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Chronologie de la passion

La datation exacte des derniers événements de la vie de Jésus est un problème qui ne cesse d'occuper les historiens. Tout en soulignant qu'il ne fait pas l'objet d'une attention particulière chez les auteurs inspirés des évangiles, qui ne se sont guère souciés d'harmoniser d'un point de vue chronologique les traditions qu'ils mirent en forme, on peut résumer les hypothèses historiques comme suit.  

Les jours de la semaine

La crucifixion : le vendredi

Tous les évangiles affirment que la crucifixion tombe un vendredi : le jour de la Préparation = le jour avant le sabbat (le samedi, Mt 27,62 ; Mc 15,42 ; Lc 23,54.56 ; Jn 19,31.42) ; ce que confirme Év. P. 5 ; b. Sanh. 43a (le manuscrit florentin).

La résurrection : le dimanche

De même, tous les évangiles évoquent pour la résurrection le premier jour de la semaine = le dimanche (Mt 28,1 ; Mc 16,1.9 ; Lc 24,1 ; Jn 20,1).

Le récitatif de la passion-résurrection s’étend donc sur trois jours (Mt 12,40 ; 26,61 ; 27,40.63 ; Mc 8,31 ; 14,58 ; 15,29 ; Jn 2,19-20) : la crucifixion le vendredi, un jour de repos le samedi, et la résurrection le dimanche = le troisième jour (Mt 16,21 ; 17,23 ; 20,19 ; 27,64 ; Mc 9,31 ; 10,34 ; Lc 9,22 ; 13,32 ; 18,33 ; 24,7.21.46 ; Ac 10,40 ; 1Co 15,4).

La Cène : le jeudi soir ?

Le NT présente la passion en un seul jour. Le repas a lieu le soir (Mt 26,20 ; Mc 14,17 ; Jn 13,30). Puis Jésus se rend au mont des Oliviers, où il est livré par Judas (Jn 13,27 « Ce que tu fais, fais-le vite » ; 1Co 11,23 « Car moi, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain »). Aussitôt, la même nuit, Jésus est d’abord amené chez Anne (Jn 18,13), ensuite devant une assemblée de notables juifs chez Caïphe (Mt 26,57 ; Mc 14,53 ; Lc 22,54 ; Jn 18,28), présentée comme « le sanhédrin entier » (Mt 26,59), où Jésus est interrogé pendant la nuit. Vers la fin de cette interrogatoire, →Pierre trahit Jésus (Mt 26,34 « cette nuit même, avant que le coq chante, trois fois tu me renieras » ; Mt 26,75 ; cf. Mc 14,30 « aujourd’hui, cette nuit » ; Mc 14,72 ; Lc 22,34 « aujourd’hui » ; Lc 22,61 ; Jn 13,38 ; 18,27).

Le matin venu (Mt 27,1 ; Mc 15,1 ; Lc 22,66), des notables du sanhédrin se rassemblent de nouveau, puisque seuls les procès de jour sont valables (→Historicité du « procès » de Jésus devant « le sanhédrin »). Ce même matin (Jn 18,28), on amène Jésus vers Pilate, vers Hérode Antipas, et de nouveau vers Pilate. Pilate condamne Jésus vers midi (Jn 19,14). Jésus porte sa croix vers le Golgotha, où on le crucifie. Jésus est sur la croix de la 6e à la 9e heure (Mt 27,45-46 ; Mc 15,33-34 ; Lc 23,44) = de 12h à 15h. Jésus meurt le jour même (Lc 23,43 « aujourd’hui »). On l’enterre avant le crépuscule (Mt 27,57 ; Mc 15,42 ; Lc 23,54), conformément à Dt 21,22-23 « Et si un homme ayant commis un crime capital aura été mis à mort et que tu l’auras pendu à un arbre, son cadavre ne passera pas la nuit sur l’arbre, mais tu l’enterreras le jour même. » Tout est donc présenté dans les 24 heures entre le soir du repas et celui de l’enterrement. Vu que la crucifixion a lieu le vendredi, la Cène au soir précédent aurait eu lieu le jeudi soir.

La Cène : le mardi soir ?

Certains chercheurs supposent que tous ces événements semblent faire beaucoup pour un seul jour et proposent qu’il y ait plusieurs jours entre le repas et la crucifixion. On s’appuie sur le calendrier solaire sacerdotal de 364 jours (4 trimestres de 91 jours) attesté à Qumrân, dans Jub. et dans 1 Hén. Ce calendrier de cinquante-deux semaines répartit les sabbats et les fêtes de l’année à dates fixes, sans aucun chevauchement. Le premier jour de chaque trimestre (en particulier le 1 Nisan) commence toujours la nuit de mardi soir à mercredi. Le 15 Nisan commence donc toujours le mardi soir, et le repas pascal est célébré ce soir-là. Selon cette position, Jésus aurait célébré la Cène au moment de la Pâque essénienne (sans que ce soit le rite essénien) : le mardi soir, qui serait « la nuit où il était livré » (1Co 11,23). Trois jours sépareraient donc le repas et la crucifixion du vendredi après-midi.

Cette argumentation peut sembler logique, mais elle néglige l’atmosphère de catastrophe et d’empressement fiévreux des récits, qu’il faut alors considérer comme des compositions fort éloignées des événements. Si la trahison par Judas avait précédé la crucifixion de plusieurs jours, le →sanhédrin (Milieux de vie Mt 26,59a) ne se serait pas rassemblé la nuit — un tel rassemblement n’ayant pas de valeur juridique. De plus, l’usage du calendrier de 364 jours n’est attesté que chez les esséniens, qui avaient pris leur distance avec le Temple. Les autres Juifs calculaient la Pâque selon le calendrier luni-solaire de 354 jours (avec les fêtes à un jour de semaine variable). Les évangiles (en particulier Jn) attestent que Jésus célébrait les fêtes en lien avec le Temple, et pas selon le calendrier essénien. Il est donc improbable que Jésus ait opté pour le moment de la Pâque essénienne.

La date de la crucifixion

Si les évangiles concordent pour le jour de la semaine de la crucifixion, ils ne le font pas pour la date.

15 Nisan dans les Synoptiques ?

Les Synoptiques placent le repas à la fin du premier jour des Azymes (Mt 26,17 ; Mc 14,12 ; Lc 22,7), soit dans la nuit du 14 au 15 Nisan. Le jour suivant — celui de la crucifixion — serait donc le 15 Nisan.

14 Nisan dans Jn ?

Jn date la crucifixion au 14 Nisan, directement (Jn 18,28 ; 19,14.31) et indirectement :

  • Jésus est appelé « l’agneau de Dieu » (Jn 1,29.36 ; cf. 1Co 5,7). Les agneaux pascals sont tués le 14 Nisan (Ex 12,6 « Et ils sera conservé par vous jusqu’au quatorzième jour de ce mois et toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’égorgera au crépuscule »).
  • Cette analogie avec l'agneau pascal continue dans la mention que les jambes de Jésus ne sont pas brisées (Jn 19,33.36). Il est interdit de briser les os de l’agneau pascal (Ex 12,46 ; Nb 9,12).
  • Comme les premiers-nés d’Égypte tués le 14 Nisan (Ex 12,29), Jésus — le Premier-né (Lc 2,7 ; He 1,6) — aurait été tué le 14 Nisan.
  • Les disciples pensent que Jésus demande à Judas d’acheter quelque chose (Jn 13,29). Le 15 Nisan, tout trafic d’argent est interdit (m. Beṣa 3,7 ; t. Beṣa 3,5.7).

Paul pourrait confirmer allusivement la date du 14 Nisan : 1Co 15,20 appelle la résurrection de Jésus « les prémices de ceux qui se sont endormis » (cf. 1Co 15,23 « les prémices : le Christ »). Les prémices sont offertes le 16 Nisan (Lv 23,10-11). Selon cette analogie, la résurrection eut lieu le 16 Nisan et, par conséquent, la crucifixion le 14 Nisan.

Év. P. 5 et b. Sanh. 43a datent de même la crucifixion de Jésus le 14 Nisan.

14 Nisan dans les Synoptiques ?

En dépit de leur description de la dernière Cène comme un repas pascal (dans la nuit du 14/15 Nisan), plusieurs données dans les Synoptiques parlent en faveur d’une crucifixion le 14, et non le 15 Nisan :

  • Mt 26,2 « Vous savez que dans deux jours la Pâque arrive et le fils de l’homme est livré pour être crucifié » peut suggérer que la crucifixion tomba le jour de la Pâque : le 14 Nisan (Lv 23,5 ; Nb 28,16 ; Ez 45,21).
  • Les grands prêtres veulent éviter un procès « pendant la fête » (Mt 26,5 ; Mc 14,2). Le 15 Nisan est le grand jour de fête (Nb 28,17).
  • Le procès devant le sanhédrin a lieu la nuit précédant la crucifixion. Il n’est pas permis de tenir un procès la veille d’un sabbat ou d’une fête (Philon d’Alexandrie Migr. 91 ; m. Beṣa 5,2 ; m. Sanh. 4,1 ; t. Beṣa 4,4). Ce n’est donc pas la nuit commençant le 15 Nisan.
  • Barabbas est relâché le jour de la crucifixion selon la coutume de relâcher un criminel lors des fêtes pascales (Mt 27,15-26 ; Mc 15,6-15 ; Lc 23,17-19.25 ; cf. Jn 18,39-40 ; Ac 3,14). La Mishna fait référence à l’agneau pascal qui est tué pour qui aurait reçu la promesse d’être libéré pour la fête (m. Pesaḥ. 8,6). Ceci impliquerait que le criminel fût relâché avant le commencement du 15 Nisan, afin de pouvoir manger l’agneau pascal tué pour lui.
  • Simon de Cyrène revient des champs (Mc 15,21 ; Lc 23,26). Ceci peut signifier qu’il revient de son travail. En Judée, il est permis de travailler jusqu’à midi le 14 Nisan (m. Pesaḥ. 4,5). Le 15 Nisan, tout travail est interdit (Ex 12,16 ; Lv 23,7 ; Nb 28,18).
  • Joseph d’Arimathie achète un linceul (Mc 15,46). Les jours de fête, il n’y a pas de commerce.
  • Après l’enterrement de Jésus, avant le commencement du sabbat, les saintes femmes préparent aromates et parfums (Lc 23,56). Le 15 Nisan, il est seulement permis de préparer la nourriture nécessaire (Ex 12,16).
  • Les grands prêtres et les pharisiens ne se rendent chez Pilate que le samedi, et non le soir même de la mort de Jésus (Mt 27,62). N’est-ce pas parce que ce vendredi soir ils avaient à célébrer le repas pascal ?
  • Toutes les activités (l’arrestation, le procès, les foules devant Pilate, les passants devant la croix, etc.) sont difficilement conciliables avec le repos prescrit le 15 Nisan.
14 Nisan dans l'astronomie ?

L’astronomie favorise le 14 Nisan. Jésus meurt un vendredi. Pendant le gouvernement de Ponce Pilate (26-36/37 ap. J.-C.), il n’y a qu’une année où le 15 Nisan tombe un vendredi : l’an 27 (il est même possible que ce fut un samedi, ce qui invaliderait toute interprétation favorable au 15 Nisan). Or, l’année 27 est trop précoce pour y situer la crucifixion. En revanche, il y a deux années où le 14 Nisan tombe un vendredi : les années 30 (un peu incertain) et 33. Il est donc possible de situer la crucifixion un 14 Nisan de l’année 30 ou 33.

Conclusion

Tout semble favoriser une crucifixion le vendredi 14 Nisan. Quant à la Cène, Jésus, aurait-il célébré la célébration du repas pascal selon un autre calendrier (essénien) ? Ou l'aurait-il devancée d'un jour (ne pouvant célébrer la Pâque le lendemain, sinon en sa propre personne sur la croix) ? L’historien doit choisir l’une ou l’autre solution aux questions chronologiques. Le théologien retient surtout que, dès l’origine de la tradition apostolique, la mort volontaire de Jésus est inscrite dans le contexte pascal : Jn décrit Jésus mourant en même temps que les agneaux au Temple, les Synoptiques le décrivent symbolisant sa passion et sa mort au cours du repas où l’agneau est consommé. Ceci permet de comprendre la mort de Jésus dans le contexte pascal, qu'elle transfigurerait une fois le Christ ressuscité.

Tableau récapitulatif