La Bible en ses Traditions

Psaumes 1,3

M
G S
V

Il est comme un arbre planté près des cours d'eaux 

qui donne  son fruit en son temps

et dont le feuillage ne se flétrit pas :

tout ce qu’il fait réussit.

...  

Il sera comme le bois

qu'on a planté près d'un cours d'eau 

qui portera son fruit en son temps

et sa feuille ne pendille pas.

Texte biblique

3a arbre De l’arbre de vie à l’arbre de la croix

Bois et/ou arbre

Selon son sens premier en hébreu ‘ēç signifie « bois », matière de l’arbre. De même xulon en grec et lignum en latin. Mais tandis que ‘ēç est pratiquement le seul substantif pour désigner un arbre, le grec et le latin ont en plus un terme plus spécifique, respectivement dendron (30 fois AT, 25 fois NT) et arbor (38 fois AT, 31 fois NT).

Arbre de vie

Concentrons-nous sur l'expression « arbre de vie », une spécification que la tradition juive et chrétienne s'est permise dans la relecture du v.3a. Comparaison des versions Ps 1,3a ; Tradition chrétienne Ps 1,3a

Ancien Testament
  • Dans le récit des origines ‘ēç ḥayyîm est symbole de la plus-que-vie qui est l'apanage de Dieu seul et que lui seul peut gratuitement donner si l'homme ne cherche pas à se l'arroger par ses seules forces (Gn 2,9 ; 3,22.24). G et V traduisent uniformément par xulon tês zôês / lignum vitae
  • Dans la littérature sapientielle par contre l'expression devient une métaphore anthropologique de l'intelligence, de la récompense du juste, du désir comblé et de la parole qui guérit (Pr 3,18 ; 11,30 ; 13,12 ; 15,4). G traduit par dendron zôês sans article, sauf dans le premier texte (xulon zôês), et V toujours par lignum vitae.
  • Dans les apocryphes de la Septante, on compte deux occurrences supplémentaires : xulon zôês (4 Macc. 18,16 citant nommément un proverbe de Salomon : « le Seigneur est un arbre de vie pour ceux qui font sa volonté ») ; xula tês zôês (Ps. Sal. 14,3 « le paradis du Seigneur, les arbres de la vie, ce sont ses dévots »). 
Nouveau Testament

Les quatre occurrences de xulon zôês se trouvent toutes dans l'Apocalypse, en lien avec l'image du paradis et de la Jérusalem céleste (Ap 2,7 ; 22,2.14.19). Au volet tragique des temps primordiaux (Urzeit ; cf. Gn 2,9 ; 3,22.24) correspond par antithèse le volet radieux de l'au-delà du temps (Endzeit) où le drame initial est définitivement dénoué. 

La croix arbre de vie

De l'arbre de vie du mythe primordial au bois/arbre (xulon) de la croix du drame évangélique, il n'y a qu'un pas, vite franchi dans l'interprétation chrétienne de notre psaume (Tradition chrétienne Ps 1,3a). Cette transposition théologique devenait obvie à la lumière de quelques textes de l'AT qui parlent de pendaison sur un bois (kremannumi epi xulou ; Gn 40,19 ; Dt 21,22-23 ; Jos 8,24 ; 10,26 ; Est 5,14 ; 6,4 ; 7,10 ; 8,7 ; voire 1 Esd. 6,31). Trois textes du NT reprennent telle quelle l'expression verbale pour l'appliquer à la crucifixion de Jésus (Ac 5,30 ; 10,39 ; Ga 3,13). Tout cela permet de tisser des relations intertextuelles associant l’arbre de vie symbolique à l’arbre réel de la croix. 

Réception

Arts visuels

1–6 L'homme juste et l'arbre. L'homme juste est comparé à un arbre dans ce psaume. Cette comparaison a été diversement interprétée dans les arts visuels.

... à l'ombre de l'arbre ? 

Peinture d'histoire, 19e s.

Georges Rouget (1783-1869), Saint Louis rendant justice sous le chêne de Vincennes, huile sur toile, 1826, 320 x 260 cm

Château de Versailles

Domaine public © Wikicommons→

Le chêne suffit ici à traduire la vertu du roi Louis IX : le corps du monarque prolonge visuellement le tronc de l'arbre. Le peintre souligne ainsi la vertu affermie du roi, gage d'une justice droite.

... l'arbre lui-même !

L'homme juste a aussi été représenté sous la forme d'un arbre : le comparé et le comparant ne forment plus qu'un !

Peinture contemporaine

Le peintre Roberto Mangú a lu Mc 8,24 et le rapprochement ne lui a pas échappé, pour un résultat saisissant :

Roberto Mangú Quesada (1948-), Grand Vivant, huile sur toile, 2019, 180 x 130 cm

Coll. de l'artiste, D.R. R.M.→ © BEST a.i.s.b.l., Ps 1 ; Mc 8,24

« Heureux l’Homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants... il est comme un arbre planté à la rupture des eaux ». Ps 1 « J’aperçois les hommes, mais j’en vois comme des arbres et qui marchent » (Mc 8,24)

  • « 'Ainsi l’Homme est-il cet arbre puissant aux deux sources de vie. Celui aussi dont témoigne le jeune aveugle guéri par le Christ dans les évangiles, et qui s’écrie : « Je vois un homme, il est comme un arbre qui marche' (A de Souzenelle). « Le monde n’est plus à posséder, il est la réalité splendide dans laquelle l’homme est admis à être vivant et à coopérer à la création avec tout ce qui vit » Éloi Leclerc. Ce titre, emprunté à François Cheng qui dans son livre Assise, Une Rencontre Inattendue évoque spirituellement sa rencontre avec François d’Assise. François Cheng explique ce grand écho du Cantique des créatures : 'Il lui suffit de dire frère Soleil ou sœur Eau, et subitement le rapport entre l’homme et la nature se révèle autre, confiant et fraternel. Du coup, l’univers prend une autre coloration, et l’homme une autre dignité.' » (R.M.Q., 2022)

3 L'arbre. Un motif judéo-chrétien de portée universelle.

Un symbole universel

L'abre constitue un motif universel dans les arts visuels. Motif central ou secondaire dans les compositions artistiques, les arbres apparaissent dès les premiers versets de la Genèse (Gn 1,29). Parmi ces eux, se trouve l'arbre de vie, auquel les traditions juive et chrétienne ont rattaché l'arbre du v.3a (Comparaison des versions Ps 1,3a ; Tradition chrétienne Ps 1,3a).

L’arbre du paradis originel des Écritures, dont les fruits devaient assurer l'immortalité, peut aussi se rapprocher de l’arbre mythologique décoratif présent dans les croyances de nombreux peuples, depuis l'époque préhistorique en Mésopotamie et dans l'Antiquité, entre autres en Égypte, en Grèce, en Babylonie, en Perse et en Inde, avec des symboliques variées. Au Moyen-Orient, l’arbre de vie symbolise l’immortalité ; en Chine et en Inde, le centre de l’univers. Dans le Bouddhisme, il est nommé « le Bodhi » : Bouddha a eu l’éveil sous cet arbre, lieu de ses enseignements premiers. 

Dans l'art chrétien médiéval, ces symbolismes naturels ne sont pas oubliés :

Maître des Carmina Burana (Alpes du Sud), Arbres en abondance, enluminure (pigments en détrempe sur parchemin, ca. 1230), 25 x 17 cm

Bibliothèque d'État de Bavière, Munich — Clm 4660

Domaine public © Wikicommons→ 

Le manuscrit Carmina Burana compile 318 chants profanes latins (quelques-uns sont en moyen-haut allemand) en 112 feuillets et contient aussi deux pièces sur la Nativité et sur la Passion. Il s'agit ici de l'une des huit illustrations apparaissant à la fin de chaque groupe de chants de thème similaire.

Jusque dans l'art islamique, il symbolise la renaissance éternelle de la nature et la fugacité de la condition humaine.

Anonyme, Arbre de vie, (mosaïque, ca 724-743), Sol, salle d'audience des bains du palais de Hisham (8e s.)

Khirbat al-Mafjar, Jéricho (Palestine)

Domaine public © G.N.U.→

Ce pommier ombrageant des gazelles paissant tranquillement à gauche et chassées par un lion à droite, pourrait symboliser l'existence humaine oscillant entre répit et danger.

Au 20e s. encore, il inspire de grands plasticiens. L'un des plus célèbres « arbres de vie » du siècle passé est celui de Klimt :

Gustav Klimt (1862–1918), L'arbre de vie, triptyque (1909 ; ici : étude préparatoire ; fresque ultime : palais Stoclet, Bruxelles)

Musée des Arts Appliqués, MAK, Vienne (Autriche)

Domaine public © Wikicommons→ 

Les trois parties du triptyque sont intitulées : L’Attente, L’Arbre de Vie et L’Accomplissement. L'œuvre achevée n'est pas publique : elle a été réalisée à fresque par l'atelier de la Wiener Werkstätte, chargé de la réalisation de la décoration du Palais Stoclet du nom du belge Adolphe Stoclet, commanditaire de Klimt.

L’arbre de vie est un sujet extrêmement ancien. On trouve deux arbres dans le Jardin d’Eden : l’Arbre de vie et l’Arbre de la Connaissance, actant principal du péché originel. L’Arbre de Klimt concentre le cycle de la vie : les feuilles d'automne et les bourgeons de printemps, l'ensemble du cosmos (oiseau et fleurs), le monde sous-terrain des racines, le monde humain du tronc et le monde céleste des branches. Il est structuré en 7 branches (symboles des caractères et humeurs humains) démultipliées en ramifications finissant en spirales (suggérant la répétition cyclique de la vie). Les deux panneaux qui l'encadrent présentent à gauche une danseuse, « L’attente » et à droite « L’accomplissement » avec un couple d’amoureux rappelant le tableau du Baiser du même artiste.

Un symbole chrétien : du bois à la croix

Dans le christianisme, les deux arbres du paradis, l’arbre de la connaissance du bien et du mal et l’arbre de l’immortalité, sont des types du Messie crucifié : l’arbre de la croix est le lieu où la mort est devenue le début de la vie. La typologie de la croix comme arbre culmine au 13e s. dans le traité de Bonaventure, Lignum.

Dans les arts visuels, cette analogie se déploie dans le motif des « crucifix ramifiés » : la croix-Arbre de Vie devient tronc feuillu à branches, fruits et nœuds.

Le motif est à la fois protologique et eschatologique, renvoyant à la fois à la Genèse et à l'Apocalypse, à l'Éden et au Golgotha, à Ève et à Marie, à Adam et au Christ, nouvel Adam.

Un exemple d'enluminure typologique

Berthold Furtmeyr (ca. 1446-1501), Arbre de vie flanqué de Marie et d'Ève (au centre), pigments en détrempe sur parchemin, 1478-1489

Enluminure du Salzburger Missale, Bayerische Staatsbibliothek Clm 15708-15712

Public Domain © Wikicommons→.

L'arbre de vie scinde le médaillon en deux espaces symétriques. À droite, Ève prend du fruit de l'arbre et le donne à un homme derrière elle ; la Mort l'accompagne au second plan. Au-dessus d'elle, le feuillage de l'arbre supporte le crâne d'Adam. La Chute d'Ève, et par elle, de l'Humanité, conduit à la mort. À gauche, Marie fait face à Ève et offre une hostie à un homme derrière elle. Le Christ en croix surplombe sa mère, dans les feuilles de l'arbre. Cette partie du médaillon met en évidence les correspondances typologiques entre le Christ et Adam ainsi qu'entre Marie et Ève. L'arbre est ainsi porteur de vie et de mort.

Vincenti dabo edero de ligno vite : une inscription médiévale

Un médaillon émaillé avec une représentation de l'arbre de vie conjugue à la fois une citation du Ps 24,10 et d'Ap 2,7 confortant les lectures typologiques entre l'Ancien et le Nouveau testament. 

Inscription sur le pourtour : « Universæ viæ Domini, misericordia et veritas » (Ps 24,10), dans le phylactère : « qui vicerit dabo illi edere de ligno vitæ » (Ap 2,7). Conservé dans le Trésor de la Collégiale de Notre-Dame de Huy, le médaillon qui pourrait avoir fait partie d’un triptyque. Voir Stavelot Triptych 1980,28 n°6.

Anonyme, art mosan, Arbre de Vie, médaillon émaillé, vers 1160

Trésor de la collégiale Notre-Dame, Huy (Belgique)

© Traumrune→ CC BY 3.0→

Un symbole juif

La tradition mystique juive (Kabbale) elle-même déploie sa méditation de l’unipluralité divine sous forme d'un Arbre de Vie, l’« arbre séphirotique » :

Anonyme, Arbre de vie séfirotique, (gravure sur bois)

page de titre in Gikatilla (Yosef Ben Abraham) Portae lucis (trad. latine par Paul Ricius de sections de Shaarei Ora, Mantoue, 1ère éd. impr. 1561) Augsburg, Johann Miller, 1516

Musée de l'Embassy of the Free Mind, Amsterdam, Pays-Bas — photo : Sander Petrus © CC BY-SA 4.0→

Tradition kabbalistique, L'arbre de vie avec les nom des dix sephiroth

© Domaine public→ 

Les séphiroth sont les dix puissances créatrices émanées de l'énergie du Créateur et faisant rayonner le Sans-fin (En Sof) dans le monde fini. En voici une traduction possible : 

Ben Siesta, Arbre de vie de la kabbale avec les noms des séphiroths traduits en français (image numérique, 2019)

© CC BY-SA 4.0→ 

Dans l’architecture sacrée, tant juive que chrétienne, le motif de l'arbre de vie apparaît fréquemment, diversement stylisé.

Liturgie

3 Comme le bois Offertoire pour la Saint-Benoît

« Tamquam lignum » Offertoire

Traditionnel, Offertoire - Tamquam lignum

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Ps 1,3

Offertoire chanté pour la fête de saint Benoît le 11 juillet.