaire Lv 12,4ac.5c.6a). Ce sang ne rendrait donc pas impur et ne contraint pas la femme à l’isolement et à  l’abstinence sexuelle. 

Impureté

Malgré cela, depuis l’époque talmudique, certaines législations et coutumes n’ont cessé de gagner en rigueur et on a pris l’habitude de considérer comme impur le flux sanguin (Sef. Ḥinnuk 166). De plus, bien que la loi de Lv 12 soit relative à l’existence du sanctuaire, cela a conduit la tradition juive (puis chrétienne) à interdire aux femmes de participer à certains actes cultuels et d’aller à la synagogue (ou à l’église : Liturgie Lv 12,1–8) pendant leurs périodes de règles ou après un accouchement.