La Bible en ses Traditions

Matthieu 26,45

Byz S TR Nes
V

45 ...

45 Alors il vient vers ses disciples et leur dit :

— Dormez maintenant et reposez-vous. 

Voici : est arrivée l’heure

et le fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs.

36–46 Jn 12,27-30 ; He 5,7-10 L’agonie du Christ  Mc 14,32-42 ; Lc 22,40-46 ; Jn 18,1 45 Tomber aux mains des hommes 2S 24,14

Réception

Tradition chrétienne

45 l'heure s'est approchée et le Fils de l'homme est livré Dans un style pseudo-apostolique, le compilateur des CA fait parler les apôtres :

  • Const. ap.  5,14,8  ''Il s'éloigna alors quelque peu de nous et priait le Père en disant (cf. Mt 26,39 ; Lc 22,41) : Père, éloigne de moi ce calice ; pourtant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne (Lc 22,42). Il fit ainsi par trois fois, tandis que nous avions succombé au sommeil par lâcheté, puis il vint et nous dit : l'heure s'est approchée et le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs (Mt 26,45).''

Musique

36–46 J'attends la mort comme en Gethsémani

21e s.

Damso (Kalubi, William, 1992 - ), Γ. Mosaïque Solitaire, 2017

in Ipséité , 2017, piste 3 © Licence YouTube standard→

Solitude de l'artiste et sentiment d'abandon

Dans ce morceau composite (« Mosaïque ») aux accents mystiques et religieux forts, Damso traite de son rapport aux autres et du sentiment de solitude qui l'habite depuis son accession au statut d'artiste, thème récurrent chez les rappeurs, notamment sur le mode de l'hypocrisie des relations et de la trahison. Pour exprimer ce sentiment d'abandon et de solitude, il recourt à la figure du Christ isolé et à l'agonie à Gethsémani, attendant avec angoisse la trahison de Judas, l'arrestation, la torture et la mise en croix. Ainsi, Damso commence son morceau en écrivant :

M'd'mandez pas c'que je fais dans la vie / C'est si noir, vous s'rez pris de panique / Quelque part, loin de toute compagnie / Batterie Faible m'a fait perdre beaucoup d'amis / Me serre pas la main, fais-moi un #Vie / J'attends la mort comme en Gethsémani.

Les deux premiers vers peuvent faire à la fois écho à son passé sombre aux yeux de la société (cf. le morceau « Débrouillard » dans son album précédent Batterie Faible, d'où est issu le premier vers : D'mandez pas c'que je fais dans la vie / J'suis fonce-dé avec 2-3 you-vois du quartier / J'fume un pilon sur l'toit de la ville), mais également à sa carrière d'artiste, qui le conduit dans des milieux dangereux (ceux du show-business et des maisons de disque), ou dans les tréfonds de l'âme humaine par son travail d'écriture.

Après cet avertissement apotropaïque accentué par l'intensif si noir et l'évocation d'un sentiment fort tel que la panique, placée en fin de vers, Damso introduit alors le thème de la solitude, en premier lieu à travers l'isolement spatial : le Quelque part, lieu qui préfigure l'arrivée de Gethsémani, est placé en tête de vers, au point qu'on pourrait le confondre avec une locution à valeur logique (quelque part pouvant être l'équivalent à l'oral de « de toute façon »), mais cette ambiguïté est immédiatement levée par la suite : loin de toute compagnie.

À l'isolement spatial succède l'isolement social, conséquence étroite et directe de sa nouvelle vie d'artiste, puisque c'est son premier album même, Batterie Faible, qui l'a conduit à de nombreuses trahisons en raison d'un « manque de reconnaissance » dont il aurait fait preuve envers certains de ses proches (cf. Commentaire de Damso à ce sujet→). Ces trahisons et ce sentiment d'abandon le conduisent donc à refuser la poignée de main traditionnelle, symbole d'une alliance ou d'un lien qui s'est avéré décevant, pour lui préférer le #Vie, signe de la main popularisé par l'artiste lui-même dans l'un de ses morceaux précédents, « BruxellesVie », comme un nouveau signe de paix, qui pourrait annoncer une fois de plus en filigrane la figure du Christ.

Cette dernière apparaît donc en point d'orgue de ces six vers, dans une acmè caractérisée par l'agonie, cette « attente de la mort » qui caractérise les instants du Christ à Gethsémani. Ainsi, les développements des vers précédents annonçaient en creux un parallèle avec la figure du Christ à l'agonie : la solitude du destin prophétique/messianique, l'isolement dans l'espace (Mt 26,36), puis la trahison et l'abandon des amis (Mt 26,20,25 ; 26,30-35) et le refus d'un signe d'affection trompeur (Mt 26,48-50). Ainsi, la mention de Gethsémani, lieu qui renvoie de façon précise à la vie du Christ, vient clore le parallèle établi entre la solitude et le sentiment d'abandon de l'artiste et celui de Jésus à ses derniers instants.

Arts visuels

36–46 L’agonie du Christ à Gethsémani Dans l’art occidental et dans des cycles christologiques, l’abondante iconographie emprunte aux différents évangiles synoptiques (celui de Jn se faisant moins volontiers le support d’une représentation imagée), sans se limiter à un seul évangile (Lecture synoptique Mt 26,36–46).

Dans l'Antiquité tardive

L'épisode est peu présent en tant que tel dans les images antiques, qui préfèrent au cycle de la passion les miracles du Christ. Il arrive cependant que la scène dans le jardin de Gethsémani soit évoquée. Parmi les plus anciens exemples références se trouvent :

  • La Lipsanothèquede Brescia (ca. 360-370). Les seuls éléments permettant de reconnaître la scène sont les oliviers au milieu desquels se trouve le Christ juste avant la scène d'arrestation. Le Christ semble tenir un volumen, en référence à sa prière.

Anonyme, Lipsanothèque de Brescia, (boite (reliquaire ?) en ivoire sculpté, 4e s. (ca. 386 ?, Milan, Italie), 22 x 32 x 25 cm

Museo di Santa Giulia, Monastère San Salvatore, Brescia, Italie, domaine public © Wikicommons→

Toutes les parois de la boite sont sculptées. Le couvercle, face la plus importante, présente les plus grands reliefs, avec cinq scènes de la Passion du Christ en deux registres et un petit registre supérieur avec une frise d’oiseaux. Jésus au jardin de Gethsémani —— Arrestation —— Trahison de Pierre, avec le coq —— Jésus devant Anne et Caïphe —— Ponce Pilate se lave les mains.

  • Les mosaïques de Saint-Apollinaire-le-Neuf (520-526, Ravenne) sont parmi les premières représentations de la scène dans le monde occidental. L’accent est porté sur l’exhortation et l’enseignement du Christ aux disciples : Jésus est représenté nimbé de lueur, debout, de face et les paumes ouvertes ; il n'est pas en agonie.

Anonyme, Le Christ à Gethsémani (mosaïque, 6e s.)

Nef centrale, mur, registre supérieur, Basilica di Sant’Apollinare Nuovo, Ravenne, Italie

© D.R. Blog "Art in Faith"→

Le haut Moyen Âge

Cette époque favorisa une iconographie beaucoup plus littérale et exégétique que celle développée par les artisans ravennates.

  • Codex purpureus Rossanensis (6e s., Rossano). Sur cette miniature le Christ prie prosterné, puis réveille les trois apôtres endormis.

Anonyme, Codex Purpureus Rossanensis (Gregory-Aland : Σ ou 042, Soden : ε 73) : l'Agonie (écriture grecque onciale en or et argent et enluminure sur parchemin pourpre, 4e-7e s.), 31 x 26 cm

Trésor archéologique, Cathédrale de Rossano, Calabre, Italie, © Wikicommons→ 

Considéré comme le plus ancien des manuscrits illustrés du Nouveau Testament, le Codex Purpureus Rossanensis, ou L'Évangéliaire de Rossano, se compose de 188 folios, écrits sur deux colonnes, 20 lignes par colonne. Il présente l'Évangile selon Matthieu et l'Évangile selon Marc avec une lacune (Mc 16,14-20). 

  • Les portes en bois de l’église Sainte-Marie-du-Capitole à Cologne (milieu du 11e s.) développent la même iconographie.

À partir du 9e s.

La mise en image conforme à Mt tend à disparaître, au profit de représentations du Christ agenouillé, détail de Lc 22,41 (Lecture synoptique Mt 26,39a).

  • Le Psautier de Stuttgart (ca. 820-830) présente le Christ agenouillé devant la main de son Père (apparaissant dans les cieux), puis réveillant le groupe des apôtres (et non seulement Pierre, Jacques et Jean).

À partir du 12e s.

Les concepteurs d’images privilégient les représentations de l'ange consolateur de Lc 22,43. Le Christ est presque toujours agenouillé en présence de l'ange, qui lui présente, ou non, un calice ou une croix :

  • le Psautier d’Ingeburge (1210, musée Condéde Chantilly) ; le Retable de l'abbaye de Klosterneuburg (1330, Klosterneuburg). 

Cette mise en image se diffuse abondamment, d'autant plus que les cycles de la passion se multiplient à partir du 13e s. Ces productions permettent la diffusion très large de la dévotion au Christ à l'agonie.

Pour autant la représentation majestueuse du Christ à l'agonie prêchant continue : 

Anonyme, Prières du Christ à Gethsémani (détail), (mosaïque, ca. 1220)

Niveau de la galerie, registre inférieur, basilique-cathédrale Saint-Marc, Venise © Wikicommons→ 

Pendant la Renaissance et l'Époque classique

L’accent sur la solitude du Christ et la consolation apportée par les anges se renforce. La scène disparaît peu à peu des cycles de la passion, moins fréquents. Elle devient un événement isolé où s’offre à la méditation la souffrance du Christ et son consentement.

Le plus souvent les artistes mettent l’accent sur un dialogue entre le Christ et l’ange :

  • Hans Multscher (1437, Berlin) ; Andrea Mantegna (1459, Londres) ; Giovanni Bellini (1460, Londres) ; Donatello (1465, San Lorenzo) ; Benvenutto di Giovanni (1491, Washington) ; 

Andrea Mantegna (1431-1506), L'Agonie au jardin des oliviers, (tempera sur bois, ca. 1458-1460), 63 × 80 cm

National Gallery, Londres, domaine public © Wikicommons→ , Mt 26,36s ; Mc 32s ; Lc 22,40s

Giovanni Bellini (ca. 1430-1516), L'Agonie au jardin des oliviers, (peinture sur bois, ca. 1465), 81 cm × 127 cm

National Gallery, Londres, domaine public © Wikicommons→, Mt 26,36s ; Mc 32s ; Lc 22,40s 

  • Le Pérugin atteint un certain équilibre dans la représentation paisible des divers aspects de l'épisode :

Pietro Perugino (ca. 1450–1523), Orazione nell’Orto, (huile sur panneau, ca. 1485-1490), 168,2 x 165,4 cm,

Musée des Offices, Florence (n° 20 in Garibaldi V., Perugino. Catalogo completo 8, Florence, 2000) 

Domaine public © Wikicommons→

  • Botticelli (1500, Granada) ; Tintoret (1578-1581, Venise) ; Ludovico Carracci (1586, Londres) ;Valerio Castello (1645, Los Angeles). 

Aux 17e et 18e s., l’accent porte sur la consolation apportée par le ou les messagers du Père. Outre El Greco (1590, Londres),

Le Greco (1541-1614), L'Agonie au jardin des oliviers, (huile sur toile, ca. 1610-1612), 170 × 112,5 cm

Musée des beaux-arts de Budapest, CC GNU-FDL © Wikicommons→, Mt 26,36s ; Mc 32s ; Lc 22,40s ;

Le Greco (Doménikos Theotokópoulos, 1541-1614), L'Agonie dans le jardin des oliviers, (huile sur toile, ca. 1590), 102 x 131 cm

 National Gallery, Londres

Domaine public © Wikimedia commons →

Les œuvres de Nicolas Poussin en témoignent : 

Nicolas Poussin (1594-1665), Le Christ au jardin des Oliviers, (Huile sur cuivre, ca.1628) 62 × 49 cm

Metropolitan Museum of Art, New York, domaine public © Wikicommons→

Nicolas Poussin (1594-1665),  Agonie du Christ au jardin des Oliviers (huile sur toile, ca. 1626 ou 1632-1633) 60,5 × 47 cm

Getty Museum, Los Angeles, domaine public © Wikicommons→, Mt 26,36-46; Mc 14,32-42; Lc 22,39-46; Jn 18,1; Jn 12,27-29

  • Gerrit van Honthorst (1617, Saint-Pétersbourg) ; Guido Reni (ca. 1620) ; Jacques Stella (1640) ; Jean-Baptiste Jouvenet (1694, Rennes).

La représentation ou l’accentuation de ce détail, donné par Lc 22,43, peut aller jusqu’à l’omission ou le rejet dans l’ombre du reste de l’épisode. Se développe ainsi une iconographie représentant le Christ consolé ou servi par les anges au mont des Oliviers :

  • Giovanni Battista Caracciolo (1615, Vienne) ; Philippe de Champaigne (1650, Portland) ; Sebastiano Ricci (1730, Vienne) ; Charles André van Loo (1760, Los Angeles). On la retrouve dans l'oeuvre délibérément archaïsante de Henry Siddons Mowbray (1915-1925), Gethsemane, huile sur toile (1915-1925), Smithsonian American Art Museum.

Exceptionnels, dans le corpus ancien et classique, sont les artistes qui ignorent la présence de l’ange et accentuent ainsi la solitude du Christ (Vittore Carpaccio, 1502, Venise).

Art populaire du 18e s.

Art populaire, Christ au Mont des Oliviers, cire de Nancy (18e s.), 44 x 30,2 x 8,4 cm

© Photo : Trésors de ferveur→

Époque moderne

Le nouveau Christ tourmenté des Romantiques apparaît. Outre Gustave Doré (1843) ; Paul Delaroche (1855), les approches successives de Delacroix sont éloquentes :

Eugène Delacroix (1798-1863), Esquisse pour le Christ au Jardin des Oliviers (huile sur toile, ca. 1826), 32 × 40 cm

Musée Eugène Delacroix, Paris, domaine public © Wikicommons→, Mt 26,36s ; Mc 32s ; Lc 22,40s 

Eugène Delacroix (1798-1863), L'Agonie au Jardin (huile sur toile, 1861), 34 x 42 cm

Rijksmuseum, Amsterdam, domaine public © Wikicommons→ 

Gustave Moreau (1826-1898), Le Christ au jardin des Oliviers (huile sur toile, vers 1880) 80 × 75 cm

Musée Gustave Moreau, Paris — Chat. 596, domaine public © Wikicommons→ 

Cependant, des mises en scène plus traditionnelles continuent. Outre Émile Bernard (1889) :

Carl Heinrich Bloch (1834-1890), Gethsemane, (huile sur plaque de cuivre, 1873)

Musée d'Histoire National du Château de Frederiksborg, Frederiksborg Slotskirke, Danemark, domaine public © Wikimedia commons→

Paul Gauguin (1848-1903), Le Christ au Mont des Oliviers (huile sur toile, 1889), 73 x 92 cm

Norton Museum of Art, West Palm Beach, Florida (USA), domaine public © Wikicommons→

Du 6e s. à nos jours, l’évolution est sensible : l’aspect dogmatique de l’Antiquité tardive, l’aspect narratif et moralisateur du Moyen Âge (où le déroulement des différents moments du passage scripturaire est d’autant plus visible que l’événement se situe sur une montagne) furent peu à peu remplacés, à partir du 15e s., par un aspect plus méditatif et contemplatif que des œuvres récentes n’ont pas démenti. La création contemporaine, dans son souci de dépouillement, est cependant parfois revenue à Mt :

  • Willy Fries (1936-1944, Cologne-Marienburg). Le Christ, à l’écart, profondément incliné, est représenté de dos, tandis que les apôtres, dans l’ombre du contrebas, se sont assoupis.

Contexte

Repères historiques et géographiques

26,1–27,66 Les lieux de la Passion

Parcours de Jésus durant sa Passion, (numérique, Jérusalem : 2022)

M.R. Fournier © BEST AISBL, Mt 26-27 ; Mc 14-15 ; Lc 22-23 ; Jn 18-19

Le lieu du →prétoire, tribunal de Ponce Pilate, est incertain. Deux sites sont possibles : la forteresse Antonia et le Palais d'Hérode le Grand. La tradition situe le prétoire à l'Antonia mais les archéologues, aujourd'hui, le placent plutôt dans le palais d'Hérode le Grand.

Bibliographie
  • Dominique-Marie Cabaret, La topographie de la Jérusalem antique (Cahiers de la Revue Biblique 98), Peeters : 2020.
Toponymie

Esplanade du Temple, Ophel, ville haute, ville basse, palais d’Hérode le Grand, mont Sion, Cénacle, palais hasmonéen, palais de Caïphe, Golgotha, forteresse Antonia, porte dorée, jardin de Gethsémani, mont des Oliviers, colline de Bézétha, théâtre, vallée du Cédron, vallée du Tyropéon, vallée de la Géhenne, via Dolorosa.