La Bible en ses Traditions

Psaumes 1,2–6

M
G S
V

mais qui a son plaisir dans la loi de Yhwh

et qui la médite jour et nuit.

... 

mais dans la Loi du Seigneur est sa volonté,

dans sa Loi il méditera jour et nuit !

Il est comme un arbre planté près des cours d'eaux 

qui donne  son fruit en son temps

et dont le feuillage ne se flétrit pas :

tout ce qu’il fait réussit.

...  

Il sera comme le bois

qu'on a planté près d'un cours d'eau 

qui portera son fruit en son temps

et sa feuille ne pendille pas.

Il n’en est pas ainsi des impies

 ils sont comme la paille que le vent emporte.

...

Ils ne seront pas comme ça, les impies ÷pas comme ça:

mais comme la poussière que projette le vent ÷à la face de la terre:

M S
G
V

Ainsi

SCar ceci : les méchants ne se relèveront pas au jugement

ni les pécheurs au rassemblement

Sà l'assemblée des justes

C’est pourquoi les impies ne se relèveront pas au jugement

ni les pécheurs au conseil des justes 

ainsi les impies ne ressusciteront pas au jugement

ni les pécheurs au conseil des justes 

M V
G S

car YHWH connaît

Vpuisque le Seigneur a reconnu la voie des justes

et le chemin pécheurs mène à la ruine.

Vla route des impies s'en est allée.      

...

6 Perte des impies Ps 112,10

Texte biblique

3a arbre De l’arbre de vie à l’arbre de la croix

Bois et/ou arbre

Selon son sens premier en hébreu ‘ēç signifie « bois », matière de l’arbre. De même xulon en grec et lignum en latin. Mais tandis que ‘ēç est pratiquement le seul substantif pour désigner un arbre, le grec et le latin ont en plus un terme plus spécifique, respectivement dendron (30 fois AT, 25 fois NT) et arbor (38 fois AT, 31 fois NT).

Arbre de vie

Concentrons-nous sur l'expression « arbre de vie », une spécification que la tradition juive et chrétienne s'est permise dans la relecture du v.3a. Comparaison des versions Ps 1,3a ; Tradition chrétienne Ps 1,3a

Ancien Testament
  • Dans le récit des origines ‘ēç ḥayyîm est symbole de la plus-que-vie qui est l'apanage de Dieu seul et que lui seul peut gratuitement donner si l'homme ne cherche pas à se l'arroger par ses seules forces (Gn 2,9 ; 3,22.24). G et V traduisent uniformément par xulon tês zôês / lignum vitae
  • Dans la littérature sapientielle par contre l'expression devient une métaphore anthropologique de l'intelligence, de la récompense du juste, du désir comblé et de la parole qui guérit (Pr 3,18 ; 11,30 ; 13,12 ; 15,4). G traduit par dendron zôês sans article, sauf dans le premier texte (xulon zôês), et V toujours par lignum vitae.
  • Dans les apocryphes de la Septante, on compte deux occurrences supplémentaires : xulon zôês (4 Macc. 18,16 citant nommément un proverbe de Salomon : « le Seigneur est un arbre de vie pour ceux qui font sa volonté ») ; xula tês zôês (Ps. Sal. 14,3 « le paradis du Seigneur, les arbres de la vie, ce sont ses dévots »). 
Nouveau Testament

Les quatre occurrences de xulon zôês se trouvent toutes dans l'Apocalypse, en lien avec l'image du paradis et de la Jérusalem céleste (Ap 2,7 ; 22,2.14.19). Au volet tragique des temps primordiaux (Urzeit ; cf. Gn 2,9 ; 3,22.24) correspond par antithèse le volet radieux de l'au-delà du temps (Endzeit) où le drame initial est définitivement dénoué. 

La croix arbre de vie

De l'arbre de vie du mythe primordial au bois/arbre (xulon) de la croix du drame évangélique, il n'y a qu'un pas, vite franchi dans l'interprétation chrétienne de notre psaume (Tradition chrétienne Ps 1,3a). Cette transposition théologique devenait obvie à la lumière de quelques textes de l'AT qui parlent de pendaison sur un bois (kremannumi epi xulou ; Gn 40,19 ; Dt 21,22-23 ; Jos 8,24 ; 10,26 ; Est 5,14 ; 6,4 ; 7,10 ; 8,7 ; voire 1 Esd. 6,31). Trois textes du NT reprennent telle quelle l'expression verbale pour l'appliquer à la crucifixion de Jésus (Ac 5,30 ; 10,39 ; Ga 3,13). Tout cela permet de tisser des relations intertextuelles associant l’arbre de vie symbolique à l’arbre réel de la croix. 

Réception

Comparaison des versions

4 V—IUXTA HEBR.

  • Il n’en est pas ainsi des impies | ils sont comme la poussière que le vent emporte.

Arts visuels

1–6 L'homme juste et l'arbre. L'homme juste est comparé à un arbre dans ce psaume. Cette comparaison a été diversement interprétée dans les arts visuels.

... à l'ombre de l'arbre ? 

Peinture d'histoire, 19e s.

Georges Rouget (1783-1869), Saint Louis rendant justice sous le chêne de Vincennes, huile sur toile, 1826, 320 x 260 cm

Château de Versailles

Domaine public © Wikicommons→

Le chêne suffit ici à traduire la vertu du roi Louis IX : le corps du monarque prolonge visuellement le tronc de l'arbre. Le peintre souligne ainsi la vertu affermie du roi, gage d'une justice droite.

... l'arbre lui-même !

L'homme juste a aussi été représenté sous la forme d'un arbre : le comparé et le comparant ne forment plus qu'un !

Peinture contemporaine

Le peintre Roberto Mangú a lu Mc 8,24 et le rapprochement ne lui a pas échappé, pour un résultat saisissant :

Roberto Mangú Quesada (1948-), Grand Vivant, huile sur toile, 2019, 180 x 130 cm

Coll. de l'artiste, D.R. R.M.→ © BEST a.i.s.b.l., Ps 1 ; Mc 8,24

« Heureux l’Homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants... il est comme un arbre planté à la rupture des eaux ». Ps 1 « J’aperçois les hommes, mais j’en vois comme des arbres et qui marchent » (Mc 8,24)

  • « 'Ainsi l’Homme est-il cet arbre puissant aux deux sources de vie. Celui aussi dont témoigne le jeune aveugle guéri par le Christ dans les évangiles, et qui s’écrie : « Je vois un homme, il est comme un arbre qui marche' (A de Souzenelle). « Le monde n’est plus à posséder, il est la réalité splendide dans laquelle l’homme est admis à être vivant et à coopérer à la création avec tout ce qui vit » Éloi Leclerc. Ce titre, emprunté à François Cheng qui dans son livre Assise, Une Rencontre Inattendue évoque spirituellement sa rencontre avec François d’Assise. François Cheng explique ce grand écho du Cantique des créatures : 'Il lui suffit de dire frère Soleil ou sœur Eau, et subitement le rapport entre l’homme et la nature se révèle autre, confiant et fraternel. Du coup, l’univers prend une autre coloration, et l’homme une autre dignité.' » (R.M.Q., 2022)

3 L'arbre. Un motif judéo-chrétien de portée universelle.

Un symbole universel

L'abre constitue un motif universel dans les arts visuels. Motif central ou secondaire dans les compositions artistiques, les arbres apparaissent dès les premiers versets de la Genèse (Gn 1,29). Parmi ces eux, se trouve l'arbre de vie, auquel les traditions juive et chrétienne ont rattaché l'arbre du v.3a (Comparaison des versions Ps 1,3a ; Tradition chrétienne Ps 1,3a).

L’arbre du paradis originel des Écritures, dont les fruits devaient assurer l'immortalité, peut aussi se rapprocher de l’arbre mythologique décoratif présent dans les croyances de nombreux peuples, depuis l'époque préhistorique en Mésopotamie et dans l'Antiquité, entre autres en Égypte, en Grèce, en Babylonie, en Perse et en Inde, avec des symboliques variées. Au Moyen-Orient, l’arbre de vie symbolise l’immortalité ; en Chine et en Inde, le centre de l’univers. Dans le Bouddhisme, il est nommé « le Bodhi » : Bouddha a eu l’éveil sous cet arbre, lieu de ses enseignements premiers. 

Dans l'art chrétien médiéval, ces symbolismes naturels ne sont pas oubliés :

Maître des Carmina Burana (Alpes du Sud), Arbres en abondance, enluminure (pigments en détrempe sur parchemin, ca. 1230), 25 x 17 cm

Bibliothèque d'État de Bavière, Munich — Clm 4660

Domaine public © Wikicommons→ 

Le manuscrit Carmina Burana compile 318 chants profanes latins (quelques-uns sont en moyen-haut allemand) en 112 feuillets et contient aussi deux pièces sur la Nativité et sur la Passion. Il s'agit ici de l'une des huit illustrations apparaissant à la fin de chaque groupe de chants de thème similaire.

Jusque dans l'art islamique, il symbolise la renaissance éternelle de la nature et la fugacité de la condition humaine.

Anonyme, Arbre de vie, (mosaïque, ca 724-743), Sol, salle d'audience des bains du palais de Hisham (8e s.)

Khirbat al-Mafjar, Jéricho (Palestine)

Domaine public © G.N.U.→

Ce pommier ombrageant des gazelles paissant tranquillement à gauche et chassées par un lion à droite, pourrait symboliser l'existence humaine oscillant entre répit et danger.

Au 20e s. encore, il inspire de grands plasticiens. L'un des plus célèbres « arbres de vie » du siècle passé est celui de Klimt :

Gustav Klimt (1862–1918), L'arbre de vie, triptyque (1909 ; ici : étude préparatoire ; fresque ultime : palais Stoclet, Bruxelles)

Musée des Arts Appliqués, MAK, Vienne (Autriche)

Domaine public © Wikicommons→ 

Les trois parties du triptyque sont intitulées : L’Attente, L’Arbre de Vie et L’Accomplissement. L'œuvre achevée n'est pas publique : elle a été réalisée à fresque par l'atelier de la Wiener Werkstätte, chargé de la réalisation de la décoration du Palais Stoclet du nom du belge Adolphe Stoclet, commanditaire de Klimt.

L’arbre de vie est un sujet extrêmement ancien. On trouve deux arbres dans le Jardin d’Eden : l’Arbre de vie et l’Arbre de la Connaissance, actant principal du péché originel. L’Arbre de Klimt concentre le cycle de la vie : les feuilles d'automne et les bourgeons de printemps, l'ensemble du cosmos (oiseau et fleurs), le monde sous-terrain des racines, le monde humain du tronc et le monde céleste des branches. Il est structuré en 7 branches (symboles des caractères et humeurs humains) démultipliées en ramifications finissant en spirales (suggérant la répétition cyclique de la vie). Les deux panneaux qui l'encadrent présentent à gauche une danseuse, « L’attente » et à droite « L’accomplissement » avec un couple d’amoureux rappelant le tableau du Baiser du même artiste.

Un symbole chrétien : du bois à la croix

Dans le christianisme, les deux arbres du paradis, l’arbre de la connaissance du bien et du mal et l’arbre de l’immortalité, sont des types du Messie crucifié : l’arbre de la croix est le lieu où la mort est devenue le début de la vie. La typologie de la croix comme arbre culmine au 13e s. dans le traité de Bonaventure, Lignum.

Dans les arts visuels, cette analogie se déploie dans le motif des « crucifix ramifiés » : la croix-Arbre de Vie devient tronc feuillu à branches, fruits et nœuds.

Le motif est à la fois protologique et eschatologique, renvoyant à la fois à la Genèse et à l'Apocalypse, à l'Éden et au Golgotha, à Ève et à Marie, à Adam et au Christ, nouvel Adam.

Un exemple d'enluminure typologique

Berthold Furtmeyr (ca. 1446-1501), Arbre de vie flanqué de Marie et d'Ève (au centre), pigments en détrempe sur parchemin, 1478-1489

Enluminure du Salzburger Missale, Bayerische Staatsbibliothek Clm 15708-15712

Public Domain © Wikicommons→.

L'arbre de vie scinde le médaillon en deux espaces symétriques. À droite, Ève prend du fruit de l'arbre et le donne à un homme derrière elle ; la Mort l'accompagne au second plan. Au-dessus d'elle, le feuillage de l'arbre supporte le crâne d'Adam. La Chute d'Ève, et par elle, de l'Humanité, conduit à la mort. À gauche, Marie fait face à Ève et offre une hostie à un homme derrière elle. Le Christ en croix surplombe sa mère, dans les feuilles de l'arbre. Cette partie du médaillon met en évidence les correspondances typologiques entre le Christ et Adam ainsi qu'entre Marie et Ève. L'arbre est ainsi porteur de vie et de mort.

Vincenti dabo edero de ligno vite : une inscription médiévale

Un médaillon émaillé avec une représentation de l'arbre de vie conjugue à la fois une citation du Ps 24,10 et d'Ap 2,7 confortant les lectures typologiques entre l'Ancien et le Nouveau testament. 

Inscription sur le pourtour : « Universæ viæ Domini, misericordia et veritas » (Ps 24,10), dans le phylactère : « qui vicerit dabo illi edere de ligno vitæ » (Ap 2,7). Conservé dans le Trésor de la Collégiale de Notre-Dame de Huy, le médaillon qui pourrait avoir fait partie d’un triptyque. Voir Stavelot Triptych 1980,28 n°6.

Anonyme, art mosan, Arbre de Vie, médaillon émaillé, vers 1160

Trésor de la collégiale Notre-Dame, Huy (Belgique)

© Traumrune→ CC BY 3.0→

Un symbole juif

La tradition mystique juive (Kabbale) elle-même déploie sa méditation de l’unipluralité divine sous forme d'un Arbre de Vie, l’« arbre séphirotique » :

Anonyme, Arbre de vie séfirotique, (gravure sur bois)

page de titre in Gikatilla (Yosef Ben Abraham) Portae lucis (trad. latine par Paul Ricius de sections de Shaarei Ora, Mantoue, 1ère éd. impr. 1561) Augsburg, Johann Miller, 1516

Musée de l'Embassy of the Free Mind, Amsterdam, Pays-Bas — photo : Sander Petrus © CC BY-SA 4.0→

Tradition kabbalistique, L'arbre de vie avec les nom des dix sephiroth

© Domaine public→ 

Les séphiroth sont les dix puissances créatrices émanées de l'énergie du Créateur et faisant rayonner le Sans-fin (En Sof) dans le monde fini. En voici une traduction possible : 

Ben Siesta, Arbre de vie de la kabbale avec les noms des séphiroths traduits en français (image numérique, 2019)

© CC BY-SA 4.0→ 

Dans l’architecture sacrée, tant juive que chrétienne, le motif de l'arbre de vie apparaît fréquemment, diversement stylisé.

Liturgie

3 Comme le bois Offertoire pour la Saint-Benoît

« Tamquam lignum » Offertoire

Traditionnel, Offertoire - Tamquam lignum

Chœur des moines de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© Abbaye du Barroux→, Ps 1,3

Offertoire chanté pour la fête de saint Benoît le 11 juillet.

Texte

Critique textuelle

4 ÷pas comme ça:  + « ÷à la face de la terre: » Bible latine : obèles (et astérisques) On appelle « obèle » le petit signe ÷ . Il a une grande importance dans l'histoire de la constitution et de la transmission des bibles que nous lisons aujourd'hui. En transmettant la bible latine (→Recensions), en effet, →Origène ou saint Jérôme ne voulurent pas livrer un texte prêt-à-lire. Ils choisirent de montrer les « coutures » de la Bible en cours d'élaboration, pour inviter les lecteurs à accueillir le texte sacré dans toute son effervescente interactivité.

Outre la division même du texte en →cola et commata et les →titres et didascalies qu’il interpole dans certains livres, Jérôme souligne cette effervescence du texte biblique d'une version à l'autre, par des signes typographiques devenus fameux : les « astérisques » et « obèles ».

Un obèle pointé

Dans les manuscrits anciens l'obèle simple  (—) signale une interpolation, une répétition ou une erreur dans un manuscrit ancien.

L’obèle pointé (÷) signale l'incertitude sur le fait de laisser ou retirer le passage qui suit.

Origines

Les mots eux-mêmes
  • Issu du grec obelos, « broche » (à rôtir ; en latin verus), l’obèle (nom masc. en français→ ) est le signe ÷, utilisé aujourd’hui pour la division. Jérôme appelle les obèles : « trait transversal » (transversa virga), « tirets » (virgulæ), « tirets horizontaux » (iacentem lineam), « tirets antéposés » (antepositis lineis).
  • Signifiant « petite étoile » (asteriskos en grec, de astêr, « étoile »), l’astérisque (masculin en français→lui aussi), est représenté par le symbole *. Jérôme est sensible à leur aspect graphique, il les nomme « étoiles » (stellæ), ou « signes rayonnants » (signa radiantia). 
Leur fonctions

Dans l’érudition alexandrine, ces signes furent d'abord utilisés pour l'édition critique des textes grecs. Ils revêtirent ensuite des formes et des fonctions diverses dans les papyri littéraires grecs et latins en Égypte, aux époques romaine et byzantine.

Anonyme, Papyrus d'Oxyrhynque III,445 (détail), (encre sur papyrus, 2e-3e s. présentant Homère, Iliade VI,121-148,173-199,445-529)  Brit.Libr. 1190, British Library, Londres © Domaine public

L’astérisque est l’un des sept signes critiques utilisés par Aristarque de Samothrace (ca 216-145) pour éditer Homère. Placé dans la marge, il signale un vers authentique incorrectement inséré ailleurs dans l’œuvre d’Homère. Les astérisques de ce papyrus illustrent cet usage : les vers 490-493 du chant z de l’Iliade y apparaisent placés à tort dans les chants α et θ de l’Odyssée. Sur le papyrus, manque le quatrième astérisque (pour Z 493).

Application à la transmission de la Bible

Origène

Quand il embrasse l'idéal d'une veritas hebraica à partir de 390, Jérôme s’inspire d’Origène : 

  • Jérôme de Stridon, Prol. Pent. 2  « Ce qui a provoqué mon audace, c'est le zèle d'Origène » (SC 592, p.304).

Origène lui-même s’en expliquait ainsi :

  • Origène Comm. Matt. 15,14 « [...] dans le cas des leçons qui sont douteuses dans la Septante à cause du désaccord des copies, nous avons fait notre choix à partir des autres versions, en retenant ce qui s'accordait avec elles ; nous en avons obélisé certains passages, puisqu'ils ne sont pas dans l'hébreu (n'osant pas les retrancher tout à fait) ; nous en avons ajouté d'autres en y mettant des astérisques afin qu'il soit évident qu'ils ne sont pas dans la Septante mais que nous les avons ajoutés d'après les autres versions en conformité avec l'hébreu » (cité dans SC 302, p.496, cf. Ep. Afr. 7 (SC 302, p.530-533)
Des instruments pour rechercher la « vérité hébraïque »

Pour Jérôme comme pour Origène, ces signes sont d’abord les instruments de la recherche d'une plus grande proximité avec le texte hébraïque dont ils disposent :

  • L' astérisque ※ signale un passage oublié par la version grecque courante, mais qui existe dans l’hébreu et les autres versions.

  • L'obèle ÷ signale un passage ajouté dans la version grecque, mais qui n’apparaît pas dans l'hébreu.

Quand c’est un verset, un colon ou un comma entiers qui sont concernés, l’astérisque ou l’obèle est simplement placé au début de la ligne ; lorsque le manque ou l’ajout concerne seulement un mot ou un groupe de mots, Jérôme marque la fin de ce groupe par les deux points : « : ». Cela peut prêter à confusion en langue française, où ce signe de ponctuation existe déjà — mais l'usage des deux points est suffisamment polysémique pour qu’on puisse lui ajouter aussi cette fonction, ont déterminé les auteurs de la présente traduction.

Jérôme lui-même explique le système dans sa préface à sa révision du Psautier de la Septante :

  • Jérôme de Stridon, Praef. in libr. Ps (LXX),3 « Chacun pour sa part doit repérer soit les tirets horizontaux, soit les signes rayonnants, c'est-à-dire les obèles et les astérisques; et partout où il verra un trait d'introduction, qu'il sache que, de là jusqu'aux deux points que nous avons marqués, c'est une addition chez les Soixante-dix traducteurs. Là où en revanche il verra le dessin d'une étoile, qu'il reconnaisse que c'est, également jusqu'aux deux points, une addition venant des rouleaux hébreux, mais d'après l'édition de Théodotion, qui ne s'éloigne pas de la simplicité de style des Soixante-dix traducteurs. » (SC 592,409)

Vers 386-389, saint Jérôme recommande à ses chères Paula et Eustochion, grandes matrones romaines devenues ses disciples, d’y être particulièrement attentives dans les livres de Salomon qu’il vient de restaurer : 

  • Jérôme, Praef. in libr. Salomonis (LXX),1 « Les trois livres à-dire les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques, je les ai restitués à l'autorité ancienne des Soixante-dix traducteurs, soit grâce à des tirets antéposés, pour indiquer tous les éléments adventices, soit grâce à des étoiles placées en tête d'un passage pour insérer tout ce qui manquait, afin que vous sachiez parfaitement, Paula et Eustochium, ce qui manque et ce qui est en plus dans nos livres. Et même les passages que des traducteurs inexpérimentés avaient mal rendus à partir du grec dans notre langue, je les ai corrigés en biffant et en supprimant selon la vérité la plus stricte : là où l'inversion et le désordre des phrases avaient fait disparaitre la clarté, j'ai tout remis en place et j'ai rendu compréhensible ce qui était abscons » (SC 592,423).

On a le droit de ne pas trouver ce système très facile à comprendre. Le grand saint Augustin lui-même s’est attiré des sarcasmes de saint Jérôme à cause de ses questions « idiotes » à ce sujet. Le moine de Bethléem reproche à l’évêque d’Hippone, qui ne l’encourageait pas suffisamment dans son travail, de … « sembler ne pas comprendre sa propre question » :

  • Jérôme Ep. 112 (à Augustin d'Hippone) « Quant à la demande que vous me faites dans vos autres lettres, à savoir pourquoi je n'ai pas fait usage, dans ma dernière traduction, d'astérisques et de petites virgules en tête de chaque ligne, comme je l'avais fait dans la première, permettez-moi de vous dire que vous semblez ne pas comprendre votre propre question. Car la première traduction que vous mentionnez est celle des Septante, où ils ont marqué par des obeli, c'est-à-dire par des petites virgules, ce que leur version contient en plus du texte hébreu, et par des astérisques ou des petites étoiles ce qu'Origène a pris dans la version de Théodotion et a ajouté à celle des Septante. C'est cette version que j'ai traduite du grec en latin ; mais pour l'autre, je l'ai faite sur le texte hébreu, en m'attachant plus au vrai sens de l'Écriture qu'à l'arrangement des mots. Je m'étonne d'ailleurs que vous refusiez de vous servir de la traduction d'un chrétien, tandis que vous ne faites aucune difficulté de lire celle de la Septante, quoiqu'elle ne soit pas dans sa pureté originelle et qu'Origène l'ait corrigée, ou plutôt altérée par ses obélisques et ses astérisques, et surtout par ce qu'il y a ajouté et pris d'une version faite depuis la Passion du Sauveur par un interprète juif et blasphémateur du nom de Jésus-Christ. Voulez-vous vous en tenir uniquement à la partie de la Septante conforme aux interprétations des anciens ? Passez outre, ou plutôt effacez de vos copies tout ce que vous trouverez marqué d'astérisques. Si vous le faites, vous condamnez implicitement les exemplaires utilisés par toutes les autres Églises, car il n'y en a guère qu'un ou deux où l'on ne trouve pas les additions que je viens d'indiquer » (trad. Matougues, vol. 2). 

Conclusion

de la codicologie, au « neuvième art »... 

Des millions d’amateurs de bande dessine connaissent ces mots par les célébrissimes héros de Goscinny. Remplacez la terminaison isque par ix, en hommage rimé au chef gaulois Vercingétorix, et vous obtenez « Astérix » ; faites opération semblable avec l’obèle et vous obtenez « Obélix ».

Babylon-sticks, Astérix et Obélix (et Idéfix), (Image numérique, 2009, Vecteur créé pour un article célébrant le 50e anniversaire de la création des héros (Pilote 1, 29 octobre 1959, p.20) © CC→ 

Quand on prend l’hébreu comme point de référence, dans la version grecque l’astérisque signale un moins, et l’obèle un plus. On comprend donc que leurs noms, « gallicisés », désignent respectivement un petit et un grand (non, on ne dit pas gros !) personnages.

« Obélix » vient d’abord de cet obélisque typographique, mais cela n’empêche pas de remarquer que l'imposant monument égyptien qu’on appelle obélisque aussi (il y en a un place de la Concorde), ainsi que le menhir, son avatar gaulois dont Obélix fait justement commerce, conviennent à la carrure du Gaulois roux !

… en passant par la typographie

Loin d’être une coïncidence, le choix de ces noms constituerait un hommage à la mémoire du grand-père de Goscinny, imprimeur-typographe. Tout comme les deux amis Astérix et Obélix, l’astérisque et l’obèle sont étroitement liés par leur usage jusqu’à aujourd’hui :

  • L’obèle a pris la forme d’une croix latine, simple † ou double ‡, pour marquer les passages modifiés ou ajoutés dans les manuscrits anciens. On utilise encore l’obèle après le nom d’une personne, avant la date qui signale son décès, et parfois comme appel de note, à l’instar de l’astérisque.
  • La petite étoile * placée à la suite d’un mot renvoie à une note de bas de page ; placée devant un mot, elle en signale une forme particulière.

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Pour aller plus loin : Gabriel Nocchi Macedo et Maria Chiara Scappaticcio (dir.), Signes dans les textes, textes sur les signes,  « Papyrologica Leodiensia  6 », Liège : Presses universitaires de Liège, 2017 —  Frederick FieldOrigenis Hexaplorum, Oxford : Clarendon Press, 1875,  t.1, LXI-LXIII  — Robert DevreesseIntroduction à l'étude des manuscrits grecs, Paris : Klincksieck, 1954, 73-75.