La Bible en ses Traditions

Matthieu 27,3–5

Byz S TR Nes
V

...

Alors Judas, qui le livra, voyant qu’il avait été condamné,

poussé par le repentir, rapporta les trente pièces d’argent aux princes des prêtres et aux anciens

3–10 Mort de Judas Ac 1,18-19

...

en disant :

— J’ai péché en livrant un sang juste. 

Mais eux dirent :

— Que nous importe ? À toi de voir.

...

Ayant jeté les pièces d’argent dans le Temple

et s’étant retiré, il se pendit à une corde.

5 Suicide d’Ahitophel 2S 17,23

Réception

Tradition chrétienne

4s j'ai péché en livrant un sang juste... il alla se pendre Cf. Tradition chrétienne Jn 13,30 Or il était nuit Symbole de la nuit

3–7 Judas ... poussé par le remords...

  • Irénée de Lyon  Epid.. 81 ''... Judas, qui était au nombre des disciples du Christ, ayant conclu un pacte avec les Juifs [...] et ayant reçu d'eux trente statères du pays, leur livra le Christ (cf. Mt 26,14-16); puis, saisi de remords de ce qu'il avait fait, il rapporta l'argent aux chefs des Juifs et alla se pendre; mais eux, estimant qu'il n'était pas permis de mettre cet argent dans leur trésor, puisque c'était le prix du sang, en achetèrent le champ d'un potier pour servir à la sépulture des étrangers (Mt 27,3-7).''

2–5 et l'ayant entravé,  ils l'emmenèrent... alors Judas ... poussé par le remords... Le repentir de Judas

Origène étudie le 'repentir' de Judas

Le repentir ou mieux le remords de Judas donna prise au diable :

  • Origène  Comm. Jn  32, 241-245  ''[...] c'est en effet, parce que des résidus de bonnes intentions subsistaient en lui, que, voyant Jésus condamné, lorsque 'l'ayant entravé, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate le gouverneur' (Mt 27,2), Judas, 'poussé par le remords, vint et rapporta les trente pièces d'argent aux grands prêtres et aux anciens en disant : J'ai péché en livrant un sang innoncent' (Mt 27,2-3) c'est alors que, à la suite de leur réponse : 'Que nous importe ? À toi de voir' (Mt 27,4), l'avare Judas, 'ayant jeté les pièces d'argent dans le temple et s'étant retiré il se pendit' (Mt 27,5), sans attendre de voir le dénouement du procès de Jésus devant Pilate. Son remords ne fut pas pur de tout péché, ni sa perversité sans mélange de quelque bien. Car si son remords avait été pur, à l'imitation du brigand qui dit : 'Souviens-toi de moi, Jésus, quand tu viendras dans ton règne' (Lc 23,42), il aurait fait, en s'approchant du Sauveur, ce qui dépendait de lui afin d'en obtenir le pardon pour la trahison déjà perpétrée. Si, d'autre part, il avait banni de son âme toute notion de bien, il n'aurait pas eu de remords en voyant Jésus condamné, il aurait, au contraire, renchéri sur sa trahison par des accusations du même genre ; mais il aurait aussi joui en avare des trente pièces d'argent qu'il avait reçues [...] il n'aurait pas songé à repousser cet argent, ne l'aurait pas restitué aux grands prêtres et aux anciens et n'aurait pas confessé devant eux : 'J'ai péché en livrant un sang juste (Mt 27,4), par quoi il s'accusait lui-même et faisait l'éloge du Maître. Quant à se pendre, nul autre ne l'y poussa, si ce n'est celui qui avait jeté en son coeur le dessein de livrer (cf. Jn 13,2) le Sauveur : dans ces deux occasions, il donna prise au diable (cf. Ep 4,27).''

Judas, tiraillé par des sentiments opposés :

  • Origène  Cels. 2,11  ''Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d'un disciple envers son maître. [...] dans sa détermination, Judas, avec l'avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit : Alors Judas qui l'avait livré, voyant qu'il était condamné, poussé par le remords, rapporta les trente pièces d'argent aux grands prêtres et aux anciens, disant : J'ai péché en livrant un sang juste. Ils dirent : Que nous importe  ? À toi de voir. Jetant alors les pièces d'argent dans le temple, il se retira et s'en alla se pendre (Mt 27,3-5) [...] il est clair que les enseignement de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés.''

3s poussé par le remords... j'ai livré un sang innocent.

  • Épiphane de Salamine  Haer. 38,7 "Comment donc celui qui avait pensé accomplir une œuvre bonne, finalement dit : 'Je suis pris de remords, ayant livré un sang innocent', et il rapporta les pièces d’argent. (cf. Mt 27,3s)"

1–66 La mort de Jésus. Clamans voce magna : inscriptions médiévales.

15e siècle : 

  • Vers 1400 : Allemagne, Lüneburg, Kloster Ebstorf, vitrail : "jhesus pendens in cruce tradidit spiritum" DI 76, n° 27, 87.
  • Vers 1425 : Allemagne, Osnabrück, cathédrale, croix : "clamans voce magna emisit spiritum"  DI 26, n° 36, 45.
  • 4e quart du 15e s. :  Allemagne, Hanovre Musée Auguste Kostner, antependium : "Jhesus clamans voce magna emisit spiritum" DI 76, n° 62, 142.

Arts visuels

3s Judas, pris de remords, chez les grands prêtres

17e s.

Rembrandt (1606-1669), Judas rend les trente pièces d'argent (huile sur paneau de chêne, 1629), 79 × 102,3 cm

Lythe, North Yorkshire, Mulgrave Castle © Wikicommons→.

5 il s'en alla et se pendit La mort de Judas

12e s.

Gislebertus, La mort de Judas (12e s.), chapiteau, cathédrale d'Autun

Domaine public © Wikicommons→, Mt 27

1–66 Ecce homo

19e s.

Antonio Ciseri (1821-1891), Ecce homo, (huile sur toile, 1860-1880), 292 x 380 cm

Galleria dell'Arte Moderna, Palazzo Pitti, Florence, © Domaine public→, Jn 19, Mt 27

Le peintre néoclassique représente dans une œuvre presque grandeur nature ce passage de l'Évangile. L'angle est original : nous sommes dans le palais de Pilate. Au premier plan, à droite, la femme de Pilate se détourne tristement : elle a tenté d'empêcher cela en racontant à son mari le rêve qu'elle a eu au sujet de Jésus, mais en vain. Les lignes de fuite, bien que discrètes parce que liées aux architectures de l'arrière plan, attirent le regard vers le point signifiant toute l'intensité dramatique du moment : l'espace situé entre le corps de Jésus et la main de Pilate, cette main qui livre, et qui prétend se laver du crime.

Propositions de lecture

3–10 Juda ischariote Jésus a compté parmi les Douze un certain Judas Iscariote (1) devenu traître (2). Après l’avoir trahi, Judas se repent (3), retourne voir les grands-prêtres qui le méprisent (4) et met fin à ces jours (5). Son geste est ambigu car il va à l’encontre du commandement de Dieu « tu ne tueras pas », tandis que l’enseignement rabbinique condamne très clairement le suicide, mais les livres bibliques présentent pourtant de nombreux exemples de suicide (6). Le développement de sa légende noire (7) n’a pas réussi à éradiquer l’ambiguïté foncière de son geste, ouvert à une réflexion sur sa damnation ou son salut et sur la miséricorde de Dieu (8). Son rapport au judaïsme est tout aussi ambivalent : il est à la fois témoin de l’antijudaïsme pagano-chrétien et de l’antichristianisme juif (9).

1. le nom de Juda

Le nom de Judas, Iscariote, permet de le distinguer de l’autre Judas (Lc 6,16) appartenant aussi au groupe des Douze. En hébreu ’îš qᵉriyyôt signifie « homme de Keriot », village à seize kilomètres au sud d’Hébron aujourd’hui nommé al-Kureitein.

  • Jos 5,25 De même  « ’îš ṭôb » signifiant « les hommes de Tob » (cf. 2S 10,6.8 est translittéré Istôb dans la Septante (Josèphe A.J. vii § 121 Istobos).

Cette hypothèse ferait de Judas le seul disciple non originaire de Galilée.

  • Josèphe B.J. On a proposé le sens alternatif « homme de Jéricho/d’Issachar/de Corées » , « homme de Sychar ».

Ces interprétations géographiques sont les plus admises bien que d’autres explications étymologiques aient pu être données.

A partir de l’hébreu ’îš šeqer ou ’îš šākûr, iscariote serait un terme dépréciatif signifiant « homme de mensonge » ou « homme saoul ».

  • Bek.m*9,7: En prenant l’origine araméenne sqr signifiant « teindre » , on s’est demandé si iscariote ne désignait pas le métier de Judas, teinturier.

On a encore proposé : « trésorier », « roux ».

En partant du latin et du grec, le mot iscarios pourrait aussi être une transcription libre du grec sikarios et du latin sicarius « assassin, bandit » :

  • Giṭ. b* 56a : Judas serait alors assimilé au zélote Abba Siqra, le neveu de Yohanan ben Zakai et chef de la révolte .

2. Le traître

Judas Iscariote est celui des Douze qui livre Jésus. Chez Matthieu, Judas mène presque exclusivement le jeu. Il est à l’initiative d’une négociation et demande à être payé : comme il l’est sur le champ, il cherchera à rendre l’argent mal acquis en signe de repentir, dans une transaction quasi-commerciale.

La mémoire chrétienne primitive attribue à Judas Iscariote la mort ignominieuse dont les Écritures menacent les méchants, particulièrement les faux amis du fils de David. La discrétion de Matthieu dans l’exploitation du topos empêche de réduire l’épisode à un développement de son crû. Le récit semble plutôt être le résultat d’allers et retours entre faits historiques et Ecritures. La mention de l’appartenance de Judas au groupe des douze est d’ailleurs un détail en faveur de la véracité de la parole évangélique transmise par les apôtres :

  • Jean Chrysostome Hom. Matt.80,2 « [Les évangélistes] ne cachent rien de ce qui peut les humilier ; alors qu’ils auraient pu dire simplement qu’il était du nombre des disciples » .

Ce fait montre également que l’élection divine n’est pas une prédestination fatale :

  • Thomas d’Aquin Lect. Matt.ad 26,14 n°2629: « Pourquoi le Seigneur a-t-il voulu choisir un méchant et un traître ? […] Il voulait indiquer qu’il ne condamne ou ne sauve personne en raison de sa prédestination, mais en raison de sa justice présente. De sorte que si quelqu’un était condamné en raison de sa prédestination, on ne le lui imputerait pas. Ainsi était-ce pour la consolation des hommes : en effet, il savait que, dans l’avenir, beaucoup seraient égarés dans leurs choix […]. Une autre raison peut être que personne ne soit blâmé pour le fait qu’il y ait un méchant, puisqu’il y eut un méchant dans le premier collège. » 

Les autres évangélistes s’arrêtent à la trahison de Judas : si Marc ne donne aucune explication quant à ses motivations, Luc (Lc 22,3-4) et Jean (Jn 12,4-6) l’associent à des forces obscures. Matthieu et Jean (Jn 12,6) insistent sur son âpreté au gain.

3. Repentir de Juda

Repenti, Judas aurait pu revenir à la suite de Jésus, comme Pierre. Le terme employé pour désigner son attitude profonde, metameleô (Mt 27,3b), a un sens plus intense que « avoir des remords », même s’il ne va pas jusqu’à désigner une contrition de la volonté aussi profonde que metanoeô « se convertir » . Il réalise qu’il a livré l’innocent à la mort (Mt 27,4). Dégoûté de sa trahison, il désespère de la miséricorde de Dieu, ne croyant pas non plus que Jésus aie le pouvoir de remettre les péchés. Certains commentateurs se sont demandés s’il ne s’était pas repenti justement au bon moment au point d’interpréter son suicide comme une manière d’être aux enfers avant Jésus et ainsi de pouvoir lui demander son pardon:

Au contraire, certains ont affirmé qu’il s’était repenti trop tard :

trop tôt :

Il serait demeuré à un simple remords extérieur, non motivé par la peine de déplaire à Dieu:

4. Juda méprisé par les grands-prêtres

Retournant voir les grands-prêtres, il est très mal accueilli. Les blâmes contre les agents corrupteurs abondent dans la littérature ancienne:

et la loyauté envers son peuple est la plus haute valeur:

C’est pourquoi on se méfie des gens prêts à trahir à leur propre profit :

les traîtres sont haïs:

 même par les membres de leurs famille :

et les gens qui instrumentalisent des traîtres les méprisent souvent:

5. Il met fin à ses jours

La mort de Judas est relatée uniquement dans l’évangile de Matthieu. Le récit qui en parle est insérée dans un contexte narratif la mettant en valeur : il est au centre d’une organisation circulaire typique de Matthieu qui présente:

  • Mt 27,5a les pièces jetées par l’un 
  • Mt 27,6a et ramassées par les autres ,
  • Mt 27,4a la délibération morale de Judas 
  • Mt 27,6b la délibération halakhique des grands prêtres et des anciens 
  • Mt 27,3b et enfin, l’argent rapporté par Judas 
  • Mt 27,7-8 et utilisé par les notables 
  • Mt 27,9-10 en accomplissement de l’Écriture .

Ces versets tranchent par leur sobriété par rapport à la mémoire judéo-chrétienne qui trouve maints détails pittoresques pour décrire la fin des méchants comme:

  • Nb 5,21 l’enflure tenant lieu de châtiment ordalique de la femme infidèle ,
  • 2M 9,7-18 l’attaque par des vers,
  • 2M 13,4-8l e jet du haut d’une tour de cinquante coudées dans un tas de cendres 
  • 2M 15,28-35 la tête, le bras et la langue tranchés puis attachée à la Citadelle pour la première et donnée en pâture aux oiseaux pour la dernière.

Une tradition transmise par Apollinaire de Laodicée conserve deux récits de la mort de Judas. L’un est bref :

  • Apollinaire de Laodicée Fr.136 « Il faut savoir que Judas ne mourut pas de la pendaison, mais survécut, étant tombé avant de s’étouffer, comme le montrent les Actes des Apôtres : « Étant tombé la tête la première, il éclata par le milieu et toutes ses entrailles se répandirent » . »

 Papias, le disciple de l’apôtre Jean, le raconte plus clairement :

  • Papias Fr.« C’est un grand exemple d’impiété que Judas a vécu en ce monde. Car sa chair enfla à un point tel qu’il ne réussit pas à passer là où un chariot passait aisément : écrasé par le chariot, il se vida de ses entrailles. » La version longue amplifie la maladie et la mort en donnant à Judas la mort archétypique du méchant (Ac 12,23) : « Pas même la seule masse de sa tête : en effet, ses paupières, dit-on, gonflèrent au point qu’il ne voyait même plus la lumière, ses yeux ne pouvaient être vus même par la sonde d’un chirurgien, si profondément enfouis étaient-ils dans cette excroissance ; quant à ses parties intimes elles grossirent et devinrent dégoûtantes au-delà de l’indécence, des liquides lui en suppuraient sur le corps tout entier, et des vers à l’excès, que rien ne limitait que leur propre grouillement. Après moult souffrances et châtiments, on dit qu’il finit en son lieu propre, et que ce lieu est resté désert et non bâti du fait de sa puanteur jusqu’à maintenant ; mais même jusqu’à aujourd’hui on peut voir certains passants éviter ce lieu — quand, même, ils ne se bouchent pas le nez de leurs mains. »

Très tôt, on chercha à harmoniser les différentes versions. Dans cette perspective, Ac 1,18 pourrait être une harmonisation de Matthieu et de récits anciens comme ceux de Papias : la corde se casse, Judas éclate et répand ses viscères.

  • Augustin d’Hippone Fel.Une vieille version latine africaine citée par Augustin d’Hippone , selon laquelle Judas « se passa une corde au cou (ollum sibi alligavit) » pourrait être une harmonisation de Matthieu et des Actes.
  • Elle est reprise par Jérôme dans la Vulgate, qui traduit Ac 1,18 « [cet homme] est tombé la tête la première » par suspensus (Mt 27,5 laqueo).
  • Éphrem le Syrien Diat.20,18: Le texte arménien harmonise les Actes et Papias en remplaçant « est tombé la tête la première et a éclaté » par « ayant enflé, il a éclaté ». Les variations et amplifications ne manquent pas .

6. D'autres exemples de suicicide

Dans l’Ancien Testament, malgré le commandement « tu ne tueras pas », le suicide est accepté dans des situations désespérées, pour sauver son honneur ou sa fidélité à la religion:

En certains cas, le suicide semble même une possibilité d’expier ses propres péchés ou ceux d’autrui:

  • 1M 7,16-17 Ainsi l’histoire du grand prêtre Alkime qui se repentit d’avoir condamné beaucoup de justes à mort  et par contrition s’infligea les quatre supplices que son tribunal avait imposés à ses victimes en application du principe d’une vie pour une vie (Cf. Lv 24,17 ; Nb 35,33 ; Dt 19,11-13) : lapidation, feu, pendaison et décapitation.

Quand le suicide exprime une bonne intention ou vient s’ajouter à une bonne action, il constitue une sorte de voie rapide vers le monde futur.

  • Jos 8,29 Ce contexte peut amener à se demander si le suicide de Judas ne serait l’accomplissement de la sentence que le traître se donne à défaut de pouvoir être jugé pour la mise à mort du Roi.
  • Josèphe B.J.iii § 361-382:Josèphe rejette cette possibilité : puisque Dieu a donné à l’homme une âme immortelle, il ne peut pas disposer lui-même de ce bien sans s’opposer au Créateur .

Dans la culture antique contemporaine ce genre de mort est considérée comme une honte :

surtout si c’est un acte de désespoir:

7. La légende noire

Le début de la légende noire sur Judas vient tout droit de l’évangile : Marc, Matthieu, Luc et Jean composent une figure de plus en plus sombre qui s’harmonise mal avec le fait qu’il a été choisi par Jésus et a participé à son ministère public.

Dans le Nouveau Testament Judas est:

En cela, il représente les Juifs ayant le diable pour père (Jn 8,44).

Au Moyen-Age, les légendes ne font que noircir le tableau:

  • Voragine Légende1,315-318 Présenté comme un nouvel Œdipe, l’homme de Scarioth présenté comme le fils de Ruben et Cyborée est destiné à faire le mal, à son insu. Avant sa naissance, Cyborée rêve que son fils détruira la race juive. Pour l’éviter, elle confie le nouveau-né à l’eau dans une caisse. L’enfant accoste sur les rivages de l’île de Scariot où la reine l’adopte et l’éduque avec son fils. Cependant, un jour où il se montre plus méchant que d’habitude, elle lui révèle le mystère de son origine. Enragé, Judas tue son frère de lait et fuit à Jérusalem où il devient l’âme damnée de Pilate. Un jour où celui-ci a envie d’un fruit qu’il aperçoit dans le jardin de Ruben, Judas y fait effraction pour voler le fruit désiré. Son père survient. Judas le tue dans la rixe. Pour étouffer le scandale, Pilate donne la veuve en mariage à Judas. Le couple ne tarde pas à se rendre compte de sa parenté. Désespéré, Judas songe à se tuer, mais Cyborée lui suggère d’aller voir Jésus pour obtenir le pardon. Il se rend donc devant le maître et en devient le disciple .

La littérature colportera longtemps cette légende qui fait remonter sa méchanceté à ses parents : Judas est à la fois le traître et le héros mondain conduit au repentir, à la conversion et à la vocation. Cette légende n’a jamais été canonisée, et Jacques de Voragine prend ses distances avec elle. Mais elle a été très populaire.

8. Reflexion sur la damnation ou le salut de Juda et la misericorde de Dieu

Le personnage de Judas est susceptible de deux interprétations opposées. Son geste permet finalement de rendre grâce à Dieu pour son Messie. Mais il procure aussi la mort de ce messie. Judas dans l’évangile est peut-être un « jaloux », un « zéle » comme Pinhas ou Josué (Jos 22), un pré-zélote ; il croit que Jésus est le roi-messie, le « fils de Dieu », comme tous les rois de Juda, et doit donc être reconnu par l’institution religieuse centrale en Juda : le Temple. En livrant Jésus aux grands-prêtres, ils chercheraient surtout à provoquer une confrontation entre les deux, afin de forcer la reconnaissance formelle de Jésus comme Messie. Les choses tournent mal, pas comme il l’avait prévu. Mais sa faute permet à Pierre de rendre grâce à Dieu pour les décrets de sa providence qui tire un bien infini d’un mal circonstancié (Ac 2,39).

La mort affreuse de Judas rapproche son destin de celui d’Ahitophel qui trahit jadis un premier messie, David, type de son « fils » Jésus messie comme lui (2S 15-17 // Mt 26,14-16.47-56 ; Mc 14,10-11.43-45 ; Lc 22,3-6.47-53) :

  • 2S 15,23 comme David passe le Cédron dans le contexte de cette trahison, Jésus le traverse également (Jn 18,1) ;
  • 2S 15,31 comme David prie pour que Dieu transforme en folie la décision d’Ahitophel, Jésus prie pour que son heure passe (cf.Agonie*).
  • 2S 17,1 // Mt 26,31.34 Alors qu’Ahitophel veut surprendre David de nuit , avec douze mille hommes (2S 17,1 // Mt 26,53), pour le frapper (2S 17,2 ; même verbe pataxô en 2 Règnes 17,2 qu’en Mt 26,31) et faire fuir (2S 17,2 // Mt 26,56) ceux qui sont avec lui (2S 17,2 // Mt 26,18 etc.), l’évangile de Matthieu présente un parallèle strict de ces différentes actions de Judas à l’égard de Jésus dans le récit de la passion.
  • 2S 17,23 Enfin comme Judas, Ahitophel rentre chez lui et s’étrangle ou se pend . 

L’allusion à Ahitophel est d’autant plus claire que le verbe apagchomai n’est employé dans la Septante qu’en 2S 17,23 et Tb 3,10.

9.Son rapport ambivalent au judaïsme

Juda est à la fois témoin de l’antijudaïsme pagano-chrétien et de l’antichristianisme juif .

Le suicide de Judas marque une limite de ce qui est révélé dans l’évangile de la miséricorde divine. Cette limite est infranchissable par aucun raisonnement et suscite une réelle crainte dans le cœur du lecteur ou de l’auditeur croyant : en interdisant de penser que tout le monde est sauvé de toutes façons, cette destinée tragique laisse planer la nécessaire crainte de la damnation.

  • Dante Comédie« Enfer » 34,61-69 La croyance populaire dans la damnation de Judas est illustrée par le nom du dernier cercle de l’enfer dédié aux traîtres à leurs bienfaiteurs (Brutus, Cassius, ...), Judas, le traite de Jésus .

Cependant, certains pères de l’Eglise laissent ouverte la possibilité d’une miséricorde pour Judas à l’image du Bon* Larron repenti et admis au royaume par Jésus (Lc 23,40-43) :

Dans les représentations des Passions, très populaires, Judas est souvent identifié à Satan, sur fond de clichés anti-juifs représentant les Juifs et non les Romains en train de torturer Jésus. Mais tandis que Judas se repent, les autres Juifs vont au bout de leur forfait ! Sont ainsi mis en communication l’antijudaïsme théologique chrétien et l’antisémitisme païen jamais disparu. Rien d’étonnant que nombre de pogroms aient eu lieu dans le contexte de ces Passions. Cependant, les Toledot Yešu procèdent à un renversement des valeurs symétriques à la démonisation chrétienne de Judas : il est le juif fidèle à son peuple et agent des sages d’Israël dans leur opération de renversement de la puissance de Jésus.

L’Evangile de Barnabé, apocryphe du 15ème siècle rédigé par un juif ou par un chrétien devenu musulman a pris ainsi une place centrale dans l’apologétique musulmane selon laquelle Judas a remplacé malgré lui Jésus au moment de la crucifixion et a permis la supercherie de la résurrection :

  • Év. Barn.§ 216 « Judas fit irruption le premier dans la pièce d’où Jésus avait été enlevé et où dormaient les onze. Alors, l’admirable Dieu agit admirablement : Judas devint si semblable à Jésus par son langage et dans son visage que nous crûmes que c’était Jésus. […] Tandis qu’il parlait, la milice entra et on mit la main sur lui car il était en tout semblable à Jésus » .

Judas est donc conduit devant le grand prêtre : on comprend alors mieux le silence qu’il respecte devant l’interrogatoire qu’on lui fait passer. Puis on le fait passer devant le gouverneur.

  • Év. Barn.ib. 217 Judas avoue : « Je suis Judas Iscariote et non pas Jésus. Lui, c’est un magicien. Il m’a transformé ainsi par son artifice » (ib. § 217). Le gouverneur est ébranlé mais ne parvient pas à entamer la détermination des prêtres. Judas finit donc crucifié en criant : « Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, car le malfaiteur a fui et moi je suis tué à tort ? ». Jésus n’est donc pas mort, et peut tranquillement réapparaître. Il n’a rien d’un fils de Dieu, il n’est pas ressuscité. Tout a été monté par une Église qui trompe.

Contexte

Repères historiques et géographiques

26,1–27,66 Les lieux de la Passion

Parcours de Jésus durant sa Passion, (numérique, Jérusalem : 2022)

M.R. Fournier © BEST AISBL, Mt 26-27 ; Mc 14-15 ; Lc 22-23 ; Jn 18-19

Le lieu du →prétoire, tribunal de Ponce Pilate, est incertain. Deux sites sont possibles : la forteresse Antonia et le Palais d'Hérode le Grand. La tradition situe le prétoire à l'Antonia mais les archéologues, aujourd'hui, le placent plutôt dans le palais d'Hérode le Grand.

Bibliographie
  • Dominique-Marie Cabaret, La topographie de la Jérusalem antique (Cahiers de la Revue Biblique 98), Peeters : 2020.
Toponymie

Esplanade du Temple, Ophel, ville haute, ville basse, palais d’Hérode le Grand, mont Sion, Cénacle, palais hasmonéen, palais de Caïphe, Golgotha, forteresse Antonia, porte dorée, jardin de Gethsémani, mont des Oliviers, colline de Bézétha, théâtre, vallée du Cédron, vallée du Tyropéon, vallée de la Géhenne, via Dolorosa.