La Bible en ses Traditions

Lévitique 12,2

M G V Sam
S

— Parle aux fils d’Israël disant :

— Quand une femme produira semence

G V Samaura été ensemencée et enfantera un garçon

M G Samalors elle sera impure sept jours

selon les jours de la souillure de son indisposition 

Gl’isolement de son indisposition

Vséparation menstruelleM G Sam elle sera impure.

— Parle avec les fils d’Israël en leur disant :

— Quand une femme sera enceinte et enfantera un garçon

elle sera impure sept jours

comme aux jours de sa menstruation elle sera impure.

2cd Impureté des menstrues Lv 15,19.33 ; 18,19 ; Ez 18,6 ; 22,10 ; 36,17

Texte

Procédés littéraires

2b Quand une femme Formule juridique stéréotypée M : ’iššâ kî. Dans la plupart des lois, la conjonction introduit le cas principal (ici, la naissance d’un garçon).

Vocabulaire

2b produira semence Forme rare M : tazrîa (hiphil de zr‘) ; appliqué à la fécondation humaine, ce verbe est rare (un seul autre exemple : Nb 5,28). Le mode factitif ne se rencontre ailleurs dans l’AT qu’en Gn 1,11-12Comparaison des versions Lv 12,2b

Réception

Tradition chrétienne

2–8 Impureté du nouveau-né et nécessité du baptême Origène Hom. Lev. 8,3-4, cherchant prudemment à comprendre les raisons de l’impureté de la parturiente (« Pour moi, en de telles matières, je n’ose rien dire ») en vient à parler de l’impureté du nouveau-né et de la nécessité du baptême.

Texte

Procédés littéraires

1.2a Répétition

Rhétorique : introduction stéréotypée

Formule double introduisant le treizième discours divin du Lévitique. On trouve des introductions strictement identiques en Lv 4,1-2 ; 7,22-23.28-29 ; 23,23-24.33-34.

Énonciation : changement d'interlocuteur

Ici, bien qu’il soit encore question de problèmes de pureté, Dieu ne s’adresse plus qu’à Moïse et non pas à Moïse et Aaron comme dans le discours précédent et dans le discours suivant (Lv 11,1 ; 13,1).

Réception

Théologie

1–8 THÉOLOGIE BIBLIQUE Pureté rituelle et sainteté L’impureté de la parturiente n’a aucun caractère moral : tout tourne autour des dichotomies pur/impur et saint/profane.

Pour les auteurs de Lv, le sang c’est la vie (Lv 17,10-12) et la vie appartient à Dieu. Toute perte de sang — ce qui est le cas pour l’accouchement comme pour les menstrues (Lv 15,19-30) — entraîne une perte de vitalité qui, non maîtrisée, conduit à la mort et, contredisant en quelque sorte le dynamisme de vie du Dieu créateur, provoque l’impureté. 

L’impureté s’oppose donc à la sainteté comme la mort à la vie. Et c’est ce conflit — compte tenu de l’exigence faite au peuple d’être saint (Lv 19,2) pour que le Dieu saint puisse résider en son sein — qui commande un processus de purification.

Tradition juive

1s Une parasha importante

Selon la classification rabbinique (Sef. Ḥinnuk ; Maïmonide Mitzvot), cette parasha contient 5 commandements positifs et 2 interdictions, soit 7 des 613 prescriptions de la loi juive.

Texte

Procédés littéraires

2–8 Construction : double chiasme

  • v.2-5 : Durée de l’impureté de la mère pour une naissance : {A. un garçon (v.2-4a) [B. conséquences de l’état d’impureté dans le cas d’un garçon et d’une fille : interdiction d’approcher les sancta (v.4bc)] A’. une fille (v.5)} ;
  • v.6-8 : Rituel sacrificiel en fin de période d’impureté : {C. cas standard (v.6-7ab) [D. souscription récapitulative dans le cas d’un garçon comme d’une fille (v.7c)] C’. cas particulier du pauvre (v.8)}.

Propositions de lecture

1–8 Les rites entourant les naissances Lv 12 décrit les principaux rites de naissance considérés surtout du point de vue de la femme qui vient d’accoucher (mise en quarantaine plus ou moins prolongée selon le sexe du nouveau-né et offrande d’un sacrifice à la fin de la période). Le processus purificatoire de la parturiente s’accomplit en deux étapes.

  • Durant la première (7 ou 14 jours), assimilée à la période d’impureté menstruelle (v.2 et 5), la mère est interdite de tout contact direct ou indirect avec autrui sous peine de transmettre son impureté (cf. Lv 15,19-24).
  • Durant la seconde phase, plus longue (33 ou 66 jours), mais moins restrictive, elle ne peut s’approcher des choses saintes (sacrifice de communion, prébendes sacerdotales, …) et notamment du sanctuaire (v.4).

Structure

Malgré une apparence composite (Procédés littéraires Lv 12,8), le discours est soigneusement composé. Hors introduction, il est divisé en deux parties bien distinctes :

  • v.2-5 : durée de l’impureté de la mère pour une naissance ;
  • v.6-8 : rituel sacrificiel en fin de période d’impureté.

Chacune d’elles constitue un chiasme (Procédés littéraires Lv 12,2–8) :

  • v.2-5 : le calendrier de la purification (naissance d’un garçon ; naissance d’une fille) ;
  • v.6-8 : l’offrande d’un sacrifice (situation standard ; cas du pauvre).

Inégalité de traitement (littéraire) des naissances mâle et femelle : indices de compassion pour les femmes en contexte patriarcal(iste) ?

Si la structure du discours reflète une certaine cohérence conceptuelle, on peut supposer que l’ordre dans lequel les sujets sont traités et la manière dont ils sont introduits ne doivent rien au hasard, mais sont eux-mêmes significatifs.

  • En commençant par la fin du texte, il est clair que l’offrande réduite de deux oiseaux (introduite par « Et si », v.8a) est une mesure de compassion pour les plus pauvres,
  • tandis que le sacrifice d’une tête de bétail correspond à la situation normale et souhaitée.

Si cette logique prévaut aussi pour l’organisation de la première partie (v.2-5), on peut en conclure

  • que la naissance d’un garçon, dans une société où le fils transmet le nom et assure la continuité du clan, représente la situation normale et souhaitée,
  • tandis que le cas d’une fille (introduit par « Mais si », v.5a), jugée plus démunie ou moins appréciée, nécessite des mesures de protection et de compassion supplémentaires : d’où le double temps accordé à la mère pour assurer le processus de purification et nouer avec son nouveau-né des liens qui, sans cela, risqueraient de se défaire.

Réception chrétienne

Ce chapitre permet de comprendre les rites entourant la naissance de Jésus (cf. Lc 2,22-24 ; Milieux de vie Lv 12,1–8), et les Pères y découvrent même de prophétiques allusions à la conception virginale de Jésus (Tradition chrétienne Lv 12,2b) et à son mystère pascal (Tradition chrétienne Lv 12,3).

Contexte

Milieux de vie

1–8 Rites autour de la naissance dans l'Antiquité Les rituels autour de la naissance ont un fondement anthropologique et appartiennent au patrimoine commun à toutes les civilisations :

  • p. ex., l’amphidromie dans la Grèce antique, cérémonie marquant — cinq jours après la naissance — la reconnaissance du nouveau-né par son père ; celui-ci fait le tour du foyer, présentant l’enfant à Hestia.

De même, l’idée d’impureté de la parturiente et la disparité des périodes purificatoires pour la naissance d’un enfant sont universelles.

  • Pour l’Antiquité, la comparaison la plus féconde s’établit entre la culture israélite et la culture hittite. Le rituel hittite est cependant plus compliqué et intègre de forts éléments magiques absents de la législation israélite. La valeur conférée au sang qui motive et justifie la plupart des prescriptions bibliques est un bien propre d’Israël.

Textes anciens

1–8 Période d’impureté plus longue pour la naissance d’une fille Dans un rituel hittite de la cité de Kizzuwatna, intitulé Quand une femme conçoit, la période d’impureté est également plus longue pour la naissance d’une fille que pour celle d’un garçon :

  • KBo XVII 65 (= CTH 489.A) §26-29 « [Mais (quand) la femme donne naissance, et tan]dis que le septième jour (après la naissance) est arrivé, ils accomplissent l’offrande du nouveau-né en ce septième jour. De plus, [si un garçon est n]é, quel que soit le [mo]is où il est né — si un jour ou deux jours [reste]nt — alors [à partir de ce mo]is ils décomptent. Et quand le troisième mois a[rrive], alors le garçon avec kunziganna[ḫit] ils [pur]ifient. Car les voyants sont experts avec le kunzigannaḫit, et ceci [à… il]s offrent. Mais si une fille est née, [alors à partir de c]e mois ils décompt[ent]. Mais [qu]and le quatrième mois arrive, alors ils purifi[ent] la fille avec [kunzi]gannaḫit » (trad. de l'anglais de Beckman 1983, 143 ).

Réception

Liturgie

1–8

CALENDRIER — La fête de la présentation de Jésus au Temple et de la purification de la sainte Vierge

  • La fête de la présentation de Jésus au Temple, 40 jours après Noël (2 février), célèbre (depuis l'an 386 en Orient) ces événements et devient en Occident, à partir du 8e s., la fête de la présentation de Jésus et de la purification de sainte Marie.
  • Dans le calendrier du Livre de prière commune de l’Église anglicane, autorisée en 1662, la fête du 2 février est appelée « La purification de la B.V. Marie ».

RITUEL Célébration des relevailles

La pratique juive n’a pas été la seule à être influencée par la législation vétérotestamentaire (Tradition juive Lv 12,4a). L’idée que la parturiente était impure et devait se rendre au sanctuaire après la naissance pour sa purification est aussi passée dans l’Église orientale, puis dans celle d’Occident. Et cela d’autant plus que Marie accomplissant les préceptes de la Loi (Lc 2,22-24) offrait un modèle parfait à toutes les mères chrétiennes.

Dans le christianisme
  • Vers le 8e s., sous l'influence de la nouvelle fête de la présentation et de la purification, bien qu’aucune loi de l’Église n’ait jamais prescrit une telle démarche ou n’ait jamais interdit à une femme d’entrer dans une église aussitôt après l’accouchement, apparaissent les premiers formulaires de cérémonie de « relevailles » (Ordo ad purificandam mulierem ; Introductio mulieris post partum in ecclesiam).
  • Cependant, à partir de 1614 et du Rituale Romanum (tit. VIII, ch.6), publié par le pape Paul V, la dimension de purification a laissé la place, au moins dans les textes officiels, à celle d'une bénédiction (Benedictio mulieris post partum).
  • Le Livre de prière commune de l’Église anglicane propose un rite d’« Action de grâces d’une femme après son accouchement ».
  • Une mère catholique, surtout si elle n’a pu prendre part au baptême de son enfant, pourra s’associer à une cérémonie telle que le livre des bénédictions (1984) le propose (Ordo benedictionis mulieris post partum).
Dans le judaïsme

De nos jours une nouvelle accouchée juive, en plus des lois habituelles de niddâ (Procédés littéraires Lv 12,2d), se contentera de s’immerger dans un bain rituel à l’issue de la période d’impureté rituelle.

Texte

Procédés littéraires

2d.5b souillure Variation Au v.5b l’expression est un peu différente :

  • absence de « aux jours de » pour une raison évidente : dans le cas de la naissance d’une fille, la comparaison avec la période des règles ne porte plus sur la durée, mais uniquement sur les conséquences.
  • absence de « de son indisposition » pour la même raison sans doute.

2d la souillure de son indisposition Locution euphémique M : niddat dôtāh désigne les règles de la femme. Le premier terme (niddâ, nom donné à un des traités de la Mishna légiférant sur le statut de la femme qui a ses règles) dérive d’une racine ndh ou ndd signifiant « faire partir, expulser » et se rapporte, en premier lieu, à l’élimination du sang menstruel avant de désigner l’impureté en général (2Ch 29,5). Le second terme (racine dwh) renvoie à la situation de la femme et connote l’idée de faiblesse, d’indisposition, de maladie (cf. akk. dawû et oug. dwy).

Réception

Comparaison des versions

2b produira semence : M | S : sera enceinte | Sam G V : aura été ensemencée

  • M : tazrîa ;
  • S : tbṭn ;
  • Sam : tzr‘ ; G : spermatisthêᵢ et V : suscepto semine lisent tizzāra‘ (niphal, mode passif) : « aura été ensemencée ».

La différence pourrait trahir des conceptions embryologiques divergentes,

  • les premiers soutenant la théorie hippocratique (l’homme et la femme produisent chacun une semence),
  • les secondes se rattachant plutôt à la théorie aristotélicienne (la semence masculine est l’unique principe prolifique, la femme étant un réceptacle passif). Tradition juive Lv 12,2b

Littérature péritestamentaire

2–5 Origine dans la protohistoire Fidèle à son principe de placer l’origine de certaines prescriptions mosaïques dans la protohistoire, le Livre des jubilés fonde les lois de la parturiente sur le récit de la création lui-même et sur la création d’Adam et Ève plus particulièrement (Gn 1-3) :

  • Jub. 3,8-14 « C’est pendant la première semaine qu’Adam fut créé ainsi que la côte, sa femme ; c’est la deuxième semaine qu’Il [= Dieu] la lui montra. C’est pourquoi il a été ordonné de garder (les femmes) dans leur impureté une semaine pour un garçon et deux semaines pour une fille. Après qu’Adam eut passé quarante jours sur la terre où il avait été créé, nous l’avons fait entrer dans le jardin d’Éden pour qu’il le cultive et le garde. Mais sa femme, on la fit entrer le quatre-vingtième jour […]. C’est pour cela qu’est inscrit sur les tables célestes le commandement concernant la parturiente : si elle a mis au monde un garçon […] ; pour une fille […]. Quand elle eut accompli ces quatre-vingt jours, nous l’avons fait entrer dans le jardin d’Éden, car il est plus sacré que toute terre, et tout arbre qui y est planté est sacré. C’est pourquoi a été instituée la règle de ces jours pour celle qui met au monde un garçon ou une fille : elle ne doit toucher à rien de sacré, ni entrer dans le sanctuaire jusqu’à ce que soit accompli le temps (prévu) pour un garçon ou pour une fille. Telles sont la loi et la prescription écrites pour Israël. Qu’on les observe tout le temps. »

Des échos de cette lecture se retrouvent en 4Q265 (frag. 7, col. 2, 11-17).

Tradition juive

2b Quand une femme produira semence Sur les conceptions embryologiques des rabbins, voir

Tradition chrétienne

2b Quand une femme aura été ensemencée (G) Prophétie de la conception virginale de Jésus Suivant G (Comparaison des versions Lv 12,2b), plusieurs auteurs anciens s’interrogent sur l’apparente redondance de cette phrase (une femme peut-elle enfanter sans avoir reçu une semence ?) et concluent que la répétition n’est pas superflue car elle annonce la Vierge Marie, celle qui a conçu sans semence :

  • Origène Hom. Lev. 8,2 « Il y a une exception mystérieuse qui met à part du reste des femmes la seule Marie, dont l’enfantement ne provint pas de la réception d’une semence, mais de la présence "du Saint-Esprit et de la puissance du Très-Haut" (Lc 1,35). »
  • Rupert de Deutz Trin. In Lev. 2,16 va dans le même sens : « L’Esprit prophétique a religieusement précisé la Loi, en disant : "Si après avoir été ensemencée, elle enfantera." D’avance, il voyait qu’il y aurait une femme qui, dans l’avenir, enfanterait sans avoir reçu la semence. Autrement, il n’aurait pas donné cette précision. Donc une seule femme, la seule et unique Mère du Christ Fils de Dieu, fut parfaitement libre de la nécessité de la Loi ; et cependant, par un mouvement spontané d’humilité, elle se soumit à la Loi, ce qui est tout à sa louange » (PL 167,802B-C).