La Bible en ses Traditions

Philémon 1,10

Byz V S TR Nes

10 Set je t’exhorte au sujet de mon enfant

V Sfils que j’ai engendré dans mes

V Nesles chaînes

Onésime

Réception

Liturgie

1–21 Deuxième lecture du 23e dimanche du TO, année C

Lectionnaire œcuménique révisé 

Phm 1-21 est précédé ou bien de Jr 18,1-18 ; Ps 139,1-6.13-18 ou bien de Dt 30,15-20 ; Ps 1 ; et suivi par Lc 14,25-33.

Lectionnaire dominical romain

Phm 9b-10.12-17 est précédé de Sg 9,13-18b ; Ps 90,3-6.12-14.17 et suivi par Lc 14,25-33.

Le rappel à Philémon de considérer Onésime maintenant comme un frère et non plus comme son esclave prépare l’enseignement de Jésus qui invite dans l’évangile ceux qui veulent le suivre à renoncer aux biens matériels. La requête de Paul à Philémon se comprend alors comme le cas particulier d’un enseignement biblique plus général.

7–20 Lectionnaire quotidien romain

Messe du jeudi de la 32e semaine du TO-II

Ce texte se lit avec Lc 17,20-25, où l’enseignement de Jésus sur la venue du fils de l’homme, qui doit souffrir et être rejeté par les hommes, a un lien ténu avec la situation critique d’Onésime.

Texte

Procédés littéraires

10b.11b Onésime + utile — Jeu de mots entre Onêsimos (« profitable ») et euchrêstos (« utile »), qui sont synonymes. Euchrêstos est peut-être aussi un jeu de mots avec Christos (« Christ », v.8-9c) car la voyelle èta commençait à cette époque à se prononcer comme iota (phénomène de iotacisme).

Contexte

Textes anciens

10a je t’exhorte au sujet de mon enfant que j'ai engendré

Refuge auprès d'une autorité sacrée

On a retrouvé de nombreux écriteaux d’avis de recherche, offrant de l’argent pour l’arrestation d’esclaves évadés. Le refuge auprès d’une autorité sacrée était fréquent, surtout dans la ville d’Éphèse, située dans les environs de Colosses. La situation d’Onésime était donc plutôt courante.

  • Achille Tatius Leuc. Clit. 7,13,2-3 « Le temple était depuis toujours interdit aux femmes libres et ouvert seulement aux hommes et aux vierges. Si une autre femme y entrait, la mort était la punition de son crime, sauf s’il s’agissait d’une esclave ayant légitimement à se plaindre de son maître ; dans un tel cas, il lui était permis de se rendre en suppliante auprès de la déesse ; les magistrats tranchaient le différend entre elle et son maître. S’ils jugeaient que le maître n’avait aucun tort à son égard, il reprenait possession de l’esclave, après serment de ne lui tenir aucune rigueur pour sa fuite. Mais si la sentence était rendue en faveur de la servante, elle restait là comme esclave de la divinité. »

Intervention d'un tiers

  • Pline Ep. 9,21 (une recommandation pour un affranchi) « Votre affranchi contre lequel vous vous dites furieux est venu à moi et, se prosternant à mes pieds comme il l’aurait fait aux vôtres, ne veut plus les quitter. Il a longtemps pleuré, longtemps prié, longtemps aussi gardé le silence ; bref, il m’a fait croire à ses regrets. En vérité, je l’estime corrigé parce qu’il sent qu’il a eu tort. Vous êtes en colère, je le sais, et en colère avec raison, je le sais aussi : mais la douceur est surtout méritoire quand on a de plus justes motifs de colère. Vous avez aimé cet homme et, je l’espère, vous l’aimerez encore : en attendant, il suffit que vous vous laissiez fléchir, ce sera plus excusable. Accordez quelque chose à sa jeunesse, quelque chose à ses larmes, quelque chose à votre bonté naturelle. Cessez de le tourmenter, de vous tourmenter du même coup ; car c’est un tourment pour vous, si doux, que la colère. Vous allez trouver, je le crains, qu’au lieu de prier, j’exige, si je joins mes supplications aux siennes ; je les joindrai pourtant d’autant plus abondamment et largement que je l’ai repris lui, plus vivement et plus sévèrement, l’ayant menacé sans détour pour vous, car peut-être supplierai-je encore, obtiendrai-je encore ; mais il s’agira toujours d’une prière qu’il soit décent à moi de faire, à vous d’exaucer. »

Il semble que le recours à un ami de la famille puisse être une façon de régler les conflits entre maîtres et esclaves :

  • Justinien Dig. 21,1,17,§4  « Vivianus [un juriste peu connu de la fin du Ier siècle apr. J.-C.,] dit : Proculus, interrogé à propos de quelqu’un qui s’était caché dans la maison de son maître afin de trouver une occasion de s’enfuir, dit : “Même s'il n'a pas pu trouver comment s'enfuir, puisqu’il était resté à la maison, cependant il était fugitif.  Mais s’il s’est caché jusqu’à ce que la colère de son maître se dissipe, il n’était pas fugitif. À l’instar de celui qui, réalisant que son maître voulait le battre, s’est réfugié chez un ami qu’il a convaincu d’intercéder pour lui.” »
  • Justinien Dig. 21,1,17,§5 « Vivianus écrit encore que si un jeune esclave a quitté le maître d'école et est revenu chez sa mère, il est fuyard s'il se cache pour ne pas revenir chez son maître ; mais si c'est pour obtenir grâce à sa mère un pardon de quelque faute qu'il aurait commise, il n'est pas fuyard. »

Réception

Tradition chrétienne

10b Onésime Prosopographie S’adressant à l’Église d’Éphèse un demi-siècle plus tard, Ignace d’Antioche parle d'un homme appelé Onésime :

  • Ignace d’Antioche Eph. 1,3 « C’est donc bien toute votre communauté que j’ai reçue au nom de Dieu, en Onésime, homme d’une indicible charité, votre évêque selon la chair. »

La tradition chrétienne a souvent assimilé cet Onésime à l’esclave en fuite, affirmant par là l’efficacité de la lettre de Paul et la sincérité de celui que l’Apôtre engendra dans la chair.

Propositions de lecture

1–25 Supplique d'un apôtre devenu pater familias

Structure

Adresse (v.1-3)

À son accoutumée, Paul profite de l’adresse pour transmettre une bénédiction aux destinataires de l’épître : Genres littéraires Phm 1,1ss.

Action de grâces (v.4-7)

L’épître est l’occasion de féliciter Philémon de sa foi et de sa charité, qui provoquent joie et consolation à l’Apôtre : Genres littéraires Phm 1,4–7. Elle est mobilisée au service de l'argumentation de Paul : il rappelle que la communion dans la foi ne peut rester une simple adhésion intellectuelle mais doit s’épanouir dans une réflexion éthique (la connaissance du bien qui est en nous pour le Christ) et de véritables actions (la charité qui produit le réconfort).

Demande (v.8-19)

L’essentiel du corps de l’épître est consacré à la requête de Paul. Tout en affirmant laisser Philémon libre de son choix (v.8), l’Apôtre présente divers arguments pour le convaincre de recevoir Onésime sans le punir. Paul présente ainsi sa demande : que Philémon ne tienne pas rigueur à Onésime de s’être enfui de chez lui pour se réfugier chez Paul. En effet, converti par Paul et devenu chrétien, il est bien plus que le simple esclave de son maître : il est comme son propre frère.

Conclusion (v.20-22) et salutations (v.23-25)

L’épître se clôt par l’assurance d’être entendu de Philémon (v.20-21), une promesse de voyage (v.22), un échange de salutations de la part des collaborateurs de Paul (v.23-24) et une bénédiction finale (v.25) : Genres littéraires Phm 1,20–25.

Caractérisation de Paul : apôtre, père, commerçant, ironiste ?

On peut se lancer dans des considérations de morale sociale (Théologie Phm 1,12), peut-être anachroniques (Milieux de vie Phm 1,16a) ; on peut aussi être sensible à la subtilité des relations humaines tissées par Paul.

Père et victime

Deux thèmes sont à l’œuvre : la prison et les entrailles (le cœur : Milieux de vie Phm 1,7b.12b.20b). Ils construisent une figure subtile d’autorité de l’Apôtre, qui apparaît à la fois comme un modèle de souffrance pour la foi et comme un modèle de paternité. Paul devient pater familias de Philémon et d’Onésime, qui sont maintenant frères (c.-à-d. la paternité de Philémon est relativisée). Plutôt que de faire appel à son autorité apostolique (v.8), Paul préfère se présenter comme un père et comme une victime (v.9).

Négociateur madré

Il le fait avec une tendre ironie (Procédés littéraires Phm 1,8s), feignant la négociation commerciale (Milieux de vie Phm 1,19ab), multipliant les arguments jusqu’aux limites de la préciosité (comme le jeu de mots sur le nom de l'esclave : Procédés littéraires Phm 1,10b.11b ; Procédés littéraires Phm 1,20a), comme s'il ne voulait pas imposer sa volonté, malgré son insistance (Phm 20-21) et alors qu'il rappelle à Philémon qu'il ne lui doit rien moins que... lui-même : Procédés littéraires Phm 1,19c !